La Révolte luddite,
briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation
Sale Kirkpatrick
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Célia Izoard
Ed. L’Echappée, Paris, 341 p., 19 euros
« Le luddisme n’a rien d’une réaction spontanée et incontrôlée de violence contre les machines en tant que telles », écrivait Bruno Astarian dans le n° 113 d’Echanges (Le luddisme, été 2005), en conclusion d’une description succincte mais complète de ce qu’avait été le luddisme, appuyée sur les matériaux et commentaires fournis par l’historien britannique E.P. Thompson dans son ouvrage La Formation de la classe ouvrière anglaise (coéd. Gallimard/Seuil. A l’opposé de cette conclusion s’est développé dans la période récente un mythe propagé notamment par tout le courant anti-technologie, mythe que la préface de la traductrice du livre de l’Américain Sale Kirkpatrick La Révolte luddite reprend dans cette édition française. Ainsi écrit-elle que « les luddites étaient ennemis de la technologie » (p. 10) les considérant dès lors comme les précurseurs d’une « réémergence et [du] renouveau des luttes contre l’imposition des technologies » (p.6). Cela par une argumentation assez subtile puisqu’elle suit le constat selon lequel « les luddites ne refusaient pas la technique » (p. 7).
Pourtant, Sale Kirkpatrick prend bien soin de distinguer la révolte des luddites du mythe puisque, dans la seconde partie de son ouvrage (chapitres 8 : « La seconde révolution industrielle » et 9 : « Enseignements luddites »), il souligne d’emblée qu’« il est difficile de savoir à quel moment le mot luddite acquiert son sens dérivé et désigne non plus seulement les briseurs de machines de 1811-1812, mais quiconque s’oppose à une technologie nouvelle, et pas nécessairement par la violence et le sabotage ». Il voit cependant la naissance de ce mythe dans les années 1950 (p. 249). Il avait déjà souligné dans une note introductrice que « les luddites ne s’opposaient pas à la technique en général » ; dans une sorte de critique implicite des militants anti-technologie, il ajoute que « le problème ne réside pas dans le fait d’utiliser la technique ou de la refuser... mais plutôt de savoir si, prise dans le contexte le plus large et à plus longue échéance, cette technique est bénéfique ou nuisible à ses utilisateurs, à la communauté - et à leur avenir » (p.18).
La dérive sémantique d’un mot recouvrant une réalité sociale vers un drapeau idéologique se répercute dans le quasi-oubli de ce que fut le mouvement luddite. Le débat, tel qu’il est posé, a lieu dans le monde d’aujourd’hui et les réponses, fondées parfois sur des données sicentifiques, sont plus souvent spécifiques, philosophiques et politiques. Les actions qui peuvent en découler s’appuient plutôt sur un volontarisme que sur des mouvements sociaux de grande ampleur, encore moins sur un mouvement de lutte de classes qui, peut-être, permettrait de les apparenter au luddisme. L’auteur donne pourtant dans les sept premiers chapitres une description détaillée de ce que fut le luddisme dans toute la réalité d’un combat de classe. Pour celui qui ne connaîtrait ce sujet que sommairement, il apporte non seulement toutes précisions souhaitables mais aussi les éléments qui lui permettront de juger de ce qu’il en fut réellement. Mais peut-on lier ce mouvement, qui était avant tout une défense de classe contre l’exploitation, à « la première révolution industrielle », alors que ce qui est présenté comme « la seconde révolution industrielle » a donné naissance, non plus à un mouvement de classe, mais au courant idéologique anti-technologie ?
Le Combat syndicaliste (CNT-AIT Midi-Pyrénées, nos 98 et 99) consacre deux articles au luddisme mais, dans sa conclusion, pose différemment le problème de l’anti-technologie : « La destruction du capitalisme passe par une redéfinition de l’idée de progrès dans ses fondements mêmes, redéfinition dont doit découler celle des moyens et des modes de protestaton... cette redéfinition dépasse de loin la question éthique : elle s’impose désormais à nous à travers la menace quotidienne que présentent les risques du “tout industriel”. »
Quel sens donner à cette réflexion ? Doit-on voir dans les actions ou menaces d’actions de classe comme celles de Cellatex le prolongement de ce que firent les luddites tout simplement pour la défense de leur travail, sans en faire une lutte anti-technologie mais mettant en cause indirectement et violemment la marche capitaliste du Progrès ? Doit-on voir dans la révolte de jeunes de banlieues et les destructions des productions du système capitaliste qui les exclut (tout comme celles d’autres révoltes semblables de par le monde), un combat de classe similaire à celui des luddites, bien que certains y aient vu l’expression d’une idéologie anti-technique ? Doit-on voir dans la révolte des ouvrières du textile au Bangladesh, avec des destructions de machines et des incendies d’usines, une analogie avec les révoltes des jeunes de banlieue ou un combat de classe bien plus proche de celui des luddites (d’autant qu’il s’agit aussi du textile), hors de toute influence idéologique (plus de 50 % de ces exploités sont analphabètes et soumis à de dures contraintes coutumières et religieuses) ?
H. S.