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1995 - 5 : La déconnexion

mercredi 21 juillet 2004

Sommaire 1995 - 1 : Avant l’explosion : que faisait-on vivre au prolétariat ?

LA DÉCONNEXION - DES JOURNÉES CRUCIALES DU 9 au 13 DÉCEMBRE

FACE A DES SIGNES DE RADICALISATION

(dans les méthodes de lutte et le fait que les manifestations destinées habituellement à épuiser les luttes soient de plus en plus imposantes), les syndicats fixent le limites à ne pas dépasser (et elles ne le seront pas) et entament les discussions et manœuvres qui vont peu à peu désagréger le mouvement.

* 9 décembre - Manœuvres syndicales. Après les entrevues avec le ministre du travail, FO ne demande plus le retrait du plan de réforme de la Sécurité sociale car il aurait « reçu des assurances ». Ainsi se prépare en douceur le débranchement de l’aile marchante du mouvement, motivée par des revendications catégorielles, d’un mouvement général de contestation, pas seulement de la Sécu, mais porteur d’un ras-le-bol général contre le système d’exploitation. Il est temps car les signes d’une radicalisation continuent : poste d’aiguillage central occupé à la gare du Nord de Paris, l’aéroport de Roissy bloqué deux heures alors que les contrôleurs aériens sont en grève (aéroports de Marseille et Montpellier fermés, la Banque de France toujours en grève notamment les services d’impression des billets de banque, le port de Dieppe bloqué par les services du port, les ferries bloqués à Cherbourg, à Agen le député-maire est séquestré par les employés communaux, de l’huile est répandue sur l’autoroute à Thionville, ailleurs les barrages ouvrent les péages, un sabotage dans une centrale nucléaire près de Bordeaux...

* 10 décembre - Des manifestations importantes en province à Bordeaux (20 000), à Caen (30 000) à Narbonne (2.500), à St.-Brieuc où d’important contingents du privé rejoignent les manifestants du secteur public. Mais, le travail de sape de la force du mouvement par la division de l’unité de la lutte continue. Le premier ministre accepte un « sommet social » aussi vague et creux que dissuasif et « recule » sur les retraites des régimes spéciaux. Les syndicats sautent sur l’opportunité qui leur est ainsi offerte (ou négociée dans la coulisse) pour prévenir une généralisation de la lutte dont ils ne veulent pas : la CGT : « ..ouvert la porte, le gouvernement a fini par comprendre », FO : « c’est une avancée » ; CFDT « c’est une situation nouvelle pour les cheminots comme pour les agents de la RATP » Les positions des directions syndicales commencent à descendre au niveau des assemblées générales notamment à la SNCF où des tensions commencent à apparaître entre partisans de la reprise vu « qu’on a gagné » et de la grève (on ne lâche pas tous ceux qui « comptaient sur nous »)

* 11 décembre - Les concessions des discussions du week-end aux HBL - une prime de fin d’année de 2 000 F, une courte augmentation des salaires et 1 jour supplémentaire de congé autorisent l’intersyndicale à lancer l’ordre de reprise qui est suivi (sauf dans un puits) dans l’amertume (« un mineur : « on a fait une grève pour rien ») mais suivi quand même. Pendant toute la période de montée du mouvement, le gouvernement a pris bien soin d’éviter tout affrontement qui risquerait de mettre le feu aux poudres : débrancher la violence de Merlebach est essentiel, bien que la pratique syndicale présente de « démocratie directe » permet d’avoir un certain contrôle des actions de base ; un accord tacite s’est ainsi établi entre le freinage des actions plus violentes et la « tolérance » par les forces de répression d’un certain niveau de violence (dans le contexte au plus fort de la lutte, toute répression violente aurait eu un effet explosif ; par exemple dans le fait qu’à aucun moment des tentatives ne furent entreprises pour faire circuler des trains où la timidité dans l’organisation de transports de remplacement) . La Fédération des Agents de conduite (plus du tiers des conducteurs SNCF) commence à sonner la retraite en affichant publiquement l’ordre de reprise. De fait il sera suivi par ses adhérents, première rupture non seulement par rapport à l’ensemble du mouvement, mais aussi par rapport aux assemblées générales qui se trouveront divisées par catégories professionnelles.

