Cette lettre de Barcelone est parue dans Echanges n° 138 - Automne 2011 - Sommaire.
Après les grandes assemblées de la place de Catalogne que je t’ai racontées (voir Lettres de Barcelone, place de Catalunya) on continue à se rassembler dans les quartiers, à peu près 25 quartiers. Les commissions actives à la place de Catalogne se sont dissoutes dans les assemblées de quartier, sauf quelques-unes transversales (travail, genre, santé...), ce qui a posé beaucoup de problèmes et des méfiances et la multiplication d’actions.
Je te raconte donc un peu comment ça se passe dans notre quartier de Sant Andreu. Nous avons commencé fin mai par une assemblée très large (700 personnes) qui se répète chaque mardi (le nombre après l’été a diminué, mais nous ne sommes jamais moins d’une centaine) sur la place en face de la mairie de quartier. L’appropriation de l’espace public sera une caractéristique essentielle de toute la démarche ; on a commencé avec un camping pendant une semaine active de présence sur la place avec beaucoup d’activités : débats, cinéma, cuisine en commun... Beaucoup de ces activités continuent : marches dans le quartier pour afficher nos arguments contre ce système capitaliste ; échange de savoirs dans une sorte d’université populaire ; débats, manger en commun, occupation des endroits pour construire un jardin potager ; essayer d’empêcher les expulsions (on a réussi déjà quatre fois). Cette activité pour empêcher les expulsions (à Barcelone il y en a 18 chaque jour) est une des plus solidaires, obligeant à nous rencontrer de bon matin à plus de 100 pour empêcher l’action judiciaire protégée par la police...
Je reviens à l’assemblée hebdomadaire : c’est le pivot qui soutient tout. Il y a une rotation des modérateurs, et l’ordre du jour qui se prépare une heure avant de commencer comprend toujours la présentation de ce qu’a fait chaque commission (action, communication, santé, aide mutuelle…), et une heure de débat sur la question qu’on envisage la plus pertinente, plus adéquate à la situation (par ex. la violence, la répression concrète, les formes de lutte, l’extension au quartier, la relation avec les institutions, les prochaines élections...). Dans les débats on va au-delà de la stricte revendication contre les coupes budgétaires (par exemple dans la santé ou l’éducation, pour ne pas perdre ce qu’on avait), on fait la critique de l’école compétitive actuelle ou de la médecine et de la médicalisation de notre vie… Après, il y a un tour de parole : échange d’idées, de points de vue, de considérations vraiment riches… Pour des choses concrètes, par exemple, comment affronter la répression déjà présente, on crée des groupes de travail qui se dissoudront après avoir atteint leur objectif. L’assemblée a lieu sur la place, les mardi, de 20 heures à 22 h 30 ou 23 heures. Nous ne sommes pas pressés, généralement on arrive au consensus sans arriver à un vote qui nous sépare.
Il reste le problème de la coordination entre quartiers : on a mis en place un espace de coordination des assemblées des quartiers, avec délégués rotatifs, sans pouvoir de décisions… sans périodisation fixe… Nous sommes au début. A partir de tout ça la réalité d’une nouvelle relation se déroule… Tout ça dans un contexte que expriment bien par exemple les leitmotive « Nadie nos representa » (personne ne nous représente), critique de la représentation (partis, syndicats, administration…) et recherche de nouvelles formes d’association horizontale ; « Somos lentos porque vamos lejos » (on est lents parce qu’on va loin), qui exprime la conscience qu’on n’est pas ici pour réclamer deux ou trois choses, mais pour changer un peu en profondeur….
Bien entendu, tout ça ne va pas sans contradictions : il faut pas mythifier l’assemblée, qu’on peut bien sûr manipuler ; il y a les problèmes de coordination ; les grosses questions sur les buts : aller contre les dysfonctionnements du système capitaliste, en modérer ses effets plus mauvais, ou aller – et comment ? – contre les causes mêmes dudit système… ; la diversité d’âge, d’idéologies, de perspectives, des relations avec la technique, les médias… Mais on essayes de trouver des réponses à tout ça en avançant…contre la situation de malaise aggravée par les mesures « anticrise » chaque fois plus dures.
Q.
Voir aussi En Espagne, la révolte citoyenne de mai 2011 : malaise social et régénération démocratique, Chronique d’une journée intense, le 27 mai 2011 à Barcelone, Indignes et indignés.
Dans les publications
◆ En mai 2011, les Indignés espagnols, couvés par les médias, ont occupé des places dans plusieurs villes espagnoles une semaine avant les élections régionales et municipales. Un article, « La place prend la parole : Espagne, mai 2011 », dans le n° 48 (juin 2011) de la revue barcelonaise Etcétera, (« La plaza tiene la palabra »), souligne les ambiguïtés d’un mouvement qui prospère du buzz alors que les mouvements de base (de quartiers, contre des attaques concrètes du capital, comme par exemple à Barcelone, contre les expulsions de squatts ou de locataires, etc.), peu médiatisés, se sont parfois vus phagocytés par les Indignés. « Il n’est pas facile de faire une lecture de la signification de ces mouvements dans lesquels nous savons être impliqués ».
◆ Le mouvement des Indignés espagnols s’organise de manière anarchiste selon les nos 380 (juillet 2011) et 381 (août-septembre 2011) de l’organe de la Confédération nationale du travail espagnole, CNT.
◆ Une description du mouvement des Indignés en Espagne dans le cahier n° 219 (août 2011) de la revue allemande Die Aktion, « Révolution espagnole : Feu de paille ou commencement d’incendie de savane ? », par Horst Rosenberger, un Allemand vivant à Barcelone.
◆ « Mouvement des “indignés” en Espagne » dans Le Prolétaire n° 500 (mai-septembre 2011).
◆ « Les indignés : écart ou surplace ? », texte de Temps Critique reproduit dans A Contre Courant n°227, septembre 2011.
◆ « Agoraphilie madrilène » et « Séville ville ouverte » dans CQFD n° 90, juin 2011.
◆ « De l’indignation à la révolte » dans Alternative libertaire, n° 208, juillet-août 2011.