Elles avaient été préparées par le nouveau pouvoir dès le début de l’ère Meiji. Poursuivant la politique engagée par les Tokugawa à la fin de leur règne, il s’était attaché à renforcer sa puissance militaire pour assurer ses projets de conquête coloniale : en 1873 il instaurait le service militaire obligatoire, contre lequel la population résistera longtemps le considérant comme un « impôt du sang »(ketsuzei), et lançait en 1874 une première expédition contre Formose (actuellement Taiwan).
La guerre sino-japonaise (1894-1895)
Puisqu’il ne s’agit pas ici de l’histoire nationale du Japon mais de l’histoire des classes laborieuses, nous ne remonterons pas aux relations troublées entre le Japon et la Corée, qui datent de plusieurs centaines d’années.
Notons simplement que la Corée n’avait accepté de reconnaître le nouveau pouvoir japonais qu’en 1876, par le traité de Kanghwa ; qu’en 1882, un putsch militaire, ayant entraîné la mort de conseillers militaires japonais et l’évacuation de la légation japonaise de Séoul, avait permis à la Chine de s’immiscer dans les affaires coréeennes après le rétablissement de l’ordre par une armée chinoise conduite par Yuan Shikai (2), qui s’octroie les pouvoirs civils et militaires. Enfin, qu’après que la légation japonaise eut, en 1884, soutenu le Parti réformateur coréen dans une tentative mal préparée de renverser le gouvernement dont l’armée chinoise était facilement venue à bout, Itô Hirobumi (3) et Li Hongzhang (4) signaient, en avril 1885, un traité à Tianjin (Chine) qui, sans accorder formellement l’indépendance à la Corée, prévoyait le retrait des armées chinoise et japonaise du pays.
La crise allait se dénouer dix ans plus tard. En 1894, la rébellion des Tonghak (« Enseignement de l’Orient »), un mouvement nationaliste paysan d’inspiration religieuse mêlant bouddhisme, taoïsme et confucianisme né au début des années 1860, soutenue par la société japonaise Gen.yôsha (Société de l’océan noir) (5), menace la monarchie coréenne, qui appelle à son secours la Chine et le Japon. Le Japon offre, dans un premier temps, à la Chine de s’occuper seule de cette affaire, tout en se préparant secrètement à intervenir. Le 23 juillet 1894, après avoir débarqué sur le sol coréen, les Japonais déposent la cour coréenne et, le 1er août, déclarent la guerre à la Chine. L’armée moderne japonaise ayant face à elle une armée chinoise sous-équipée et désorganisée, contraint la Chine à signer le traité de Shimonoseki (Japon) le 17 avril 1895.
Ce conflit de quelques mois aura des conséquences considérables pour les trois pays en cause. Pour la Corée, ce sera le commencement du processus qui aboutira à son annexion par le Japon en 1910 et à son industrialisation forcée. Pour la Chine, une nouvelle amputation de son territoire après la reddition de Hongkong en 1842 et la brève tentative des réformateurs de 1898. La victoire militaire du Japon incita, en effet, un regroupement d’intellectuels cantonnais à vouloir réformer la Chine des Qing sur le modèle du Japon de Meiji, mais leurs espoirs s’épuiseront en une centaine de jours en 1898 (voir encadré). Et entre 1894 et 1901, la Chine devra se plier au partage de ses zones côtières, plus accessibles que l’intérieur des terres, entre plusieurs puissances : la France au Sud-Ouest, la Russie et le Japon au Nord-Est, l’Angleterre dans la vallée du Yangzi, enfin l’Allemagne, et l’Angleterre encore, dans le Shandong.
Pour le Japon, cette guerre marquera le véritable commencement de son essor industriel. En premier lieu, les industries d’armement et les chantiers navals ont profité des commandes de l’armée, ainsi que l’industrie textile ; une usine de chanvre, par exemple, fondée en 1886 par l’Etat japonais, lui devra son développement. Ensuite, par le traité de Shimonoseki, le Japon obtiendra l’île de Formose (Taiwan), les îles Pescadores (actuellement Penghu) et l’ouverture de la Chine à son commerce. Par ailleurs, les indemnités de guerre de deux cents millions de taëls, trois fois le revenu annuel du gouvernement chinois, plus trente millions pour renoncer à occuper la péninsule du Liaodong (6), que la Chine lui versera, permettront au Japon de faire entrer sa monnaie dans l’étalon-or en 1897 et de financer le développement de son industrie lourde ; cette même année 1897, par exemple, c’est grâce à ces indemnités que l’Etat japonais fondera une des premières usines sidérurgiques modernes à Yawata, dans le Kyûshû. Enfin, le Japon mettra peu à peu la main sur les mines de charbon de Fushun et de fer d’Anshan (dans la province chinoise actuelle du Liaoning), et interviendra de plus en plus dans la construction de voies ferrées en Chine, soit par des investissements directs, soit par des prêts avantageux. Cet essor industriel s’accompagnera, cela va sans dire, d’un accroissement numérique de la classe ouvrière japonaise et de l’apparition de ses premières luttes de classe, dont il sera question dans la troisième partie.
