Cette intervention se base avant tout sur mon travail de Dea, soit l’étude d’une douzaine d’entretiens ainsi que des archives de Stéphane Just à la BDIC. Elle se base également surtout sur une période antérieure à la fondation du Parti des Travailleurs, pour lequel je disposais de moins de sources. Elle n’a donc pas la prétention d’écrire l’histoire de l’organisation que l’ont peut qualifier de « lambertiste », en raison du rôle fondateur de Pierre Lambert, mais simplement de proposer quelques pistes introductives à l’étude d’une organisation qui n’a pas autant suscité l’intérêt des historiens que la Ligue Communiste Révolutionnaire, alors même que toutes deux sont issues du même « vieux » PCI trotskiste en 1952 et qu’elles ont eu une influence politique tout à fait comparable. En revanche, la comparaison s’arrête là, car si la LCR peut être présentée comme une organisation toujours en prise avec son époque, ayant fait évoluer son identité trotskiste jusqu’à la remettre en cause, l’organisation « lambertiste » s’est, au contraire, toujours présentée comme l’héritière fidèle de la doxa trotskiste et des traditions du mouvement ouvrier. La maîtrise d’Emmanuel Brandely, soutenue ici à Dijon sous la direction de Jean Vigreux, qui visait, en proposant une première étude de l’OCI-PCI, à réparer une injustice de l’histoire, mettait bien cela en évidence, quitte parfois à prendre le risque de tomber dans un travers partisan qui consiste à consacrer l’organisation officielle ou formelle. Par ailleurs, ce très utile travail, qui entendait également répondre aux quelques ouvrages de journalistes, dont on connaît l’empressement et les partis pris, ne permettait pas non plus de rompre avec la tradition des militants qui écrivent sur eux-mêmes, du fait notamment de l’orientation « événementialiste » qui le guidait. En effet, il me semble que c’est tout le sens de ce séminaire d’insister encore une fois sur la nécessité d’impulser à l’histoire des organisations une perspective beaucoup plus sociologique, notamment en direction de la culture politique, afin de leur restituer leur complexité et d’œuvrer en faveur d’une théorie qui permette de les comprendre. Il me semble ainsi qu’il serait bénéfique d’accorder plus d’intérêt aux relations de pouvoir, qui ne doivent pas se limiter aux processus décisionnels, et d’ouvrir l’histoire à une orientation plus psychosociologique, plus à même d’étudier l’interaction entre individu et organisation. Or, l’histoire de l’OCI-PCI illustre à merveille la nécessité de cette évolution : en effet, se focaliser sur l’histoire événementielle et idéologique de ce parti serait n’aborder qu’un aspect somme toute insignifiant de la réalité, qui exige que l’on s’intéresse à ce parti du point de vue de ses militants, c’est-à-dire à la fois comme une entreprise politique et une contre-société.
A. UNE ENTREPRISE POLITIQUE
J’emprunte la notion d’entreprise politique à Michel Offerlé, qui la définit comme « un type particulier de relation dans laquelle un ou plusieurs agents investissent des capitaux pour recueillir des profits politiques en produisant des biens politiques » . Appliquée à l’OCI-PCI, cette notion prend un sens particulièrement fort dans la mesure où l’organisation léniniste a toujours été conçue comme l’organisation la plus efficace, et l’OCI-PCI comme l’héritière la plus digne de cette conception dans le mouvement trotskiste français. Il s’agit de présenter ses méthodes particulières de taylorisation politique et son incidence en termes de bénéfices de même nature. Comme on va le voir, le parti tout entier est structuré pour accomplir des objectifs concrets, articulés autour de la méthode objectif-résultat, ce qui se traduit en termes organisationnels par une structure extrêmement pyramidale.
1. Une organisation tournée vers l’efficacité
Ce qui caractérise avant tout le militantisme au sein de l’organisation « lambertiste », c’est son aspect réglé et planifié, ainsi que, des années 60 aux années 80, son rythme soutenu. Philippe Campinchi rapporte à ce sujet les propos d’André Bergeron, qui affirme : « Face aux communistes à 17 heures, mes militants mettent leurs chaussons et allument la télévision, les trotskistes, eux, commencent leur porte-à-porte » . Il est difficile de donner des raisons précises à ce fait, qui peut sans doute être lié à un contexte plus général d’ « imminence de la révolution » et de croissance de l’organisation, mais il semble qu’il s’agisse à la fois d’une résultante d’une certaine taylorisation politique et d’un facteur culturel.
