sommaire 1995 - 1 : Avant l’explosion : que faisait-on vivre au prolétariat ?
L’EMBRAYAGE DES GRÈVES : VERS UNE GÉNÉRALISATION ?
du 18 octobre au 24 novembre 1995
« Etre ensemble, c’est ce qu’on voulait, c’est ce qu’on a » (un étudiant de La Rochelle).
« Exagérer, voilà l’arme » (tract 16/12/95).
On ne peut dire que tous ces mouvements aient surgi brusquement, même s’ils ont surpris par leur cohérence et leur détermination. Cela fait des mois et des mois que les syndicats essaient dans ces secteurs de déclencher des mouvements limités dans le temps et dans les revendications, quand ce n’était pas organisation par organisation. Certaines furent des échecs, aucune ne connut une radicalité semblable à ce qui vient de se dérouler. Le mouvement à la SNCF, qui est au centre de la grève, est un mouvement spontané en ce sens que, s’il se greffe sur une action limitée syndicale, sa prolongation en grève illimitée fut uniquement l’action de la base. Le caractère d’une grève ne doit pas être défini en fonction de la forme des organes de représentation que les travailleurs lui donnent mais d’après le contenu de ces formes qui imposent et définissent l’action.
Certains ont pu regretter l’absence de coordinations (entre autres, la grève de 1986 avait vu l’essor de ces formes d’organisation), d’autres comme Blondel ou Viannet ont pu se féliciter de leur absence (les stratégies syndicales ont tenu compte de la leçon et dans le conflit présent les syndicats ont collé à l’action de base). La cohésion des assemblées de grévistes (certaines furent catégorielles, d’autres intercatégorielles) fait que toute manœuvre et manipulation devient difficile. Toute décision est soumise à un vote à mains levées. La démocratie de base existe mais comme toute forme d’organisation de lutte dans la société présente, ses caractères peuvent évoluer avec la lutte et ne sont en aucune façon une garantie, soit pour l’action autonome, soit pour la mainmise syndicale. Il n’apparaît pas nécessaire de créer d’autres structures puisque les éléments de base des syndicats poussent eux-mêmes à cette démocratie et s’y soumettent. On peut aussi voir que l’ouverture des assemblées à l’extérieur procède de cette unanimité dans la lutte. Personne ne conteste l’occupation des locaux où se tiennent les assemblées et chacun trouve normal que chacun puisse y entrer librement. Cette ouverture ne joue pas seulement dans l’admission fraternelle de tout visiteur mais aussi dans l’envoi de délégations auprès des travailleurs des autres secteurs susceptibles de se joindre au mouvement . Des contacts horizontaux de secteurs en grève (par exemple cheminots et postiers) mais aussi, notamment dans la banlieue de Paris et en province, des assemblées locales professionnelles ou interprofessionnelles permettent de discuter, d’élaborer des actions communes. Les limites de ce que pouvaient faire les syndicats peuvent être données par l’exclusion musclée d’une manifestation, par les propres militants de son syndicat, du leader de la CFDT, trop conciliante envers les projets du gouvernement .
Comme les cheminots vont se trouver d’abord sur le devant de la scène précisons qu’ils ne sont plus que 160 000 fin 1995 contre 400 000 en 1945 : une part importante du problème des retraite qui va se trouver au centre de cette explosion est dû non seulement à la rationalisation (électrification et suppression de lignes) mais au transfert à la sous-traitance de nombre des activités autrefois intégrées (entretien des voies, services secondaires des gares, transport de marchandises...).
Pratiquement il reste une grande division entre les roulants - qui disposent du pouvoir de pression - et les sédentaires dont le pouvoir est réduit (à l’exception par exemple des aiguilleurs, des vendeurs de billets ou des ouvriers d’entretien). Comme dans d’autres branches qui vont se retrouver dans la grève, une fraction des travailleurs peuvent, de leur position et leur combativité, avoir un rôle déterminant dans l’efficacité de la lutte mais aussi dans son terme. C’est aussi valable à la poste pour les centres de tri et les chauffeurs de voitures postales ; là, c’est reconnu par les dirigeants, dont la stratégie actuelle est de pallier ce qu’ils considèrent comme le pouvoir intolérable de minorités. Evidemment c’est plus vrai encore pour les conducteurs de trains. Cette situation a amené à s’interroger sur le nombre réel de grévistes en novembre décembre, y compris à l’intérieur de secteurs considérés comme totalement en grève.