* 12 décembre - Il est temps de stopper car, comme précédemment, loin d’épuiser les grévistes et ceux qui les soutiennent sans pouvoir s’engager directement dans la lutte, les manifestations prennent l’ampleur d’une offensive politique dans la rue dont on voir mal jusqu’à quel affrontement elle peut conduire et dont les « corps constitués » colonne vertébrale du système d’exploitation, centrales syndicales en avant, ne veulent absolument pas . Ce jour là, malgré la propagande insidieuse des « organisations représentatives », plus de 2 millions sont dans la rue dans toute la France, 100 000 à Toulouse (dont 8 000 de l’Aérospatiale), 150 000 à Paris, même dans de petites villes, 1 500 à Rochefort (27 000 habitants), 700 à Ancenis (7 000 habitants). A Toulon le geste hostile d’un élu FN provoque presque une émeute, à Belfort la permanence RPR est attaquée et les grévistes d’Alsthom allument des feux devant la mairie et malmènent quelque peu des élus, Le Havre est complètement bloqué.

Le journal Libération, pour marquer que quelque chose échappe aux « organisations » et pour ne pas parler de lutte de classe parle de « jacquerie ». Le trafic aérien est réduit à 20 % de la normale. Le premier ministre donne des garanties écrites sur les retrait de toutes les mesures concernant les régimes particuliers et la « mise à plat » du plan de restructuration de la SNCF. C’est tout ce qu’attendaient les syndicats qui font croire qu’un chiffon de papier vaut mieux que les paroles et qui faxe aussitôt les lettres ministérielles dans tous les secteurs où se tiennent les assemblées de grève. Sur la Sécurité sociale, tout va de l’avant, aucun retrait des mesures annoncées et certainement des « garanties » données aux bureaucraties en place. Pour puissantes qu’elles soient, les manifestations n’ont guère plus d’effet que de donner la mesure d’un rejet d’un système, mais faute d’exprimer des revendications et une organisation propres, le « Tous ensembles » clamé par les manifestants ciblé sur la réforme de la Sécu, commence à être contrebalancé par le « On a gagné » des cheminots et de la RATP. La tactique syndicats-gouvernement commence à payer.

LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

Les conséquences économiques de la grève qui dure déjà depuis plus de quinze jours commence à perturber sérieusement l’économie. C’est là l’essentiel et le patronat pèse de tout son poids pour que cela cesse, pas tant par crainte d’une explosion plus grande (le conflit a été « bien géré » jusqu’à maintenant par les « encadreurs patentés » mais on ne sait jamais, il suffit d’un faux pas, exemple des mineurs de Lorraine bien que vite éteint).

Il est intéressant de noter que, pour se persuader que la grève n’avait que peu de conséquences, les commentaires insistent sur le fait que les travailleurs ont fait « de grands efforts » pour se rendre à leur travail (comme si la crainte de perdre son emploi et son salaire n’était pas une incitation suffisante), sur l’avantage des « horaires flexibles », sur le développement de l’utilisation de tous les médias (béni soit le progrès qui donne avec le chômage et l’insécurité, l’ordinateur, le téléphone mobile, le fax, etc.), voire sur la récupération capitaliste des débrouillardises de circonstance. A les en croire, l’activité économique dépendrait uniquement des moyens électroniques de communication comme si toute l’activité de services n’était pas l’auxiliaire nécessaire et important, mais auxiliaire d’abord des activités productrices (évidence reconnue par exemple dans le fait que lors de la reprise, les transports de marchandises furent traités en priorité ce qui aurait donné lieu à des empoignades dans les directions des services commerciaux SNCF).