J’emploie le terme de taylorisation à dessein, car il semble que l’organisation soit avant tout habitée par un désir d’efficacité, qui lui fait mettre en place ce que l’on appelle la « méthode objectifs/résultats », dont l’objectif est de rationaliser l’action politique dans le but d’en tirer le plus de bénéfices, et notamment en termes de croissance La méthode objectifs-résultats consiste à donner à chaque militant des objectifs très précis en termes de ventes de journal, de signatures de pétition, de recrutement. Lorsqu’on lit l’ouvrage de Benjamin Stora, La dernière génération d’octobre, on constate ainsi que les chronologies qui ouvrent chaque chapitre donnent autant d’importance aux grands événements internationaux qu’aux objectifs des campagnes financières de l’OCI, formulés au franc près. Ces objectifs semblent être fixés au plus haut niveau de l’organisation et répartis entre les différents secteurs jusqu’aux cellules. Les militants s’engagent à les atteindre et doivent permettre à la direction d’effectuer un suivi en tenant une stricte comptabilité dont ils doivent répondre en réunion. Il est frappant de voir qu’ils tiennent une place tellement importante que, toujours selon Benjamin Stora, la méthode objectifs-résultats constitue, selon Pierre Lambert, « l’essence même du bolchevisme ». Les termes en sont ainsi politisés, voire militarisés, afin de les resituer dans le cadre de la lutte des classes et du projet révolutionnaire et de stimuler la vigueur militante. On parle ainsi de la « bataille pour le journal ». Selon un ex-militant, Vincent Presumey, la centralisation des résultats peut s’effectuer tous les soirs, le responsable de cellule transmettant les chiffres au responsable départemental. Celui-ci cite encore le cas de Christian Nenny, le dirigeant de Clermont-Ferrand, un des bastions de l’OCI, qui prétend faire jurer aux militants qu’ils atteindront les objectifs. Cette conduite martiale implique un engagement de tous les instants, propre à culpabiliser les militants qui portent, en cas de résultats moindres, la responsabilité directe de l’échec de la révolution prolétarienne. Ainsi, Philippe, un autre ex-militant, explique, comme Vincent, qu’on les incitait à vendre et à faire signer leurs proches, ce qu’ils faisaient d’autant plus volontiers qu’ils avancent eux-mêmes l’argent des journaux, qu’il leur arrivait finalement souvent d’acheter eux-mêmes en cas d’invendus pour ne pas être dénoncé. En effet, le fait de ne pas atteindre ses objectifs est considéré comme une faute politique majeure, censée signifier que le militant en question n’est pas assez convaincu, impliquant dès lors une nouvelle discussion politique. De plus, ces objectifs peuvent être très important, exigeant par exemple, en 1973, une augmentation de 50 % des effectifs de la fédérale Camus en quelques mois.
Cette constante sollicitation des militants conduit à une séparation entre ceux qui pensent et ceux qui agissent, soit l’appareil et la base, qui, en dépit d’une bonne formation théorique, semble avoir peu l’occasion de penser en-dehors des cadres prescrits. En effet, les militants trotskistes ne militent pas qu’à l’OCI. Ainsi, Ariella Rothberg parle des multiples engagements des étudiants, qui sont à la fois à l’OCI, à l’AJS, à l’UNEF-ID, à la FERUF, c’est-à-dire à la fédération des résidents de la région, voire à Force Ouvrière pour ceux qui sont surveillants. Il y a encore les différents comités et associations impulsés par l’organisation. Le terme le plus utilisé par les ex-militants interrogés est « 24 heures sur 24 ». Ils évoquent tour à tour les collages de nuit, les pétitions, les manifestations, la lutte avec les staliniens, la nécessité des camps d’été pour les étudiants, etc. Philippe, cadre militant au milieu des années 80, évoque encore 8 à 10 réunions par semaine en période calme. L’engagement financier est également très important, 10 % du salaire, comme l’affirme Pierre Simon. Mais il faut rajouter à cela l’abonnement aux publications de l’organisation, la participation aux campagnes et aux activités financières comme l’achat des locaux, à Lyon, par exemple. Philippe, qui gagne 3500 francs par mois, dit avoir systématiquement donné aux alentours de 500 francs. Toutefois, il ne faudrait pas croire que ce militantisme, s’il est encadré, repose uniquement sur la coercition : si ce système a pu se maintenir pendant plusieurs dizaines d’années, c’est que les militants l’acceptent. Philippe dit qu’ils trouvaient que c’était normal. Ludovic explique avoir été plutôt demandeur. Charles Berg, encore, affirme que rien n’était demandé. Il faut dire quand même que les autres militants parlent d’un suivi régulier, et Pierre Simon évoque quelque chose qui ne se faisait pas naturellement. Il faut donc évoquer une pratique culturelle, mais reposant sur la négation par les militants de leurs propres besoins et sur la régulation par ceux de la base, qui se culpabilisent entre eux : ainsi, le fait d’acheter soi-même les journaux se fait-il en secret. Et de même, Pierre Simon évoque les reproches de ses camarades lorsqu’il lui arrivait d’acheter un meuble. Ceci fait que le poids du militantisme se ressent individuellement, et ne débouche collectivement et au mieux que sur une résistance passive, et encore celle-ci n’est évoquée que par Ludovic, qui a milité à la fin des années 90. En effet, il semble que la fin des années 80 corresponde à une atténuation des exigences et de la rigidité organisationnelle, même s’il est difficile de dire s’il s’agit d’un simple contre coup des départs à répétition, d’une conséquence de la fondation du Parti des Travailleurs et du CCI ou également d’une perméabilité du parti à un phénomène de société, c’est-à-dire la volonté des individus d’avoir plus de liberté, ce qui implique un nouveau rapport au militantisme.