* 18/10/95 - Les nuages s’accumulent sur la SNCF. Après le quasi-blocage des salaires (pas d’accord en 1995 et des augmentations générales de 1,2 % pour 96), le « contrat de plan » qui doit être signé entre l’Etat et la SNCF (qui ne fera l’objet que d’une « concertation » avec les syndicats et comporterait une régionalisation, l’application d’une directive européenne signifierait la séparation des infrastructures et du transport avec des dangers de privatisation en morceaux distincts. Toujours les mêmes divisions syndicales (la CFDT veut une grève longue et la CGT préfère des grèves à répétition) qui finissent par organiser une journée de grève de 24 h pour le 25 octobre lors de la réunion du conseil d’administration.
Nouvelle grève au centre de distribution de la poste dans le 19e arrondissement de Paris contre le transfert du centre.
* 20/10/95 - Rien n’est résolu pour les salaires des fonctionnaires et des services publics. La direction de la SNCF donne des précisions sur les salaires de 96 (pas plus de 1,2 % indépendamment des « avancements individuels et promotions » qui absorberont 2,2 % de la masse salariale) et minimise les modifications des conditions d’exploitation du réseau ferré. * 25/10/95 - La grève et les manifestations dans l’indécision syndicale semblent avoir l’effet démobilisateur escompté : très partiellement et inégalement suivies dans toute la France.
* 26/10/95 - Le gouvernement annonce « la rigueur ». La démagogie électorale du président est dégonflée. Chacun sait ce que cela signifie : en première ligne, les dépenses de santé. Les réponses syndicales ne sont pas claires. On se doute qu’il y a des tractations dans la coulisse entre syndicats et gouvernement . Le leader CGT Viannet parle de « maîtrise de l’évolution des besoins » ce qui signifie des restrictions. Les contrôleurs SNCF de la région de Marseille poursuivent la grève du 25 et la suspendent dans la mi-journée ayant obtenu la création de 16 emplois supplémentaires sur 20 demandés.
* 31/10/95 - Patronat et syndicats après moult palabres concluent un accord-cadre sur la flexibilité du temps de travail : un temps annuel pourra être réparti au gré des besoins des employeurs, supprimant au passage la rémunération spéciale des heures supplémentaires. Des accords de branche devront être conclus avant le 1er juillet 1996 sinon un accord national général en imposera les conditions à toutes les entreprises (il n’est pas encore question de la « démocratie de base » qui sera célébrée dans les assemblées par les syndicats - contraints et forcés - un mois plus tard pour endiguer le ras de marée de la grève)
* 4/11/95 - Le gouvernement annonce un nouvel impôt soi-disant pour renflouer la Sécurité sociale : en plus de la CSG à 2,40 % va s’ajouter un RDS. (Remboursement de la dette sociale) de 0,50 % qui devrait toucher les revenus de toutes sortes dont maints d’entre eux étaient jusqu’alors exonérés, soit d’impôt, soit de la CSG. * 7/11/95 - Le gouvernement veut réformer la sécurité sociale sur ordonnance ; les cotisations retraite salarié augmenteraient de 0,8 et les retraités seraient mis aussi à contribution.
* 10/11/95 - Palabres syndicats-gouvernement sur le régime de retraite des fonctionnaires : CFDT, CGC et CFTC acceptent l’allongement de la durée de cotisations à 40 années pour avoir droit à la pleine retraite, ce qui signifie pour beaucoup l’obligation de travailler au delà de l’âge de départ ou d’avoir une retraite réduite. FO, CGT et FSU sont contre. Entretiens au plus haut niveau : Notat, leader CFDT et Blondel, leader FO (flanqué curieusement du trotskiste Lambert et de l’anarcho-syndicaliste Hébert) reçus par Chirac (en toute démocratie de base bien sûr). Quant à Balladur, il s’entretiendra avec Bergeron, l’ex leader de FO.