L’entre-deux-guerres (1896-1904)
Dans la Russie tsariste, les provinces d’Extrême-Orient constituaient les bases de départ pour la conquête des territoires asiatiques : Mandchourie, Corée, Chine ou Tibet. Le premier accord passé entre le nouvel empereur japonais et le tsar dans cette zone géographique semble avoir été la cession du Japon à la Russie de ses droits sur l’île Sakhaline en échange des îles Kouriles en 1875. Toutefois, ces relations entre Etats dissimulent mal les sentiments anti-russes au Japon et anti-japonais en Russie ; la tentative d’assassinat du tsarévitch Nicolas (futur Nicolas II) par Tsuda Sanzô (1855-1891) à Ôtsu (préfecture de Shiga), le 11 mai 1891, exprime ce fort sentiment anti-russe dans une partie de la population et de l’armée japonaises.
C’est cependant après la signature du traité de Shimonoseki, qui mit fin à la guerre sino-japonaise, que la Russie devient directement un obstacle à l’expansion japonaise en Corée et en Chine. D’abord en s’opposant alors, aux côtés de la France et de l’Allemagne, aux visées du Japon sur la péninsule chinoise du Liaodong. Ensuite, en signant, en 1896, un traité d’alliance avec la Chine, dirigé implicitement contre le Japon, qui l’autorisait à construire une voie ferrée menant à Vladivostok à travers la Mandchourie. Puis en s’emparant de Port-Arthur (aujourd’hui Lüshun, dans la province chinoise du Liaoning) et Dalian (dans la même province) en décembre 1897, tandis que l’Allemagne avait pris possession, en octobre, de Qingdao et de la baie de Jiaozhou dans le Shandong (province chinoise que les Japonais avaient occupée en 1895, et dont ils avaient été forcés de se retirer à la fin de la guerre). Enfin, en obtenant le 27 mars 1898 un bail lui cédant Port-Arthur pour vingt-cinq ans (d’où elle avait, trois ans auparavant, aidé à exclure les Japonais), tandis que cette même année la France acquérait des droits de chemin de fer dans le Yunnan, la Grande-Bretagne la location d’une base à Weihaiwei (port du Shandong que les Japonais avaient dû évacuer en 1895), et l’Allemagne des privilèges économiques dans le Shandong.
Si la révolte des Boxers (7), en 1900, donne l’occasion au Japon de faire la preuve de ses capacités militaires, elle permet dans le même temps à la Russie de s’établir en Mandchourie et aux puissances européennes d’étendre leurs zones d’influence respectives. L’occupation de la Mandchourie par les Russes fait naître au Japon un fort parti pro-guerrier ; en 1900, seul dans la classe politique au pouvoir, Itô Hirobumi est en faveur de négocier avec la Russie les reconnaissances croisées de l’influence japonaise en Corée par la Russie et de l’influence russe en Mandchourie par le Japon.
Là-dessus, le 11 février 1902, la Grande-Bretagne et le Japon rendent publique une alliance militaire signée le 30 janvier, ostensiblement opposée à l’alliance franco-russe, qui affaiblit la position de la Russie en Asie. La Grande-Bretagne avait déjà été le premier pays, en 1894, à libérer le Japon des traités inégaux imposés au pays par les puissances occidentales à la fin du shôgunat et au début de l’ère Meiji ; et elle s’était refusé à s’associer, en 1895, à la Triple Intervention contre l’occupation de la péninsule du Liaodong par le Japon qui avait suivi le traité de Shimonoseki. Les liens économiques entre les deux pays et la rivalité anglo-russe dans le monde imposaient une telle alliance en Extrême-Orient (8).
D’autre part, à l’automne 1902, l’influence modératrice de Witte (1849-1915) et de Lamsdorf (1845-1907) est battue en brèche par celle de Bezobrazoff, qui avait fondé la Compagnie du Yalou (9) en 1901 destinée à exploiter les mines et les forêts de la zone frontalière entre la Manchourie et la Corée. Et le 18 avril 1903, Nicolas II réclame à nouveau un protectorat russe sur la Mongolie et la Mandchourie. A partir de juillet, Saint-Pétersbourg et Tôkyô échangeront des notes diplomatiques à ce sujet, tandis que la presse et les partis politiques poussent à la guerre des deux côtés.