Il faut dire alors que les bénéfices de cette taylorisation sont plus que mitigés. En premier lieu, il faut dire que l’OCI remporte des victoires, réelles ou perçues comme telles par ses militants, ce qui justifie leur engagement. Sans doute faudrait-il faire un décompte précis des actions menées par les trotskistes, mais il est indubitable que ceux-ci agissent efficacement, d’une part sur le terrain économique, mais aussi politiquement : la libération de Léonid Pliouchtch, par exemple, est un événement marquant qui cristallise l’attention du paysage politique et médiatique. A en croire certains ex-militants, comme Philippe, l’OCI-PCI est également la seule organisation d’extrême gauche à remplir les grandes salles de spectacle parisiennes. Toutefois, ce bilan doit également être mitigé par le fait que la grande rigidité du parti ne convient pas à tout le monde : d’une part, le recrutement semble se faire sans empathie, dans une seule perspective comptable, et, outre le rejet que cela peut susciter, il semble que, dans le cadre d’une autosatisfaction perpétuelle, voire d’une concurrence interne, les militants fassent preuve d’un certain aveuglement en ayant tendance à considérer toute discussion avec un individu comme une marque d’intérêt, et toute invitation réussie comme une pré-adhésion. Mais en réalité, le cadre rigide et pyramidal du parti, en bannissant la discussion, en excluant toute contestation plutôt qu’en tentant de l’intégrer, perd de nombreux militants. Et comme l’écrit Michel Dreyfus à propos du Parti Communiste, si le parti ne se renforce pas, il se construit bien en s’épurant.
2. Un cadre rigide et pyramidal
Le fonctionnement de l’OCI-PCI, en lien avec son souci de rentabilité politique, repose sur plusieurs principes : la verticalité, le cloisonnement, la discipline. De fait, à bien y regarder, il semble que le centralisme démocratique soit plus une référence idéologique qu’un outil de fonctionnement. Pierre Broué, opposant le parti bolchévique à l’organisation « lambertiste », utilise à son égard le terme de « centralisme bureaucratique ». Il semble en effet que l’égalité entre les militants soit loin d’être une réalité, au détriment des militants de base mais au profit de ce qu’on peut appeler un « appareil ». La séparation de ceux qui pensent et de ceux qui agissent incite dès lors à interroger la nature de cet appareil et à rechercher le lieu d’exercice du pouvoir. L’organisation « lambertiste » reprend le mode de fonctionnement bolchévique. Les cellules sont la base du parti : elles sont professionnelles ou, par défaut, géographiques, puis fédérées en rayon, qui sont eux mêmes fédérés en secteurs. Certains ex interrogés expliquent toutefois que la différence entre les deux n’était pas évidente. Mais lorsque Marcel Thourel, ancien militant communiste, intègre le vieux PCI, il s’exclame : « Du point de vue organisation, aucune surprise ». Il juge toutefois ce dernier plus démocratique, alors que l’organisation « lambertiste » façonnée dans les années 50 semble beaucoup plus proche du Parti Communiste, la taille en moins. En effet, la structure du parti est très pyramidale, et plus les militants sont bas dans la hiérarchie, plus leur marge de manœuvre est étroite. En premier lieu, le cloisonnement règne, probablement à l’origine pour garder le secret que nécessitent certaines pratiques : le travail d’entrisme au sein du Parti Socialiste, les activités clandestines en Espagne, et surtout à l’Est, voire encore les relations avec Force Ouvrière ou, à en croire Christophe Bourseiller, avec la franc-maçonnerie, et même le service d’ordre, ne sont connues que d’un nombre limité de militants, qui ne rendent de comptes qu’au Bureau Politique, voire, semble-t-il, qu’à certains membres et surtout à Pierre Lambert. Pour certains ex, et même pour Alexandre Hébert, le Comité Central ne paraît que le lieu d’enregistrement des décisions et de répartition des tâches. Pour beaucoup, c’est même une entité un peu mystérieuse, née semble-t-il dans les années 70, le secrétariat du Bureau Politique, qui est le véritable centre du pouvoir. En dernière extrémité, les ex militants s’accordent à dire que Pierre Lambert en est le centre du centre. Jc Cambadélis écrit ainsi dans Le chuchotement de la vérité que ce dernier administrait le groupe. Néanmoins, la notion de cercles dirigeants paraît plus pertinente pour désigner les processus décisionnels. D’une part, des personnages comme Charles Berg ou Jean-Christophe Cambadélis, l’un au sein de la jeunesse, l’autre des étudiants, semblent avoir bénéficié d’une certaine autonomie. D’autre part, il semble que certaines personnes aient joué un rôle influent dans l’organisation, quitte à ne pas en être membres, comme par exemple Alexandre Hébert. En tout état de cause, l’organisation est pyramidale, et le centralisme démocratique, qui garantit une liberté absolue dans la discussion et une discipline absolue dans l’action, semble surtout se limiter à son aspect répressif. Par exemple, le rapport de l’OCI-PCI aux élections n’est pas clair. Si les membres du Comité Central sont élus par le Congrès, certains ex, comme Philippe, évoquent une « sacrée présélection » des candidats, proposés par la direction sortante. Aux niveaux inférieurs, il semble que ce soit surtout la cooptation qui règne, même si celle-ci semble surtout se faire sur un mode de suggestion : les responsables de cellule, de rayon, de secteur sont choisis par l’échelon supérieur.