On a peu de détails sur les effets réels de la grève sur l’économie française, bien que les « experts » diront plus tard que la progression du PNB annuel aurait chuté de 0,40 % rien qu’à cause de cette période. Pour le reste, ce sont des bribes car l’ennemi de classe ne livre pas les dommages des grèves. Les usines de voitures ont dû tourner au ralenti (avec mises à pied) faute de pouvoir écouler la production des chaînes impossible à évacuer par train, par exemple Peugeot qui le 1/12 doit mettre à pied 7 000 ouvriers de Mulhouse ses parcs de voitures étant pleins alors que normalement 70 % des voitures produites sont acheminées par rail ; mais il y remédiera quelques jours plus tard en les faisant passer en Allemagne proche sur des trains ou des barges rhénane (Bravo la solidarité ouvrière !).

L’usage intensif du camionnage pour suppléer aux carences du ferroviaire pour le transport tant des marchandises matières premières (notamment pour la distribution des produits pétroliers qui ne fut guère perturbée) et pièces détachées que pour la marchandise force de travail (extension des réseaux de ramassage et mise en place de transports de remplacement - 800 bus privés - bien que l’on ait pas trop osé - par prudence - engager les transports militaires dans l’opération) entraînera des frais exceptionnels non chiffrés.

On saura plus tard aussi qu’un acheminement sélectif du courrier a été tenté par des centres de tri parallèles avec priorité donnée au Cedex (entreprises) mais que nombre d’entreprises, pas seulement la vente par correspondance mais aussi pas mal de PME n’ayant pas de volet financier important, se sont trouvées en difficulté, à court de commandes et de paiements (gageons pourtant qu’ils ont poussé des cris d’orfraie avant d’être réellement étranglés et que sur ordre gouvernemental des coussins bancaires ont été aménagés pour amortir les chocs de la grève). La Chambre de Commerce de Paris recensera 200 entreprises de moins de 500 travailleurs ayant connu une baisse d’activité de 20 % et 1/3 d’entre elles menacées de faillite.

Pour la poste (qui aurait « perdu », rien qu’en Ile-de-France, 1/2 milliard sur 20 milliards de recettes annuelles), même si la grève ne fut pas totale, elle fut suffisamment inquiétante pour que la direction étudie présentement des mesures pour détruire l’impact de grèves limitées dans les secteurs postaux clés.

On saura aussi plus tard que certaines usines ont dû fermer par rupture d’approvisionnement en matières premières acheminées normalement par trains et que le transport routier ne pouvait assumer (par exemple des usine chimiques de Rhône-Poulenc dans la région lyonnaise). Revers de la médaille, les entreprises travaillant à « flux tendu » (c’est à dire sans stock, les pièces détachées ou les marchandises à vendre étant livrées pour être introduites immédiatement sans temps morts dans le circuit production ou distribution) ont été gênées, mais sans que cela soit chiffré tant par la grève des transports que par les embouteillages monstres causé par l’utilisation de transports individuels ou collectifs de remplacement.

Il est fait état maintenant d’un appel pressant du CNPF au cours du conflit pour que le gouvernement cède sur des points partiels pour permettre une prompte reprise du travail, la solution « forte » étant exclue en raison du lamentable échec des tentatives de contre manifestations « d’usagers mécontents » et du fait que la province ne pouvait plus être dressée contre Paris mais au contraire, poussait en quelque sorte Paris.

UNE MANŒUVRE RÉUSSIE ?

Mais qui était vraiment décidé à aller au delà ?

Du 13 au 21 décembre : une fin de grève ordonnée et confuse

Ayant cédé sur la réforme des régimes particuliers de retraite, notamment celui des cheminots, après avoir reporté son contrat de plan, le gouvernement, après trois semaines de grève passe à l’offensive habituelle. Pour diviser les grévistes, il utilise les syndicats les plus proches du pouvoir actuel et les plus directement engagés dans la voie du syndicalisme de coopération avec la gestion des entreprises (présentement les syndicats de cadres, la CFTC, la CFDT, les autonomes). Au cas où cela ne fonctionnerait pas, l’affirmation forte, à ce moment précis, du soutien gouvernemental, fait prévoir l’utilisation de la force pour contraindre ceux qui tenteraient de maintenir les occupations ou de s’opposer à la mise en service des trains. En même temps, les directions firent donner leur réserve habituelle de « cadres et de jaunes » pour faire rouler les premiers trains, claironnant ainsi la reprise.