Dès 1903, la quasi-unanimité de la presse et des partis politiques japonais prêchera la guerre contre la Russie. Le journal Tôkyô Nichi Nichi Shinbun (Le Quotidien de Tôkyô), ancêtre de l’actuel Mainichi Shinbun (Le Quotidien), proche d’Itô, était un des seuls à s’exprimer en faveur de négociations ; il finira cependant par se rallier au gouvernement en février 1904, après plusieurs interdictions administratives.
Il ne restera alors qu’un petit cercle de chrétiens et de socialistes regroupés dans une association créée en octobre 1903, la Heiminsha (La société du peuple), pour élever la voix en faveur de la paix. Cette société éditera deux périodiques avant sa dissolution le 9 octobre, peu après la ratification du traité de Portsmouth (5 septembre 1905) qui met fin à la guerre russo-japonaise : le Heimin Shinbun (Le Journal du peuple) du 15 novembre 1903 au 29 janvier 1905, puis le Chokugen (Franc-parler). Nous reviendrons sur l’activité de ce groupe dans la troisième partie.
La guerre russo-japonaise (1904-1905)
Le 5 février 1904, le Japon rompt brutalement toute relation diplomatique avec la Russie. Et, le 6, engage les hostilités sans déclarer formellement la guerre. L’histoire a particulièrement retenu deux noms dans cette guerre, synonymes de la défaite russe : Port-Arthur et Tsushima. C’était la première fois, dans les temps modernes, qu’une puissance européenne était vaincue par une puissance asiatique.
Mais la victoire du Japon fut difficile : c’est uniquement après un très long siège que Port-Arthur tombera le 1er janvier 1905 ; et la flotte russe de la Baltique commandée par l’amiral Rojestvensky (1848-1909), quoique fatiguée par un périple de plus de sept mois qui l’avait vue contourner l’Afrique sans autre ordre que celui de se rendre à Vladivostok, ne fut vaincue le 27 mai 1905, dans le détroit de Tsushima qui sépare l’île japonaise de Tsushima de la Corée, qu’après d’âpres combats. De surcroît, les batailles en Mandchourie, si elles apportaient leur lot de victoires, n’étaient pas non plus aisées.
La crainte d’avoir à soutenir une guerre longue en Mandchourie, le manque de capitaux et une dette extérieure déjà importante sont quelques-unes des raisons pour lesquelles les dirigeants japonais faisaient savoir secrètement au président américain Theodore Roosevelt, le 31 mai 1905, quelques jours après la victoire de Tsushima, qu’ils étaient prêts à négocier avec la Russie.
Le gouvernement américain s’empressa d’accepter le rôle de médiateur qu’on lui proposait. Les Etats-Unis, qui commençaient à compter en Extrême-Orient après leur prise de possession de Hawaï et des Philippines en 1898, voyaient au début favorablement la rivalité entre le Japon et la Russie, l’équilibre des forces leur paraissant profitable à leur commerce dans la région. Mais la victoire du Japon compromettait maintenant leurs intérêts.
Je daterais de cette année 1905 le début du conflit entre les Etats-Unis et le Japon, qui sera provisoirement résolu avec la défaite japonaise de la deuxième guerre mondiale. Parce que si le second savait depuis 1853 et l’arrivée du commodore Perry dans la baie d’Uraga (10) qu’il lui faudrait un jour affronter ouvertement les premiers, c’est seulement après la guerre russo-japonaise que les Etats-Unis s’inquiétèrent de la montée en puissance du Japon.
Quant à la Russie, ses problèmes intérieurs l’incitaient à en finir au plus vite avec la guerre et pouvoir ainsi rapatrier son armée pour mater les grèves ouvières qui s’étendaient (voir encadré p. 42).
Le 5 septembre 1905, la ratification du traité de Portsmouth (Etats-Unis), signé le 29 août, met fin à la guerre russo-japonaise. Il reconnaît la victoire des armes en entérinant l’occupation japonaise de la Corée et de la péninsule chinoise du Liaodong, mais n’accorde au Japon que la moitié sud de l’île de Sakhaline et aucune indemnité de guerre. Une manifestation au parc Hibiya à Tôkyô, convoquée le même jour par des groupes nationalistes opposés au traité dégénère en émeute à la suite de l’intervention de la police (Hibiya yakiuchi jiken, l’affaire de l’émeute de Hibiya) et entraîne la proclamation de la loi martiale que le gouvernement mettra à profit pour interdire plusieurs journaux socialistes, dont Chokugen (Franc-Parler). Les troubles qui suivirent la ratification du traité de Portsmouth allaient introduire une nouveauté dans la vie politique japonaise, la chute d’un cabinet ministériel sous la pression de la rue : le 7 janvier 1906, le premier cabinet Katsura devait céder la place.