L’orientation et l’encadrement du militantisme se voient donc également à la fragilité du processus démocratique. Certes, le débat existe, mais il semble que la peur de la scission hante l’OCI depuis celle de 1952. Alexandre Hébert, notamment, fait de cette phobie un des traits fondamentaux du caractère de Pierre Lambert. Dès lors, comme l’écrit Emmanuel Brandely, la création de tendances ne fait pas partie de la culture politique de l’OCI-PCI, qui semble les considérer comme le commencement d’une scission. Certains comme Charles Berg disent ainsi que le centralisme démocratique est appliqué jusqu’au sein du Bureau Politique : à savoir que les débats y sont circonscrits et que la position adoptée doit ensuite être défendue par tous les responsables qui y siègent. Ce procédé maintient l’organisation dans la fiction d’une unicité de pensée du sommet à la base et renforce la conviction, lorsqu’une opposition ou une tendance se déclare, qu’il s’agit de l’œuvre d’une clique. Selon Alexandre Hébert, le principe de Pierre Lambert est, à propos de FO, que lorsqu’on dénonce la politique de la direction, c’est qu’on veut scissionner. Selon lui, les trotskistes identifient l’organisation et l’appareil. Et si ce trait fait vraiment partie de la culture de l’organisation, cela explique l’absence de volonté de créer des tendances ainsi que le grand conformisme des militants. Par ailleurs, les quelques tendances qui ont pu être créées, par exemple celle de Pierre Broué, ou encore celle de Drut au tournant des années 90, sont presque immédiatement suivies d’une exclusion. Cela peut expliquer l’efficacité des mécanismes de présélection : en effet, si différents points de vue peuvent se manifester dans le Bulletin Intérieur, celui-ci ne paraît que peu avant le congrès, et encore semble-t-il encadré par le Bureau Politique. Plus encore, les congrès, apothéose de la démocratie, peuvent connaître d’autres limitations : ainsi Ludovic Wolfgang apprend-il à ses dépends que les débats d’un congrès ne sauraient prendre place en-dehors du cadre défini par le précédent. D’autre part, au niveau micro-organisationnel, si des avis divergents peuvent s’exprimer en cellule, il semble que cela concerne surtout des éléments mineurs, ne remettant pas en cause les principes fondamentaux et n’entravant pas la marche de l’effort militant.
Pour tout dire, un des paradoxes du courant « lambertiste » est d’associer l’affirmation de ce que Nicolas, un ex-militant, qualifie d’ « anti-substitutisme » et des procédés d’action qui consacrent en réalité l’effort inverse. Par exemple, pour ce qui est des différentes organisations de jeunesse, celles-ci, qu’il s’agisse de l’AJS ou de l’IRJ, se sont toujours présentées en externe comme des organisations indépendantes, allant jusqu’à ne pas parler de l’OCI-PCI dans leurs publications respectives, menant leurs propres campagnes de recrutement. Or, à en croire certains ex-militants, ces organisations avaient véritablement valeur de passerelle d’accueil avant d’accéder à la véritable organisation, une fois qu’on est repéré, formé et recruté. Les militant recrutés auraient même eu des consignes de discrétion afin de ne pas faire croire à la récupération. Et il semble en aller de même pour les différents comités et associations créées par l’organisation « lambertiste » : celles-ci ressemblent à des structures neutres et plus larges, ce sont des associations à but unique (pour la défense de la gynécologie médicale, pour l’abrogation du traité de Maastricht, pour la libération de Mumia-Abu-Jamal) à caractère de front unique. Toutefois, le fait de ne pas mentionner le terme trotskisme en leur sein aboutir à l’exact inverse de ce qui était attendu par l’organisation, à savoir démonter les accusations de récupération.
A écouter les anciens militants, il me semble que cette ambiguité est sincère, mais il est probable qu’il s’agisse là d’une intériorisation par la base du discours de l’organisation. D’autres, comme Philippe, affirment sans nuances que le PT était pour eux, à l’origine, un véritable cache-sexe. Il semble paradoxalement que ce cache-sexe soit devenu la plus grande ambiguité des trotskistes : il n’est en effet ni tout à fait une véritable SFIO, en raison du rôle prédominant que joue le CCI en son sein, ni un véritable cache-sexe, dans la mesure où celui-ci a acquis une certaine stabilité et intégré des militants qui, au bout de plusieurs années, continuent à ne militer qu’au PT. Seule la force de l’idéologie peut expliquer la conciliation de ces deux traits contradictoires que sont la culture de l’avant-gardisme et la promulgation d’initiatives de front unique. Ainsi Alexandre Hébert rapporte-t-il une anecdote : à Nantes, à la réunion d’un Comité pour l’Unité de la République, les militants trotskistes trouvent le moyen d’inviter le secrétaire du Parti des Travailleurs, ce qui soulève l’indignation de ceux qui ont souscrit à ce comité et dénoncent une manipulation. Or, les trotskistes croient alors qu’il s’agit d’une manifestation de haine dirigée directement contre le Parti des Travailleurs. Il semble en définitive qu’ils n’aient pas une véritable culture de la démocratie.