* 11 et 12 novembre 95 - Suite des discussions de haut niveau sur la Sécurité sociale : sur les cotisations et impôts, sur les remboursements, la réforme hospitalière, sur la gestion du fric. Marchandages pour préserver le pouvoir des syndicats découlant de leurs positions dans la gestion des caisses, notamment pour FO. Les rivalités entre les appareils syndicaux tournent autour de ce pouvoir et des alliances avec le patronat dans la gestion paritaire, éventuellement avec le gouvernement s’il revendique une part de cette gestion (c’est ce que signifie le soi-disant « contrôle parlementaire » sur la Sécu). En réalité, le pouvoir réside dans la disposition et l’orientation des masses énormes de fric dont dispose la Sécu (plus que le budget de l’Etat)
* 13/11/95 - FO, insatisfait quant à ses prébendes va surfer sur l’accumulation de résistances à l’austérité, ciblée chez les fonctionnaires et les services publics, moins claire pour les travailleurs du secteur privé : appelle à une grève interprofessionnelle pour le 28 novembre.
* 14/11/95 - Alors que le leader CGT Viannet déclare que « la grève générale est à l’ordre du jour », la mobilisation de cette « journée d’action pour la défense de la Sécu », bien que généralisée à toute la France, est plus faible que celle des fonctionnaires du 10 octobre ce qui montre deux ordres différents de préoccupations, l’une plus forte mais catégorielle, l’autre plus générale mais beaucoup plus diffuse. Pour protester contre une réorganisation des services postaux, les habitants de Créances (Manche) déversent trois tonnes de carottes sur la route d’accès du centre de tri, bloquant les camions de courrier.
* 15/11/95 - Ces circonstances, tout comme le profil relativement bas et divisé des centrales syndicales laissent penser au gouvernement qu’il peut aller de l’avant sans trop de risques. Il annonce la couleur à l’Assemblée nationale :
Le RDS - nouvel impôt- de 0,50 % sur la quasi totalité des revenus et notamment sur ceux supérieurs à 3 000 F ;
l’augmentation des cotisations maladie et retraite ;
durée de cotisations retraite des fonctionnaires porté à 40 années ;
intervention de l’Etat dans la gestion des caisses de Sécurité sociale notamment dans la nomination des directeurs de caisses ;
réforme des régimes spéciaux de retraite, notamment par un report de l’âge de la retraite : le but évident est la suppression de tous les régimes particuliers pour les fondre dans un grand plan de « généralisation de la Sécu » signifiant une égalisation par le bas.
Réactions mitigées des syndicats qui vont de « la réforme va dans le bon sens » (Notat, leader CFDT) à « la déclaration de guerre à FO » (Blondel leader FO) à la colère d’une décision sur les régimes spéciaux de retraite alors que des discussions sont en cours (les autres centrales). 7 syndicats de fonctionnaires appellent à une grève générale pour le 24 novembre ; FO, seul, appelle à une journée d’action pour le 28/11 (voir ci-contre le statut actuel de protection sociale des services publics)
*17/11/95 - Le contrat de plan SNCF - Etat dévoile ses mystères : les régions devront prendre en charge les réseaux locaux, ce qui serait une autre antichambre à des différenciations sinon à privatisation. La CGT se rallie à la journée des fonctionnaires du 24/11 en l’élargissant à une protestation contre la réforme de la Sécu et FO maintient sa journée du 28 : un casse-tête montrant que chaque boutique syndicale essaie de tirer son épingle du jeu et capable de démobiliser les plus motivés dans la lutte.
* 20/11/95 - Difficile de penser qu’il s’agit d’autre chose que d’une « maladresse programmée » lorsque le ministre des Finances, dans un contexte déjà explosif, annonce une « grande réforme » fiscale comportant notamment la suppression d’un abattement de 20 % sur tous les revenus avant imposition ce qui, repris sous cette forme spécifique, fait l’effet d’une provocation. S’agit-il d’un test de résistance (tout passe ou tout casse) ou d’une stratégie vers une vague généralisation provoquée des luttes qui sera plus tard brisée dans des concessions partielles, laissant le champ libre à l’essentiel des « réformes » ?