Luttes de clans au Japon au sein du gouvernement
Nous avons déjà souligné le rôle joué par quatre clans féodaux : Chôshû, Satsuma, Hizen et Tosa, dans la restauration de Meiji et la modernisation du Japon. Très rapidement les deux premiers s’empareront du pouvoir au détriment des seconds ; le clan de Tosa sera écarté du pouvoir au début des années 1870, et celui de Hizen une dizaine d’années après (11). Domination politique que les Japonais décrivent sous le terme de Satchô, composé des premières syllabes respectives de Satsuma et de Chôshû. La rivalité entre ces deux anciens clans éclaire toute l’histoire politique et militaire du Japon jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ainsi, pour prendre un exemple, contrairement à l’image lisse d’une homogénéité nationale que les politiciens et idéologues japonais veulent donner de leur pays, de nombreux historiens n’ont pas manqué de noter l’absence de coopération, même au plus fort de la guerre du Pacifique (1941-1945), entre l’armée de terre et la marine ; or, elle s’explique principalement par le recrutement majoritaire des chefs de l’armée de terre dans l’ancien fief de Chôshû et de ceux de la marine dans celui de Satsuma.
A la fin du XIXe siècle, il ne restait de tous ceux ayant participé directement à la restauration de Meiji que Yamagata Aritomo (1838-1922) et Itô Hirobumi (1841-1909), tous deux nés dans l’ancien fief de Chôshû et néanmoins rivaux depuis 1890, quand Yamagata, alors premier ministre, s’était prononcé contre l’intervention de la Diète et des partis politiques dans les affaires de l’Etat. A l’origine, les partis politiques de gouvernement au Japon n’avaient aucune base populaire ; c’était de simples regroupements d’alliés ayant pour seul programme la recherche du pouvoir et de ses prébendes. L’un des motifs de la formation de l’Aikokukôtô (Parti public des patriotes) et de la Risshisha (Société des gens déterminés), par exemple, résidait dans la rivalité entre les clans de Tosa et Hizen, d’un côté, et ceux de Satsuma et Chôshû, de l’autre. La promulgation de la Constitution en 1889 fit perdre leur cheval de bataille aux principaux partis, et il ne resta bientôt que deux partis importants comiquement nommés Kenseitô (Parti constitutionnel) et Kenseihontô (Vrai Parti constitutionnel), dont la filiation est brièvement condensée dans le tableau p. 36.
Vers la fin de 1893, le Jiyûtô d’Itagaki Taisuke et le Kaishintô d’Ôkuma Shigenobu s’étaient séparés, le second étant partisan, contrairement au premier, d’une intervention militaire dans la question de la Corée. Et en 1895, le Jiyûtô s’était rapproché d’Itô Hirobumi, alors premier ministre, qui avait été contraint de se plier à la Triple Intervention au sujet du Liaodong. C’est pourquoi Itô, qui avait interdit les partis en 1884 alors qu’il était au pouvoir, soutint en 1898, contre Yamagata Aritomo, le premier gouvernement de partis au Japon qui donna naissance au cabinet éphémère Ôkuma-Itagaki (30 juin-8 novembre 1898), le dernier formé par les anciens fiefs de Tosa et Hizen.
Toutefois, l’échec de ce cabinet ramènera Yamagata au pouvoir, qui gouvernera en graissant la patte de membres de la Diète. Il fera passer une loi sur l’impôt foncier, un budget militaire en forte expansion et une réforme soustrayant l’administration à toute influence des partis, consolidant par là l’autonomie de la bureaucratie ; la corruption des politiciens et l’autonomie de la bureaucratie restent, aujourd’hui encore, des traits marquants de la vie politique japonaise.
Itô fondera le 16 septembre 1900 la Rikken seiyûkai (Association des amis du gouvernement constitutionnel), pour lutter contre Yamagata, qui lui servira à revenir au pouvoir du 18 octobre 1900 au 1er juin 1901. Mais à la chute du cabinet Itô, Yamagata décide de rester en coulisses et de pousser un de ses protégés, Katsura Tarô (1847-1913) issu de l’ancien fief de Chôshû. Itô, de son côté, soutiendra Saionji Kinmochi (1849-1940), noble de Kyôto. De 1901 à 1913, Katsura et Saionji exerceront alternativement les responsabilités gouvernementales, sans conflit ouvert. Cette pratique des vieilles générations de se partager le pouvoir par jeunes générations interposées se retrouve, comme la corruption des politiciens et l’autonomie de la bureaucratie, dans le Japon moderne : les premiers ministres sont nommés soit grâce au soutien d’un clan du Parti libéral démocrate (Jiyû minshû tô) ou, comme Koizumi Jun.ichirô par exemple, le premier ministre actuel, par défaut de pouvoir d’un seul clan. Cette pratique exige fatalement de chaque faction des sommes d’argent énormes et rend inévitable la corruption endémique des politiciens japonais, dont la tâche principale se réduit à trouver les fonds nécessaires pour payer leurs clientèles.
J.-P. V.