* 13 décembre - A la SNCF, autonomes (la FGAAC n’a jamais caché que seule la retraite l’intéressait), CFTC et cadres appellent ouvertement à la reprise (des secteurs FGAAC se désolidarisent, Creil, Ermont ou bien la base ne suit pas à Montparnasse). La FEN parle de « suspension » et la FSU est entre deux. La CFDT bien que n’ayant pas appelé à la grève demande un vote secret, estimant que les cheminots ne « pouvaient que porter une appréciation positive ». Mais en province il semble que la mobilisation s’étende. Toulouse, transports, éboueurs, étudiants sont toujours en grève, trois centres de tri sont occupés ; de même à Rouen, bus, éboueurs, poste, équipement sont en grève ; à Rouen, les travailleurs de EdF et les cheminots bloquent les dépôts de bus, occupent une agence bancaire, organisent des barrages routes, envoient des délégations dans toutes les boîtes importantes du privé, les locaux de Télécoms sont occupés ; les mineurs de Gardanne occupent la centrale thermique. A Caen, pas de bus et des barrages routiers ; des actions diverses de base à Lyon (manifestations contre des sanctions de 7 ouvriers des centrales nucléaires),Cahors (complètement bloqué) Grenoble, Roanne, Chambéry, Marseille (mairie bloquée), Montpellier, Mulhouse... Les employés du PMU en grève occupent les locaux.

* 14 décembre - Les fax syndicaux avec la lettre du premier ministre et du ministre des transports tombent dans les centres de grève SNCF. Tout est bien orchestré : les directions font donner les jaunes de réserve et les cadres toujours disponibles pour ce « travail »... Ils auraient pu le faire dès le début de la grève, mais celle-ci était si forte que des affrontements auraient été inévitables. La crainte d’une explosion plus grande fit adopter au gouvernement pendant toute cette période une attitude excessivement prudente. La violence était là, latente. Ne serait ce que dans la présence dans les manifestations de symboles forts rappelant l’affrontement (depuis l’utilisation des flammes et fumée des signaux de détresse ferroviaires, le martèlement des tambours, la réapparition des slogans de 68 - ce n’est qu’un début..., de l’Internationale, des drapeaux rouges ou noirs marqués de sigles divers, etc..), dans certains affrontements avec les flics (mineurs de Lorraine, étudiants de Toulouse, Nantes, Paris., cheminots Gare du Nord), dans certaines actions (séquestrations) .

Les syndicats - en se répartissant la tâche - attaquent les maillons faibles des centres ; tout d’un coup, certaines assemblées n’admettent plus la parole de ceux qui sont extérieurs au centre alors qu’ils ont pu parler librement avant, tout au plus sont-ils admis à contempler la reprise. Le médias orchestrent admirablement le tout. Parfois cela passe sans trop de problèmes tout au plus des protestations qu’on lâche salement ceux qui « ont fait confiance » que cela pouvait déboucher sur autre chose. Ailleurs, d’autres revendications apparaissent comme la titularisation des intérimaires. Les grévistes bloquent les voies du métro sur la ligne 7 à Ivry et 1 (Neuilly). Mais déjà, les syndicats commencent à négocier localement les modalités de retenue des jours de grève. Les flics occupent les écluses sur le Rhin à Strasbourg, bloquées depuis la veille par les grévistes EdF.

Les travailleurs de l’équipement de l’Aude bloquent les accès du dépôt pétrolier de Port La Nouvelle, interdisant l’entrée d’une centaine de camions citernes.

Dans la nuit la CGT donne instruction à toutes ses sections de suspendre la grève. Les meetings qui s’ensuivent, y compris parmi les adhérents sont particulièrement orageux et les dirigeants lâchent alors un peu de lest en différant la reprise dans beaucoup de centres jusqu’au 16 décembre, le temps d’une mise en place de manœuvres concertées et d’une reprise en mains.