La recherche de l’efficacité, la peur de la scission, expliquent le fort encadrement du militantisme. Il semble toutefois que la notion de taylorisation politique soit insuffisante à définir le fonctionnement interne de l’OCI-PCI. En effet, s’en tenir à cela serait ne considérer que l’organisation formelle, soit l’organisation rationnelle, telle qu’elle a été planifiée. Et il reste à expliquer comment et pourquoi les individus peuvent tout à la fois structurer et subir le fonctionnement organisationnel en allant un peu au-delà du politique proprement dit.
B. LES LIMITES D’UN IDEAL-TYPE
1. Contre-société, contrôle social et orthodoxie
Le terme de « secte » est un des qualificatifs qui a le plus été employés à propos de l’OCI-PCI par les médias et par ses adversaires. Ce terme, qui est éminemment polémique, a globalement été rejeté par les historiens. Or, il faut bien comprendre qu’il a deux sens. Premièrement, un sens commun, qui ne saurait être applicable ici. Deuxièmement, un sens marxiste, que rappelle par exemple le révolutionnaire américain Hal Draper , qui renvoie à une organisation basant ses frontières sur des idées et un programme abstrait, coupé des luttes sociales. Il faut bien sûr préciser que son utilisation se situe dans un cadre polémique, et que ce n’est pas l’objet de mon discours. Toutefois, le rejet scientifique de cette notion ne doit pas faire passer sous silence, comme l’écrit Anne Morelli dans Militantisme et militants, que le comportement du militant, en particulier de gauche, est comparable au comportement religieux.
En premier lieu, on peut par exemple se poser la question de la dimension communautaire du parti. Ce thème a notamment été abordé par Annie Kriegel qui, dans Les communistes français, évoque un parti « devenu un mode et un milieu de vie ». Le concept de contre-communauté, notamment, est employé à propos du PCF par les historiens du communisme, et Annie Kriegel, dans Le pain et les roses, l’utilise pour qualifier la social-démocratie allemande. Il semble bien, en effet, à écouter les anciens militants, que leur militantisme relevait du même phénomène. Plusieurs militants évoquent les termes de « bocal », de « bulle », d’ « univers » ; il est vrai qu’il semble logique qu’un parti de masse, surtout s’il impulse un rythme militant effréné, devienne pour des milliers de militants un lieu de sociabilité exclusif, voire représente un milieu de vie attirant car alternatif et donnant l’impression d’échapper à un système que l’on rejette. C’est un peu le genre de conceptions que l’on retrouve chez certains anarchistes individualistes, partisans des « milieux libres » où l’on expérimente la société de demain. Il est vrai aussi que, encore aujourd’hui, quoique dans une moindre mesure, on assiste à une diabolisation du monde extérieur, du fait d’une culture politique propre à évoquer une bourgeoisie aux aguets, éventuellement coalisée avec ceux que les « lambertistes » appellent les pablistes (cad les militants LCR) et les staliniens. On évoque le complot contre l’OCI ou même le Parti des Travailleurs. Le parti acquiert ainsi une dimension quasi messianique, et ceux qui le quittent paraissent être passés de l’autre côté de la barricade, au point que l’on entretient leur rejet. Les ex militants évoquent ceux qui, encore 20 ans après, continuent à changer de trottoir en les voyant, et ils se rappellent d’ailleurs avoir fait de même. D’autre part, plusieurs ex militants rapportent les réprimandes et la désapprobation que peuvent susciter le désir d’accorder de l’importance à une vie de famille, de conserver des amours ou des amitiés en dehors du parti, surtout si celles-ci concernent des militants d’autres organisations. Toutefois, il me semble que plusieurs traits peuvent invalider cette notion de contre-communauté. En premier lieu : la taille de l’organisation, qui n’offre pas les structures multiples et variées (clubs de musique, de sport, associations culturelles, etc.) nécessaires à la resocialisation intégrale de ses militants. En deuxième lieu, et surtout, l’absence de volonté de la direction d’impulser une telle démarche contre-communautaire. En effet, il semblerait au contraire, comme j’ai pu l’écrire dans mon travail de Dea, que la hiérarchie du parti se soit régulièrement élevée contre l’association de la politique et de ce qu’un ex-militant appelle les « histoires sentimentalo-sexuelles ». Certes, il semblerait, comme l’a écrit Yves Coleman à propos de Lutte Ouvrière, qu’il s’agirait encore une fois de rendre l’engagement militant plus rentable politiquement, de la même façon qu’on reproche à Jan Valtin, dans Sans patrie ni frontières, d’avoir une compagne et qui plus est d’avoir une compagne non communiste. Mais aucun des ex militants que j’ai rencontrés ne fait part d’une tentative d’immixtion des cadres dirigeants dans sa vie personnelle et affective. Il semblerait donc que le terme de contre-société, qui renvoie moins à un principe d’autarcie, soit plus apte à qualifier l’organisation « lambertiste », et il semblerait également que les tendances communautaires conviennent plus particulièrement au monde des étudiants, à qui l’on impose, par souci de compenser l’absence d’exploitation ouvrière, le rythme militant le plus effréné, sans oublier de mentionner l’importance de l’UNEF-ID, et qui sont plus particulièrement touchés par le phénomène de mélange des sentiments, des relations sexuelles et du militantisme.