La situation de la classe laborieuse au Japon dans Echanges :
I. Introduction. La bureaucratie. Les employeurs. Les travailleurs
n° 107, hiver 2003-2004, p. 37.
II. La guerre sino-japonaise (1894-1895). L’entre-deux guerres (1896-1904). La guerre russo-japonaise (1904-1905). Lutte de clans au sein du gouvernement
n° 108, printemps 2004, p. 35.
III. Avant 1914 : La composition de la classe ouvrière. La discipline du travail et l’enseignement. Industrialisation et classe ouvrière . Les luttes ouvrières. Les syndicats
n° 109, été 2004, p. 25.
IV. Les origines du socialisme japonais : Le socialisme sans prolétariat. Ses origines intellectuelles japonaises, le bushidó. Ses origines intellectuelles étrangères. Marxisme contre anarchisme
n° 110, automne 2004, p. 25.
IV bis. Chronologie juillet 1853-août 1914
n° 112, printemps 2005, p. 18.
V. Bouleversements économiques et sociaux pendant la Grande Guerre. Un ennemi : l’Allemagne. Le commerce. L’industrie. La classe ouvrière. Les Coréens au Japon
n° 114, automne 2005, p. 32.
VI. Les grèves pendant la première guerre mondiale. Les conflits du travail de 1914 à 1916. Un tournant : 1917-1918. Les émeutes du riz .
n° 115, hiver 2005-2006, p. 41
VII. La dépression de 1920-1923. Le grand tremblement de terre du Kantô. La crise bancaire de 1927. La crise de 1929
n° 117, été 2006, p. 39.
VIII. Entre première et deuxième guerres mondiales. Le taylorisme. Les zaibatsu. La lutte des classes. Les Coréens
n° 119, hiver 2006-2007, p. 24.
IX. Les origines réformistes du syndicalisme ouvrier. Parlementarisme et syndicalisme. Les conflits entre syndicats prennent le pas sur la lutte de classes. La guerre contre la classe ouvrière
n° 121, été 2007, p. 21.
X. Les travailleurs des campagnes. Les Coréens. Les burakumin. Patronat et fonctionnaires. Les yakuza n°124, printemps 2008, p. 23.]
XI. Les partis de gouvernement. Les socialistes. Les anarchistes. Le bolchevisme.. - Osugi Sakae. - Kawakami Hajime. - Katayama Sen.
XII, 1. Qu’est-ce que la littérature prolétarienne ? Les écrivains prolétariens japonais. Les Semeurs. Revues et organisations.
XII, 2. Le roman prolétarien
NOTES
(1) Voir Echanges n° 107, p. 42 et 44.
2) Yuan Shikai (1859-1916) trahit en 1898 le mouvement réformiste (voir encadré p. 40). Après la révolution chinoise de 1911 qui met fin à la dynastie des Qing (1644-1911), il devient, en 1912, le premier président de la république, et tente en 1915 de fonder une nouvelle dynastie impériale en se proclamant empereur de Chine. Il meurt subitement le 6 juin 1916.
(3) Itô Hirobumi (1841-1909), alors qu’il était Premier ministre, avait interdit la formation des partis politiques en 1884. Il soutient néanmoins, en 1898, le premier gouvernement de partis du Japon, le cabinet Itagaki Taisuke-Ôkuma Shigenobu (30 juin-8 novembre 1898), puis en 1900, fonde avec des membres du Kenseitô (Parti constitutionnel) la Rikken seiyû kai (Association des amis du gouvernement constitutionnel) (voir tableau ci-contre). En novembre 1905, il sera le Résident général (Tôkan) du nouveau protectorat japonais de Corée. Opposé à une annexion pure et simple de la Corée, il est assassiné à Harbin (Mandchourie) par un nationaliste coréen, certainement manipulé par les services secrets japonais ; cet attentat servit de prétexte au gouvernement japonais pour annexer la Corée sous son ancien nom de Chôsen (Matin calme) par un décret impérial du 23 août 1910.
(4) Li Hongzhang (1823-1901) lutta contre la rébellion des Taiping (1851-1864) qui avaient établi un royaume inspiré par le christianisme dans le sud de la Chine, avec Nanjing (Nankin) pour capitale. Partisan du renforcement de la nation chinoise par sa modernisation, il se vit paradoxalement acculé par les événements à signer avec les puissances étrangères de nombreux traités, qui accordèrent à chacune une partie du territoire chinois : traité de Shimonoseki du 17 avril 1895, qui reconnaît la prise de Formose (Taiwan) et des îles Pescadores (actuellement Penghu) par le Japon ; seconde convention de Pékin (Beijing) du 9 juin 1898, qui accorde à la Grande-Bretagne un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans sur les Nouveaux Territoires à Hongkong ; et traité de Pékin de 1901 qui suit la défaite des Boxers et concède aux puissances occidentales et à la Russie des facilités de commerce en Chine.