* 15 décembre - 20 sites sur 180 et 50 établissements sur 140 SNCF principalement dans le Nord et dans l’Est ont voté la reprise. (voir le tableau ci-contre) Quelques trains circulent y compris dans le métro parisien. Le PDG de la SNCF, portant le chapeau de la crise, démissionne (le même coup fumeux qu’avec le PDG d’Air France).

40 centres de tri sur 135 toujours occupés et bloqués alors que la totalité des centres est plus ou moins touchée par la grève. A l’EDF-GDF, près de la moitié des centrales et centres de distribution sont encore en lutte ; des coupures de courant localement par exemple à Mulhouse. Dans les villes de province, la grève des transports est encore totale à Marseille, Grenoble, Clermont-Ferrand, Belfort. Le « sommet social », porte de sortie syndicale sur le vide, reste fixé au 21 décembre, après une demande d’avancement sans conviction des syndicats (un pion avancé au cas où la reprise de la SNCF n’aurait pas l’effet escompté) . Le CNPF refuse que le « sommet social » traite des salaires et de la durée du travail. Les réactions de la base tournent autour de l’abandon de toute action sur la réforme de la Sécurité sociale qui était effectivement la seule revendication capable d’unifier tous les travailleurs mais qui devenait l’amorce d’une extension politique du conflit. A Chambéry, la reprise est décidée mais avec grève les jours de manifestation.

* 16 décembre - Manifestations tests permettant de juger si le mouvement s’essouffle ou pas et si l’effet escompté de la « reprise annoncée » est bien là. Bien que se déroulant un samedi, elles sont moins importantes en localisation (164 manifestations) et en nombre (1 million et demi mais peu de participation du secteur privé) ; on peut s’interroger sur le freinage syndical dans ce secteur). Bagarres à Toulouse au point que le maire Bauds parle abusivement de situation de « type insurrectionnel ».

*17 décembre - Peu de détails mais la reprise semble difficile notamment à la SNCF : gare du Nord, évacuation du poste d’aiguillage central qui permet la reprise ; gare d’Austerlitz, l’assemblée des contrôleurs séquestre un directeur pour finalement obtenir la titularisation sous contrat définitif des agents embauchés sous contrats temporaires ; 50 % du trafic serait assuré en fin de journée, mais dans tout le sud de la France les résistances font que tout est chaotique. De même à la RATP, les dépôts de bus tiennent des assemblées pour décider ; dans les postes, la reprise est très lente. Marseille est toujours sans transports alors que le port est encore paralysé.

Aux Télécoms, les syndicats seront « associés » aux discussions sur la restructuration. Finalement, une des conséquence de ce mouvement de grande ampleur depuis 1968 permet aux syndicats de se renforcer dans les rouages de médiation dans la fixation des conditions d’exploitation de la force de travail. En période de crise dont le mouvement de lutte est la transcription sociale, les craintes de tous les appareils participant à cette domination est que se développent des tendances autonomes, que celles-ci se renforcent en s’unifiant et deviennent « incontrôlables ». Les syndicats deviennent alors des auxiliaires nécessaires ; ce n’est pas par hasard si la « concertation » syndicale unitaire s’est d’abord manifestée dans les entretiens avec l’organe central du patronat, le CNPF et seulement lorsque le mouvement de lutte de décembre a pris un caractère global (c’est à dire politique au sens de contestation du système) que l’intervention syndicale devenait indispensable pour éviter que d’autres secteurs de luttes permanentes (les exclus ou les banlieues comme on voudra) ne transforment ce courant en un torrent irrépressible. Il est aussi intéressant de noter que le patronat préfère voir régler paritairement les problèmes de salaires et d’emploi (les piliers de l’exploitation du travail) en excluant l’Etat réduit à son rôle d’employeur dans les services publics ; tout aussi intéressant de voir surgir dans la foulée du mouvement retombé la réapparition médiatique du n ième « plan » sur les banlieues (Marseille offrant un bon exemple d’une jonction qui s’amorçait entre tous les prolétaires).