Dans un autre registre, les notions de contrôle social subjectif et d’orthodoxie semblent plus appropriées pour expliquer le caractère du militantisme au sein du parti. Alex Mucchielli définit le contrôle social comme « la capacité d’un groupe social à rendre effectives ses normes et ses règles, à faire en sorte qu’elles soient appliquées par ses membres » . Celui-ci peut d’une part être objectif, c’est-à-dire procéder d’un contrôle direct et conscient de la part de certains agents, et on a vu que c’est un phénomène très présent au sein de l’OCI-PCI, ou subjectif, c’est-à-dire faire suite à un « besoin de quiétude culturelle ». Il s’agirait dans ce cas d’une notion que je rapprocherais de celle d’orthodoxie. Jean-Pierre Deconchy qualifie d’orthodoxe un individu qui accepte - et même demande - que sa pensée, que son langage et que son comportement soient réglés par le groupe idéologique dont il fait partie et notamment par les appareils de pouvoir de ce groupe. Un groupe orthodoxe, c’est en fait un système social qui programme ce type de régulation.
Dans le cas de l’OCI-PCI, l’existence d’une culture orthodoxe peut expliquer, en même temps que la croyance au parti et que le manque de culture démocratique, l’inertie militante face aux contradictions entre théorie et pratique ou aux différentes exclusions qui ont marqué la vie de l’organisation. En effet, j’évoquais notamment dans mon mémoire le thème des statuts du parti, peu en accord en avec sa vie politique : d’abord, ce qui semble être une quasi impossibilité une tendance, et l’exclusion qui s’en suit généralement, ainsi que le rapportent l’intégralité des ex militants interrogés. On peut également évoquer les silences de ces statuts, qui sont restés inchangés de 1967 à 1991, sur le fonctionnement de certaines organes : on ne parle pas des rayons, des secteurs, de l’organisation de la vie en cellule. Peut-être plus grave encore, on ne parle pas du Bureau Politique : seul l’article V-5 y fait très implicitement référence en stipulant que « le comité central peut déléguer ses pouvoirs entre deux de ses sessions à un organisme et à un seul, qu’il désigne en son sein » . Enfin, il est notable de constater que les exclusions de militants de premier plan comme Michel Varga, Stéphane Just ou Pierre Broué n’ont pas donné lieu à beaucoup de contestation interne et surtout à peu de départs. A ce sujet, un ex militant, Vincent Présumey, qui n’était pourtant pas favorable à Just, affirme que si les militants avaient été fidèles à leur formation et à leurs idées initiales, ils l’auraient suivi ou auraient exigé sa réintégration. Il est certain effet que la « ligne de la démocratie » et l’orientation en faveur du PT à partir du début des années 80, qui représentent un tournant majeur dans la ligne défendue jusqu’alors, n’ont pas suscité une grande contestation, et le caractère très pyramidal de l’OCI ne peut apparaître comme un élément signifiant en soi. L’orthodoxie apparaît donc comme un élément constitutif de la culture politique lambertiste, peut-être issu de plusieurs éléments comme la volonté des individus de rationaliser un engagement prenant en affermissant leur sentiment de confiance, le sentiment qu’il n’existe aucune autre alternative politique ainsi que l’absence de culture démocratique ou encore leur attachement affectif à l’organisation ?
En tout état de cause, ce trait ne peut que mettre en lumière une certaine aliénation de la base militante donc la place inégale des individus au sein de l’OCI-PCI, une situation ne découlant pas obligatoirement de critères ou de nécessités politiques.