(5) Société nationaliste fondée en 1881 à la faveur du Mouvement pour la liberté et le droit des peuples (Jiyûminken undô [1881-1885]), mouvement de protestation qui réclamait une Constitution et un Parlement. Son nom fait référence au détroit qui sépare l’île de Kyûshû de la Corée, le Genkainada. Dirigée par Tôyama Mitsuru (1855-1944), la société Gen.yôsha évoluera vers l’ultra-nationalisme après la promulgation de la Constitution (1889) et l’élection du Parlement (1890) ; favorable aux guerres sino-japonaise et russo-japonaise, et à l’annexion de la Corée, elle intervient aussi directement sur le terrain en Chine et en Corée. La société Gen.yôsha sera dissoute en 1946.
(6) Après la signature du traité de Shimonoseki (17 avril 1895), qui mit fin à la guerre sino-japonaise, la Russie, l’Allemagne et la France (la Triple Intervention) obligèrent le Japon à renoncer à ses ambitions d’occuper la péninsule chinoise du Liaodong.
(7 Les Boxers (Yihetuan en chinois, « Les poings de la justice et de la concorde ») étaient une société secrète xénophobe, soutenue en sous-main par l’impératrice Cixi (1835-1908). Le 30 décembre 1899, leur révolte débute par l’assassinat d’un missionnaire britannique. Le 14 août 1900, ils encerclent le quartier des légations à Pékin. La rapidité de l’intervention du Japon lors du siège des légations démontrera aux Occidentaux l’efficacité de l’armée japonaise et fera naître leurs inquiétudes face à cette nouvelle puissance.
8) L’alliance entre le Royaume-Uni et le Japon sera renouvelée le 12 août 1905, peu avant la fin de la guerre russo-japonaise, puis le 13 juillet 1911, mais cette fois-ci avec d’importantes modifications, dont la première était que la Grande-Bretagne excluait toute assistance militaire au Japon en cas de conflit entre ce pays et les Etats-Unis. Elle perdit ensuite sa raison d’être, car dans le nouvel ordre mondial de ce début du xxe siècle, la Russie, contre laquelle l’alliance avait été conclue originellement, ne représentait plus aucun danger ni pour la Grande-Bretagne ni pour le Japon.
(9) Le Yalou est le fleuve qui sert de frontière entre la Corée et la Chine. C’est sur ses bords que les Japonais défirent les Chinois en 1894 et les Russes en 1904.
(10) Voir Echanges n° 107, p. 39-40.
(11) Itagaki Taisuke (1837-1919), actif dans le Jiyûminken undô (Mouvement pour la liberté et les droits du peuple [1881-1885]) et fondateur en décembre 1880 du Jiyûtô (Parti libéral). Originaire du fief de Tosa, il s’était retiré du pouvoir en 1874 en désaccord avec les partisans des négociations avec la Corée. Il est à l’origine du premier parti politique au Japon, l’Aikokukôtô (Parti public des patriotes). Ôkuma Shigenobu (1838-1922), originaire du fief de Hizen, qui soutenait le combat politique d’Itagaki à l’intérieur du gouvernement, sera écarté du pouvoir en 1881 et fondera le Rikken kaishintô (Parti constitutionnel progressiste) en 1882 (voir tableau p. 36).
ANNEXES
Les Cent Jours des réformes en Chine (11 juin-21 septembre 1898)
Le traité de Shimonoseki, signé le 17 avril 1895, qui mettait fin à la guerre sino-japonaise, devait être ratifié le 8 mai par des plénipotentiaires chinois et japonais. Le 22 avril, 80 candidats cantonnais qui se trouvaient à Beijing (Pékin) pour passer l’examen triennal de jinshi (docteur, degré suprême aux examens impériaux), emmenés par Kang Youwei (1858-1927) et son disciple Liang Qichao (1873-1929), adressent une pétition à l’empereur, l’adjurant de dénoncer le traité. Elle est très rapidement signée par des milliers d’intellectuels. Le fait est extrêmement rare dans l’histoire de la Chine d’un candidat aux examens impériaux se permettant d’intervenir dans les affaires de l’Etat ; c’est ce qui allait faire de Kang Youwei le chef naturel des réformateurs. Il venait de la région cantonnaise, où dès la fin des années 1880 une élite chinoise commençait à se former au contact de Hongkong et Guangzhou (Canton) ouverts aux étrangers. En 1888, de passage à Beijing, il avait déjà rédigé un mémoire pour l’empereur Guangxu (1871-1908) et l’impératrice douairière Cixi (1835-1908), détentrice du pouvoir réel de 1861 à 1908. Cette première lettre à l’Empereur proposait de régénérer la Chine en prenant pour modèle le Japon de Meiji. Mais elle ne parvint jamais à ses destinataires, bloquée par la censure impériale. Le 2 mai 1895, dans une deuxième lettre à l’Empereur (1), véritable manifeste rédigé en termes bouddhistes et confucianistes, Kang Youwei propose plusieurs réformes, dont certaines seront mises à l’essai durant les Cent jours en 1898. Le 22 mai, une troisième lettre à l’empereur résume les arguments de Kang Youwei et supprime les références au traité de Shimonoseki ; celle-ci atteindra son destinataire, par l’intermédiaire de Weng Tonghe (1830-1904), le précepteur de l’empereur. Enfin, le 30 juin, une quatrième lettre évoque la constitution d’un système représentatif, composé de personnalités élues par leurs pairs, chargées de conseiller l’empereur.