* 18 décembre - Un centre EdF sur deux encore touché par la grève ; à Mulhouse, les grévistes maintiennent le blocus du centre d’llzach avec des coupures sauvages qui touchent toute l’Alsace sauf Strasbourg ; la direction essaie d’obtenir en justice l’expulsion des grévistes. De même, à Grenoble et Annecy, EdF signale des « actions illégales ». A Toulouse, coupures « tournantes » sauvages par des grévistes qui se déplacent en banlieue et interrompent l’alimentation en électricité des postes de transformation. Plus de 25 % des effectifs EDF-GDF seraient encore en grève. Dans les postes, 40 centres de tri encore bloqués. A Chambéry, faute d’explication précises sur une restructuration d’établissement en cours, un préavis de grève est déposé pour la période du 24 au 26 décembre : le 19 la direction annonce l’abandon de toutes les mesures en cours. A Marseille la reprise se fait avec le gel de toutes les suppressions d’emploi et l’embauche de 30 travailleurs.

* 19 décembre - Trafic SNCF inégal alors que le Languedoc et le Roussillon sont encore bloqués. Les transports urbains sont toujours inexistants à Marseille, Bordeaux et Limoges . EDF Grenoble, grève reconduite tant que trois mises à pied ne sont pas rapportées mais piquet de grève levé dans un centre de haute tension alors que des coupures sauvages d’un poste de commande occupé continuent malgré une injonction du tribunal. Coupures de courant des travailleurs EDF à Perpignan, Toulouse, Valence et Montélimar.

La Banque de France toujours en grève.

A Rouen, le centre de tri de Sotteville également (13 centres de tri sont toujours occupés et 8 autres paralysés) et les agents Télécoms occupent la direction régionale. La CGT et le FSU organisent une manifestation symbolique de la fin du mouvement, une sorte de découragement orchestré, comme pour faire dire à chacun « Vous voyez, il n’était pas possible d’aller plus loin » (voir tableau ci-contre sur le règlement des heures de grève à la SNCF).

A Saint-Etienne, 4e semaine de grève des employés communaux toujours aussi forte après l’intervention des flics pour écarter les piquets de grève (revendication : embauche de 200 travailleurs, titularisation de plusieurs centaines et retour aux 35 heures.

A Paris, 10 dépôts de bus RATP toujours bloqués par des piquets Il faut que la situation soit explosive à Marseille pour que le tribunal refuse l’expulsion des grévistes du centre de tri comme la direction locale le demandait : ils demandent la titularisation de 5 précaires.

* 20 décembre - Fin de la grève au PMU avec une prime de 1 750 F, 3 % de rallonge et diminution du temps de travail. Encore des manifestations essentiellement en province

*21 décembre - Lente reprise à la SNCF ; transports urbains toujours bloqués à Marseille (bus et métro) et à Toulouse ; coupures de courant dans le Sud Ouest où les travailleurs EDF occupent toujours des postes de distribution ; des poursuites sont engagées à Bayonne contre 4 délégués pour l’occupation d’un centre de distribution. La grève reprend dans des centres de tri (Bordeaux, Toulouse, Lille) sur la question des retenues des jours de grève ou continue (Chambéry, Caen, Sotteville, Ajaccio) dans ces dernières villes sur la question de titularisation des précaires.

C’est l’heure du fameux « sommet social » qui, après 10 heures de réunion accouche d’un calendrier famélique - politique familiale, emploi des jeunes et temps de travail. Il paraît aussi qu’il faut « faire sortir l’épargne » . On ne saura finalement pas vraiment ce qui s’est échangé sous les lambris de Matignon.

Commentaire journalistique : « La CGT a maîtrisé le mouvement tout au long en surfant sur les vagues du mécontentement, évitant le débordement politique ».

Suite 1995 - 6 : Un mouvement brisé ne reprend jamais immédiatement

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