2. La place inégale des individus
La question du pourquoi du militantisme occupe régulièrement les chercheurs en sociologie politique, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder la question des rétributions. Au cours des interviews menées dans le cadre du Dea, les anciens dirigeants de l’OCI tels que Charles Berg, Pierre Broué ou même Boris Fraenkel ont par exemple insisté sur le rapport trouble du principal dirigeant de l’organisation avec l’argent. Toutefois, à défaut de sources tangibles et de témoignages d’autres militants pour étayer cette accusation, elle ne peut qu’en rester au statut de rumeur. D’autre part, il est litigieux de s’en tenir à une explication utilitariste. Si l’on ne saurait imaginer un individu militant dans une organisation sans que cela ne lui apporte aucun plaisir, s’il est certain que l’organisation doit apporter à l’individu des bénéfices individuels qui vont l’inciter à consacrer de son temps et de son énergie à la défense d’une cause, les rétributions du militantisme ne se réduisent pas à des rétributions matérielles. Il existe des récompenses immatérielles et le plaisir de militer, la satisfaction morale en font partie. Dans un article intitulé « Economie des partis et rétributions du militantisme » , Daniel Gaxie distingue deux types de rétributions individuelles. Tout d’abord les gratifications matérielles qui dépendent des capacités distributives de l’organisation. Il peut s’agir de responsabilités ou d’un poste de permanent au sein de la structure, d’un emploi, d’un poste dans l’appareil d’Etat lorsque le parti gagne une élection. Ensuite, on a les gratifications symboliques qui se situent à un niveau psycho-affectif. Ce sont la convivialité, l’estime, l’admiration, le prestige ou encore l’acquisition d’un savoir, la constitution d’un capital de relations sociales. Les satisfactions psychologiques sont nombreuses. Dans mon Dea, j’ai choisi de mettre l’accent sur la pulsion d’emprise, peu étudiée en psychologie, et à plus forte raison dans les sciences sociales, alors même que, puisqu’elle semble consacrer l’existence d’une aspiration inhérente à l’homme au pouvoir et à la domination, elle devrait apparaître comme un des thèmes fondamentaux de toute recherche sur le politique et a fortiori de tout projet politique. Elle pourrait ainsi apparaître comme le principal moteur des relations de pouvoir. A l’opposé, il y a cette fameuse soumission à l’autorité, qui peut être librement consentie, que l’on a déjà évoquée, et qui a été médiatisée par la célèbre expérience de Stanley Milgram.
L’expression de soi en milieu organisationnel dépend donc directement de la place qu’on occupe au sein du parti ou par rapport au parti, des possibilités et des obligations qu’elle confère, tout comme elle dépend de données individuelles comme le niveau d’étude, la culture, l’expérience, le caractère ou encore les motivations. Il y a, comme l’écrit Yvon Bourdet à propos du syndicalisme, différents types d’engagements militants : les « idéologues » (qui sont plus ou moins mus par des considérations morales), les « pratiques » (qui veulent défendre leurs intérêts) et les « affectifs » (qui ont agi sous influence). Néanmoins, une fois l’adhésion formalisée, tous les individus réagissent et participent à des phénomènes psychosociologiques qui apolitisent la démarche militante et mettent à mal la vision idéal-typique de l’organisation en allant au-delà de sa formalisation, en rompant le contrat qui en est la base. En l’absence de contrepoids, les militants organisés sont donc aliénés et dépendants, ils sont aussi inégaux et n’ont plus les mêmes motivations. Pour les militants de base, les rétributions du militantisme consistent essentiellement en l’intégration d’un cadre de socialisation, l’acquisition d’un savoir-faire militant, on devient le dépositaire et le représentant d’une tradition, d’un projet fondamental, qui peut faire office de substitut de personnalité. Cela, ainsi que les éventuels combat gagnés, tout comme cette satisfaction morale de participer à une grande œuvre, peuvent expliquer leur soumission à un pouvoir dont la ligne directrice n’est pas toujours politique. Pour les cadres intermédiaires et dirigeants, en effet, s’ajoute le plaisir d’avoir des responsabilités, de planifier de coordonner, de diriger, qui peuvent devenir une fin en soi.
Les explications psycho-affectives abondent dans les récits des ex militants eux-mêmes lorsqu’il s’agit d’expliquer les comportements de certains anciens camarades. On revient souvent sur la notion de petit chef, sur des comportements machos, ou simplement guidés par des préoccupations sexuelles.
Il est vrai que, dans le cas de l’OCI-PCI, les comportements individuels pourraient avoir d’autant plus d’importance qu’ils ne sont pas pris en compte par une doctrine et une culture politique axant les problématiques organisationnelles sur une dimension socio-économisante. De même, le manque de démocratie interne, dans le cadre d’un fonctionnement rigide et hiérarchisé, pourrait être un élément aggravant. Enfin, il faut également citer le cas particulier des permanents. Les permanents sont des « militants professionnels », « dans la définition léniniste d’un révolutionnaire professionnel » . Toutefois, ils modifient la structure du pouvoir, et ce à double titre.
D’une part leur rapport au militantisme est changé : d’abord parce que la vision de la réalité est altérée et s’idéologise ; ensuite parce que les motivations ne sont plus les mêmes. D’autre part, certains, en fonction de leur place dans l’organisation, pourraient être amenés à ne pas prendre position contre leurs supérieurs, qui sont aussi leurs employeurs. Il pourrait même s’instaurer une norme informelle de réciprocité de bonnes faveurs, propre à faciliter l’émergence d’une véritable classe de permanents. Rolande Trempé reprend notamment une partie de ces interrogations dans un article sur le mouvement ouvrier français . Il semble à cet égard que l’OCI-PCI ait bénéficié d’un important appareil de permanents par rapport à sa taille : si, d’après Charles Berg, il n’y avait qu’un demi-permanent au début des années 60, Stéphane Just en évalue le nombre à plus de 100 au moment de son exclusion, en 1984 . Il faut ajouter à cela les permanents des organisations de jeunesse successives (peut-être une dizaine au tournant des années 70) et surtout les permanents syndicaux qui, à en croire certains ex militants, accordaient une partie de leur temps à leur organisation politique, même si ceux-ci ne sont pas aussi dépendants vis-à-vis de l’organisation. Pour Stéphane Just, la qualité de permanents d’une bonne partie des militants du Comité Central joue dans le sens d’une subordination, à plus forte raison quand ils sont étudiants, car ils n’ont a priori aucun débouché professionnel en cas d’abandon de fonctions. Pour Charles Berg, être permanent est incompatible avec avoir des opinions.