Guangxu, enclin aux idées réformatrices, rêvait depuis le début des années 1890 de devenir le Mutsuhito (l’empereur Meiji) de Chine. Sur les conseils de Weng Tonghe, il avait lu des essais de Feng Guifen (1809-1874), qui vers 1860 préconisait l’étude des sciences occidentales en vue de les adapter aux principes moraux chinois. Mais en 1895, Guangxu, qui envisageait de mener plusieurs réformes (extension du réseau des chemins de fer et de l’exploitation des mines, introduction dans le système éducatif de l’étude des sciences occidentales, mise à disposition du système postal à l’ensemble de la population...), se contenta de demander l’avis des gouverneurs provinciaux. Ceux-ci rechignèrent à répondre, et les choses en restèrent là momentanément.
A l’hiver 1897, Kang Youwei revient à Beijing bien décidé à mettre en œuvre ses idées réformatrices. Les trois mémoires qu’il rédigera au début 1898 seront directement transmis à l’empereur par Weng Tonghe. Le 11 juin, Guangxu décrète la mise en œuvre de réformes voulues par Kang Youwei et Liang Qichao dans leur pétition de 1895 ; le 16, il accorde une entrevue à Kang Youwei qu’il charge de lui transmettre directement ses rapports, sans passer par la voie officielle.
L’empereur émit plus d’une centaine de décrets touchant tous les domaines, de l’économie à l’éducation, durant les Cent jours, et créa un bureau chargé de traduire les ouvrages en langues occidentales qu’il jugeait utiles à son activité réformatrice. Mais il restait isolé, entouré d’intellectuels inexpérimentés, et devait affronter l’hostilité de la famille impériale et de l’aristocratie mandchoue, avec à leur tête l’impératrice douairière Cixi. Le 15 juin, Cixi obtient le renvoi de Weng Tonghe ; le 15 septembre, elle somme son neveu de limoger les réformateurs. Guangxu, comprenant qu’il était perdu s’il ne réagissait pas immédiatement, ordonne à Yuan Shikai, qui commandait une troupe entraînée à l’européenne stationnée aux portes du palais, d’arrêter Cixi et ses partisans. Mais celui-ci décide de se ranger du côté de Cixi, qui fait occuper les portes du palais le 21 septembre et s’empare de Guangxu qu’elle maintiendra jusqu’à la fin totalement coupé du monde extérieur. Kang Youwei et Liang Qichao ne devront leur salut qu’à leur fuite à la légation d’Angleterre, d’où ils pourront plus tard partir en exil au Japon. Le coup d’Etat de Cixi mettait provisoirement fin au projet de réforme par en haut sur le modèle du Japon de Meiji. Mais les Cent Jours laissèrent tout de même des traces. Ils inaugurent une nouvelle période dans la culture chinoise, celle des idéologies. Peu à peu, le système éducatif s’écarte des traditions, s’ouvre à l’étude des cultures occidentales ; et le passage des examens, reposant sur l’étude des quatre classiques confucéens, instauré en 1656, est aboli en 1905. Des groupes d’étude naissent qui se transforment rapidement en sociétés politiques semi-clandestines. Enfin, journaux et revues paraissent en grande quantité qui, s’il est difficile de savoir dans quelle mesure ils touchent la population dans son ensemble, forment tout au moins une intelligentsia qui sera à l’origine de la révolution de 1911 (2).
(1) Kang Youwei : Manifeste à l’Empereur adressé par les candidats au doctorat, trad. fr. par Roger Darrobers, éd. You-feng, 1996. (2) Voir Hao Chang, « Intellectual change and the reform movement, 1890-8 », in The Cambridge History of China, vol.11, Late Ch’ing 1800-1911, part 2, 1980, p. 274-338.