UNE MONTÉE EN PUISSANCE DES GRÈVES DANS LE SECTEUR PUBLIC
Une foule descend dans les rues du 23 AU 30 novembre 95 (voir ci-contre les tableaux comparatifs des participations aux manifestations les plus importantes)
? 23/11/95 - Sans trop croire à une réelle mobilisation (épuisantes manifs sur manifs), les syndicats déposent des préavis de grève, en ordre dispersé : la CGT DU 23 à 20 h au 25 à 8h, la CFDT surenchérit avec « grève illimitée », Défense des régimes spéciaux à EDF-GDF, aux Télécoms, à la poste, à la SNCF qui y ajoute le contrat de plan. La CGT se joindra à la journée d’action de FO du 28/11 Notat soutient Juppé et la réforme de la Sécu alors que Blondel vitupère contre Chirac qui « l’aurait trompé ». Les sections syndicales de base tant à l’échelon professionnel qu’aux échelons locaux voire régionaux, plus sensibles à une pression de base, se distinguent des atermoiements nationaux : celle-ci les condamne à s’unir s’ils ne veulent pas que, comme lors des coordinations infirmières ou cheminots, la base supplée à leur carence organisationnelle : tactique pour garder le contrôle du mouvement ou fort contrôle de la base sur les pratiques syndicales : sans doute un rapport dialectique entre les deux. ? ? Jamais on n’aura entendu à partir de ce jour les échelons syndicaux vanter les mérites de la démocratie de base, de la décision des assemblées, de l’ouverture vers l’extérieur et l’établissement de liaisons horizontales. Les appareils peuvent-il agir autrement ? En même temps, il est sûr que leurs appareils même sans une base étendue (entre 5 et 10 % de syndiqués au total pour l’ensemble des actifs en France) et avec des appareils squelettiques, forts de leur pouvoir légal étendu dans le contrôle et le management de la force de travail dans le système capitaliste, restent bien présents dans la coulisse : coller au mouvement, avoir l’air de le précéder alors qu’on le suit, leur fait conserver toutes leurs chances d’intervention, sans conflit ouvert généralisé avec la base, lorsque les circonstances, habilement amenées au point de « fin de grève », autorisent cette intervention.
A partir de ce moment, les syndicats devront, au moins en paroles et dans leurs propositions, et tant que la grève restera forte, afficher de moins en moins leurs divergences. Là aussi, dialectique entre la pression de la base et la menace d’un contrôle syndical : l’unité syndicale (dont on reparle notamment à propos de FO et de la CGT) ne présage en général rien de bon pour les travailleurs car il signifie un encadrement plus strict de la force de travail : comme sur le plan politique, unité d’appareils signifie toujours la nécessité de faire front, non pas pour promouvoir un mouvement de transformation sociale mais pour aider à la réforme, c’est à dire au renforcement du système en place pris dans la tourment d’une crise dont le mouvement de contestation prolétarienne est l’expression.
Dès le 23 au soir, occupation du poste de Calais Fréthun commandant le trafic des Eurostar. La région des Alpes est totalement paralysée. La région de Chambéry a toujours été particulièrement combative, avec des grèves locales dures en 1985 et en 1986/87 (et classée par le direction « établissement rouge ». Une intersyndicale (tous syndicats) organise les assemblées quotidiennes (tous grades, tous postes, syndiqués ou non). Ailleurs, les intersyndicales et les assemblées se feront aussi par grandes directions ou par secteur d’activité.
* 24/11/95 - Grèves dans les services publics et manifestations dans toute la France (entre 500 000 et I million dans la rue), plus importantes en province qu’à Paris. Une faible et inégale participation étudiante malgré un appel de la coordination étudiante. Notat, leader CFDT est expulsée violemment de la manifestation à Paris par des militants CFDT en raison de son appui à la réforme de la Sécu proposée par le gouvernement. La participation massive traduit la volonté de base d’aller au-delà . La CGT et les autres centrales appellent non pas à la grève générale mais à la « reconduction de la grève ».
* 25/11/95 - Manifestations de femmes à Paris (30 000) et en province dont le succès témoigne aussi d’une atmosphère de lutte. D’autres facs occupées (Nantes et Tours). Dans tous les centres SNCF, des assemblées générales (souvent toutes professions confondues) votent la reconduction de la grève. Il en sera de même chaque jour tout au long de la grève. La grève s’étend pendant le week-end .
* 26/11/95 - Le directeur d’Elf-Atochem de Mont (Pyrénées Atlantiques), filiale d’Elf-Aquitaine séquestré toute une nuit par les travailleurs en grève (450) depuis le 10 novembre pour les salaires. A la demande de la CFDT, la direction SNCF accepte d’avancer d’une journée une réunion sur le contrat de plan. Tous les syndicats s’y rendent mais s’en retirent au bout d’une heure car la pression de la base leur interdit de discuter de solutions intermédiaires négociées. Quelques réactions d’usagers sur la banlieue nord à Creil et l’Isle-Adam.
