l l faut bien se rendre à l’évidence : le capitalisme en crise continue bon an mal an de tourner, de tenter de trouver des remèdes et des ajustements pour retrouver son dynamisme, maintenir et développer ses profits. Il faut bien se rendre à l’évidence : tant que le capital continue de tourner c’est qu’il continue, en toute impunité, à exploiter tant les êtres humains que la nature, sans se soucier des conséquences pour tous ces acteurs actifs ou passifs des ravages causés par cette exploitation. Il faut bien se rendre à l’évidence : en dépit de toutes les innovations technologiques et des transformations profondes qu’elles entraînent dans les structures du système, dans les structures de l’exploitation du travail, cette exploitation reste le cœur du capitalisme. Et la lutte de classe reste, malgré tout ce que l’on peut en dire, l’affrontement entre deux classes, même si les lignes de cet affrontement ne sont pas toujours clairement définies. Il faut bien se rendre à l’évidence : le système d’exploitation peut prendre actuellement des formes extrêmement diverses, reproduisant toute les étapes de son développement, depuis les plus primitives (avec une technologie rudimentaire), jusqu’aux plus sophistiquées (avec des technologies toujours plus perfectionnées), avec un seul but ultime : atteindre la productivité la plus extrême de la force de travail pour en extraire le maximum de valeur. Un peu partout dans le monde, des résistances poursuivent, en fonction des conditions d’exploitation, sous des formes très diverses, traditionnelles ou nouvelles, une lutte de classe qui ne prendra fin qu’avec la fin du système capitaliste. Alors que dans les pays en voie de développement les exploités en sont encore à chercher à former et promouvoir des organisations de lutte (le plus souvent des syndicats), dans les pays développés ces mêmes syndicats en sont à jouer pleinement leur rôle de médiation entre le capital et le travail. Partout dans ce monde industrialisé cette orientation leur vaut, sauf cas particuliers en raison des pouvoirs et/ou des fonctions sociales qui leur ont été concédés, une désaffection relative. En raison de la pression particulièrement insistante et générale sur les conditions de travail et ce qu’on présentait comme des « avantages sociaux », qui garantissaient une certaine stabilité sociale à l’échelle du monde industrialisé, une tension latente générale s’est développée qui ne réussit à s’exprimer que dans les conflits classiques ponctuels – essentiellement la grève – et /ou dans des formes de luttes différentes, ponctuelles ou générales, mais aux objectifs et contours très flous eu égard au contenu de classe, comme une sorte de substitut d’une lutte de classe qui ne parviendrait pas à s’exprimer pleinement. Les syndicats et partis d’opposition, plus ou moins discrédités, se trouvent ainsi contraints, à la fois pour rester dans leur fonction sous le capital, conserver leur peu de crédibilité et éviter d’être débordés par des ailes radicales ou des mouvements sauvages, d’organiser manifestations nationales et grèves générales limitées. Ces protestations organisées sont d’autant plus imposantes qu’elles se déroulent dans des Etats plus touchés que d’autres par ce que l’on qualifie mondialement de « mesures d’austérité ». Mais, malgré quelques débordements d’éléments de base plus radicaux, elles ne se prolongent pas dans le temps et restent sans effet sur les mesures qu’elles entendent contester. On pourrait à leur sujet évoquer le proverbe : « Les chiens aboient, la caravane passe » ; la machine capitaliste poursuit sa marche en avant qui assure son existence. Ces « journées de lutte » présentent des caractères communs : elles restent enfermées dans un cadre national bien qu’elles se dressent contre des mesures d’austérité similaires différant seulement par leur étendue et/ou leur intensité ; elles doivent être répétées de la même façon, tout aussi inefficaces bien que tout aussi suivies. On peut en dresser la liste avec quelques records en la matière : la Grèce voit, le 22 novembre 2014, sa 32e journée de grève générale depuis 2010 ; l’Italie compte sa ne grève générale d’une journée avec des manifestations dans 54 villes ; la Belgique connaît des grèves sauvages sectorielles qui provoquent toute une série de grèves syndicales quasi hebdomadaires fin 2014 (voir p. 5 un aperçu de ces luttes). Devant cette multiplicité de résistances dans ces manifestations, limitées mais récurrentes depuis des années, on peut comprendre l’appréhension des gouvernants. Ils craignent d’une part une généralisation dans un cadre national, d’autre part le débordement des cadres nationaux, dans un mouvement de lutte européen concrétisant des luttes identiques contre des mesures d’austérité identiques. Ces craintes des dirigeants génèrent d’un côté des mesures de durcissement d’une répression des « débordements », comme par exemple en Espagne, d’un autre côté des oppositions politiques ou syndicales nouvelles (voir les mouvements Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne et/ou l’essor des organisations d’extrême droite). Cet ensemble de contre-mesures (face à un mouvement éventuel mais qu’on ne saurait qualifier de contre-révolutionnaires) peut se justifier par l’extension dans les cinq dernières années de mouvements plus ou moins spontanés qui se sont étendus comme une tache d’huile à plus ou moins grande échelle internationale, sans qu’intervienne une organisation préexistante. On peut trouver des traits communs au « printemps arabe », au mouvement « Occupy » et même à l’extension du « terrorisme islamique ». Malgré leur caractère imprécis, sans véritable contenu de classe, leur existence éphémère – qu’elles aient ce caractère du fait de la répression ou de par leur propre dynamique – peut faire craindre aux dirigeants une nouvelle généralisation de tels mouvements spécifiques, ou, bien plus, l’explosion d’une action ouvrière globalisée. La dimension internationale donnée à la « lutte contre le terrorisme » ferait alors partie, à l’échelle mondiale, des contre-mesures prévenant une telle explosion.
H. S.