Russie 1905
L’historiographie établit généralement un lien de cause à effet entre la victoire du Japon et la révolution de 1905 en Russie. S’il est indéniable que la mobilisation de l’armée russe et sa défaite face au Japon a pu encourager les grèves à s’étendre, les événements de 1905 en Russie ne sont pas le résultat de la guerre. Ils sont l’aboutissement d’une période de luttes ouvrières qui avait commencé dans les années 1880-1890 avec l’industrialisation de la Russie (1) : en janvier 1885, les tisserands d’Otiékhovo (région de Moscou) s’étaient mis en grève pour protester contre des réductions de salaires.
En mai-juin 1896, près de 35 000 ouvriers du textile en avaient fait autant, pour les mêmes raisons, à Saint-Pétersbourg. En 1897, le Caucase et les pays baltes s’embrasaient à leur tour pour de meilleures conditions de travail après la promulgation le 14 juin d’une loi fixant la durée maximale de la journée de travail à 11 heures 30. De 1902 à 1905, le prolétariat industriel reprend le combat de façon quasi ininterrompue, en réaction à la crise économique mondiale de 1900-1903 qui atteint durement l’industrie russe en plein essor, entraînant concentrations d’entreprises et licenciements. Les grèves touchent l’Ukraine et le Caucase en 1902 ; en 1903 et 1904, le sud de la Russie. Et en décembre 1904, Bakou. Le tsarisme oblige alors les employeurs à indemniser les accidents du travail et crée dans chaque fabrique un poste de délégué ouvrier (starosta). Il ira même jusqu’à favoriser la formation de syndicats sous l’égide de la police ; mais le jeu est dangereux et l’idée abandonnée.
Le 16 janvier 1905 (2), les usines Poutilov de Saint-Pétersbourg se mettent en grève (3). Le 9/22 janvier, le pope Gapone prend la tête de 200 000 manifestants pour porter une pétition au tsar ; le rôle trouble du pope, certainement un provocateur payé par la police, et son attitude loyaliste n’empêchent pas les cosaques de tirer sur la foule. Le « dimanche sanglant » sera suivi d’une extension des grèves dans les principales villes et de troubles dans les campagnes. Le 14 mai, la partie de la Pologne sous domination russe se met aussi en grève. Le 27 juin, les marins du cuirassé Potemkine s’insurgent à Odessa. Cette mutinerie partie d’une futilité - la nourriture à l’armée n’est de toute manière pas réputée pour sa qualité - deviendra un symbole qui estompera l’aspect prolétarien de la révolution de 1905.
Le 2 octobre, les typographes se mettent en grève à Moscou ; à la fin du mois, les imprimeurs à Saint-Pétersbourg. Et du 23 au 30, une grève générale commencée à Saint-Pétersbourg s’étend à toute la Russie. Au milieu de cette agitation naît, le 26 octobre, le soviet de Saint-Pétersbourg, imité bientôt dans d’autres villes. Ces soviets n’ont évidemment pas grand-chose à voir avec ceux de 1917, qui ne seront pas des organisations de classe mais le champ clos des luttes entre partis. Les soviets de 1905 organisent la classe ouvrière, qui n’est pas encore divisée en syndicats et en partis parce que le tsarisme en avait entravé la formation (4).
Dans une de ses premières décisions, le soviet de Saint-Pétersbourg décide d’établir la journée de huit heures ; le 14 novembre, c’est la grève générale. Il semble que ce jour-là les ouvriers de toute la ville aient quitté les ateliers à une heure déterminée d’avance et refusé de travailler plus de huit heures. Entre-temps, de la fin octobre au début décembre, les marins de Cronstadt se mutinent. Le 18 novembre, les travailleurs de la poste et des télégraphes paralysent toute la Russie. Mais le pouvoir, qui vient de libérer son armée des champs de bataille d’Extrême-Orient, réagit : il décrète l’état de siège en Pologne et arrête le comité exécutif du soviet de Saint-Pétersbourg au début décembre. Le 20, une ultime grève générale éclate à Moscou, mais elle ne pourra pas s’opposer à la répression qui durera du 23 décembre 1905 au 1er janvier 1906.
(1) Voir Rosa Luxemburg, Massenstreik, Partei und Gewerkschaften (il en existe deux traductions françaises sous deux titres légèrement différents, l’une aux éditions Spartacus et l’autre aux éditions Maspero), 1906 ; et Michel Laran, Russie-URSS, 1870-1970, éd. Masson et Cie, collection « Un siècle d’histoire », 1973.
(2) Dates selon le calendrier grégorien qui ne sera adopté qu’en 1917. Le calendrier julien a un retard de treize jours sur celui-ci ; on trouve ainsi la date du 3 janvier pour le début de la grève des usines Poutilov, si l’on prend pour base le calendrier julien.
(3) Voir Patrick de Laubier, La Grève générale en 1905. Le Mythe français et la réalité russe, éd. Anthropos, 1979.
(4) Voir Oskar Anweiler, Les Soviets en Russie, 1905-1921, éd. Gallimard, 1972.