* 27/11/95 - Les chemins de fer sont pratiquement bloqués dans toute la France : les deux revendications majeures sont le retrait de la réforme de la retraite et du contrat de plan. Les assemblées se tiennent dans les locaux occupés et des piquets de grève essaient de bloquer les trains qui circulent encore (occupation des voies à Rouen, dans le Nord, au Mans. La grève commence à s’étendre aux transports parisiens (RATP) : 5 dépôts de bus sur 22 sont en grève. Proposition CFTC de faire rouler les trains mais que les agents commerciaux (billets et contrôleurs) restent en grève, de sorte que les transports soient gratuits : rejeté par les autres syndicats (démagogie ou position tactique sachant que les autres y sont toujours opposés, avançant des considérations techniques ou « l’opposition de la direction SNCF »)
*28/11/95 - Trafic pratiquement nul à la SNCF au cinquième jour de grève. La grève s’étend à la RATP, dans les centres de tri des postes (10 sur 130) et à l’EDF-GDF. La journée d’action lancée par FO et soutenue par la CGT et le FSU regroupe moins de participants que celle du 24/11 (50 000 à Paris mais 60 000 à Toulouse, 5 000 dans une petite ville du sud Limoux des travailleurs de la chaussure dont l’emploi est menacé).Le trafic aérien est perturbé notamment à Orly avec l’occupation des pistes par les travailleurs de la Division Maintenance d’Air France pendant deux heures avant l’intervention des flics. Les ferries français de Sealink qui doivent changer de pavillon immobilisés à Calais par une grève des marins dont on veut augmenter la charge de travail. Près de 70 % des 7 000 employés municipaux de Toulouse dont les éboueurs. Le centre de tri de Caen occupé par les grévistes et les accès barricadés avec l’aide des cheminots, aussi à Sotteville-lès-Rouen où des cheminots occupent les voies stoppant tout trafic ; occupation aussi du centre de tri de St.-Brieuc où des grévistes EdF et cheminots ont apporté leur concours. Les postiers du centre de tri de Grenoble votent la grève illimitée.
* 29/11/95 - Directeurs régionaux séquestres à Limoges, Chalon-sur-Saône. Le directeur du Sernam, filiale transports de marchandises de la SNCF séquestré par des cheminots lors de la réunion du comité d’établissement dans le cadre de l’action globale des cheminots. Des piquets bloquent quelques trains partis de Saint-Lazare à la gare de Paris-Batignolles. Un peu partout, occupation des PRS, des postes d’aiguillage, des directions régionales, tous locaux où se tiennent souvent les assemblées. Grève illimitée aux centres de tri de Valence, de Clermont-Ferrand. La grève des centres de Caen et de Sotteville en Normandie, s’étend dans toute la région, dans les bureaux de poste ou les centres de chèques postaux : 17 centres de tri sur 130 sont occupés.
* 30/11/95 - Nouvelle journée d’action avec grèves et manifestations (plus de 300 000 manifestants en France) avec souvent la participation étudiante(par exemple, à Mâcon, plus d’un millier de grévistes rejoints par 400 lycéens). Des bagarres à Paris, Nantes (26 arrestations et 9 poursuites), Montpellier. La moitié des centres de tri postaux (sur 130) en grève (Grenoble où les chèques postaux les ont rejoints, Dijon avec des piquets de grève, Mâcon où le centre de tri est occupé portes fermées et les pneus des voitures postales crevés). Grève de 24h des salariés de l’ANPE pour des questions de statut. Les CRS interviennent à la Gare du Nord à Paris pour évacuer les cheminots qui bloquent les voies d’Eurostar. Le métro paralysé à Paris. Echec total d’une tentative gouvernementale de dresser une partie de la population contre les grévistes par l’organisation de « comités d’usagers ». Au contraire un sondage montrera que 62 % ont de la sympathie pour la grève, ce que confirme l’atmosphère de confiance et d’optimisme dans une sorte de vie nouvelle qui déborde largement le cadre des manifestations et touche même ceux qui sont fortement gênés par le manque de transports. On peut avoir une idée de la grève à EDF-GDF par des chiffres données par les syndicats : dans la région Pyrénées-Gaz, 40 % sont en grève, 65 % à Paluel (centrale atomique près de Dieppe), 88 % à Cattenon en Moselle. Dans les postes, 25 % pour les centres de tri mais entre 5 et 20 % pour le reste. Les cadres des syndicats FMC et CGC appellent à la suspension du mouvement.