Tous ces facteurs jouent dans le sens d’une altération du contrat et du projet organisationnel. Les comportements individuels, en lien avec la culture politique et la structure organisationnelle, représentent donc un facteur d’évolution de l’organisation, un facteur qui pourrait avoir beaucoup modelé l’organisation « lambertiste ». Les individus ont en définitive un rapport paradoxal à l’organisation, qui apparaît comme une structure aliénée, bâtie par les hommes mais leur échappant. Dans ce cadre, certains ex présentent implicitement leur exclusion ou leur départ comme une reconquête de leur libre arbitre face à une machine fonctionnant en cycle fermé. Il est vrai que l’OCI-PCI, en comparaison avec la Ligue, s’est remarquablement peu ouverte aux idées nouvelles : la doctrine politique est figée, associant histoire du bolchévisme et du mouvement ouvrier, le relais étant ensuite pris par l’histoire de l’organisation. Trotski est présenté comme un modèle indépassable. L’exclusion de Boris Fraenkel peut ainsi témoigner d’une grande méconnaissance d’auteurs comme Wilhelm Reich, condamné sans être lu. Plusieurs ex militants expriment notamment des regrets quant aux thématiques féministes, qu’ils auraient souhaité aborder ou intégrer au parti. La question des genres semble être perçue comme devant être résolue par la révolution, et Ariella Rothberg, militante lyonnaise, affirme même qu’il était interdit de fréquenter les réunions féministes. Plus encore, la quasi totalité des ex citent l’expression « pas un point, pas une ligne » pour désigner la volonté d’affirmer coûte que coûte l’actualité du Programme de Transition. Philippe ou Ludovic évoquent une lecture de Lénine « à la cisaille » pour prouver que les forces productives se sont transformées en forces destructives, ou encore que l’Europe est une création de l’impérialisme américain.
Néanmoins, si ce cadre théorique paraît infiniment rigide, il ne me semble pas que l’organisation « lambertiste » puisse être qualifiée de « parti passoire ». La plupart des ex-militants que j’ai interrogés sont restés autour de 8-10 ans. Ceci dit, il me paraît difficile de faire des statistiques à partir de 15 témoignages, d’autant que l’on a généralement tendance à interroger les ex les plus connus, qui sont souvent ceux qui y sont restés le plus longtemps. Néanmoins, il faut noter que l’OCI, du fait même de son intransigeance doctrinale, semble être restée en dehors du reflux militant de l’après 68, contrairement peut-être à la LCR. En revanche, et peut-être encore contrairement à la Ligue, la rigidité de la structure organisationnelle, qui rend le débat difficile, explique la violence de certaines exclusions et la difficulté à quitter l’organisation sereinement. La plupart de ceux que j’ai interrogés ont quitté l’organisation de leur propre chef, même s’il semble que leur départ était pour certains aussitôt transformé en exclusion. Le nombre d’exclusions, ramené à une période s’étalant sur une cinquantaine d’années, paraît toutefois assez important : plus d’un tiers de ceux que j’ai interviewés ou compte interviewer. A l’exception notable de Charles Berg, les ex militants, s’ils ne vouent pas un ressentiment féroce à l’égard de leur ancien parti, n’hésitent pas à le qualifier eux-mêmes de secte, à le condamner politiquement, tout en entretenant de bons souvenirs, notamment celui d’une formation politique de très bonne qualité, et ce même pour des individus issus de grandes écoles.
Conclusion
Pour conclure, je dirais donc que, à certains égards, l’organisation « lambertiste » est plus proche du Parti Communiste que de la LCR. Son apparent respect de la tradition en fait une intéressante porte de réflexion sur l’identité communiste et cela pose par là même la question de l’identité trotskiste. Toutefois, le militantisme au sein de l’OCI-PCI paraît à bien des égards beaucoup plus original, requérant un investissement et une intégration soutenus des individus, sans qu’il soit pour autant possible de parler d’organisation totale. Il devient dès lors intéressant de questionner la relation de ce mode de fonctionnement avec les mécanismes psychosociologiques. Je crois que c’est Milton Friedman qui disait que tout consommateur a un comportement de passager clandestin ; il me semble que c’est aussi le cas pour les consommateurs politiques comme les militants, tout en comprenant bien que les individus subissent peut-être plus qu’ils n’en initient des dynamiques qui échappent au contrat organisationnel.