Le front uni syndical des fédérations de fonctionnaires se disloque : les syndicats CFDT, CGC, CFTC et UNSA s’en retirent, laissant FO et le CGT faire cavalier seul. Cette division syndicale, si elle n’a apparemment aucune influence sur le développement du mouvement de lutte se matérialisera quand même lorsque des concessions du gouvernement permettront à ces désaccords syndicaux de trouver un écho dans les assemblées générales. Un projet de manifestation nationale agité un moment ne verra jamais le jour : trop dangereux pour les syndicats et le pouvoir dans le contexte de la résonance de la grève.
COMMENT SONT VÉCUES LES MANIFESTATIONS
Elles sont en quelque sorte le prolongement de l’unité et de l’ouverture des assemblées générales tout comme des contacts horizontaux qui s’établissaient. Des embryons d’inter comités locaux qui ne sont pas des intersyndicales mais plutôt des inter collectifs de base, organisent les départs en commun à partir de lieux locaux de rassemblement vers les lieux de manifestations, collectant au passage des manifestants d’autres lieux de grève, de sorte que de partout convergent des mini-manifestations.
« On croyait élire des homes politiques, finalement on a eu des comptables. Y compris dans le style, ils ont fini par se ressembler. Le clivage serait entre ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas. En fait il n’y a qu’une idéologie, la leur » (un délégué de base) A la hauteur de la rue de Vaugirard, les manifestants applaudissent un étudiant qui spontanément a retrouvé un geste digne d’un mai ancien qu’il n’a pu connaître, brandissant au milieu des banderoles une pancarte où il est écrit en lettres majuscules : « MARIE, JE T’AIME - Rouen - 27 novembre - 2.300 cheminots descendaient dans la rue. Le 7 décembre, les manifestants - cheminots, postiers, fonctionnaires et salariés divers, chômeurs - étaient 50 000. Le 12, on comptait plus de 80 000 personnes. » Cette grève a quelque chose de merveilleux. Chaleur, fraternité, tous les désabusés d’après 86 se sont retrouvés. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à nos enfants. Tenir jusqu’à Noël » (un conducteur CGT) . « La résignation est un suicide quotidien » (une affiche).
Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), préfecture de 23 000 habitants : 10 000 manifestants le 12/12. « Jamais nous n’avions vu autant de monde dans la rue, même lors des grandes grèves contre les licenciements, même en 1968 ». On s’en prend au système « qui demande toujours plus aux petites gens et favorise les plus riches ». Le plan Juppé n’a été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. « C’est dans la rue désormais que le mouvement social reconstruit la gauche, contre les appareils, contre les intellectuels qui soutiennent Notat et qui ont causé la perte des idées progressistes ».
Rochefort (Charente-Maritime, 27 000 habitants) : manifestation le mardi 12 décembre, 1 500 manifestants : « On n’a jamais vu ça. Si Rochefort défile, c’est que ça va vraiment mal partout »... « Depuis une semaine, on ne reconnaît plus cette ville. Les gens semblent plus heureux d’être ensemble ».
Toulouse, manifestation du 12/12 : « On manifeste peu importe contre qui. On en a marre...C’est la révolution... »
Marseille 12/12, la plus importante manifestation de son histoire. Plus de 100 000. L’Internationale, drapeaux noirs...Un slogan de 68 repris par les lycéens« . Soyons réalistes, exigeons l’impossible ». Et qui voit-on marcher d’un même pas ? Les fonctionnaires et les chômeurs, les « enviés » et les oubliés, les CDI et les RMistes, ceux qui ont un statut et ceux qui n’en ont pas. La jonction s’est faite. Contre toute attente. Probablement aussi contre tout calcul politique...Dans une ville dévastée par le chômage, les plus malheureux ont rejoint les moins malheureux...une sorte de réduction protestataire et momentanée de la fracture sociale. Ce n’est pas un jugement de valeur mais un simple constat. Et sans doute une très mauvaise nouvelle pour le gouvernement. Car bien sûr, si Marseille fait école, ce serait toute la stratégie fondée sur un indéniable « il y a plus malheureux que vous » qui se trouverait prise à revers.