Histoire : les groupes pic et volonté communiste
D’une camarade de Paris (19 septembre 2002)
(...) J’avais commandé des exemplaires de Jeune Taupe et de Révolution sociale sans savoir vraiment de quoi il s’agissait. Pourrais-tu me dire ce que tu sais de ce groupe PIC (Pour une intervention communiste) puis groupe Volonté communiste ? Que sont-ils devenus ? Ont-ils " mal tourné " comme La Guerre sociale ou La Vieille Taupe ? Et si oui, je ne comprends pas, en les lisant, ce qui aurait pu les amener à cela... en fait, si je comprends bien, ils se revendiquaient de la Gauche communiste mais en étant contre l’idée de parti ?...
Réponse à cette camarade (15 octobre 2002)
...Ce que tu me demandes sur les groupes PIC et Volonté Communiste me ramène plus de trente ans en arrière car tout se situe autour de 1968, qui reste une année de référence.
J’en situerais l’origine à cette époque dans un petit groupe d’étudiants de Clermont-Ferrand autour de G. S., groupe qui s’appela d’abord MARS (Mouvement d’action révolutionnaire spontanée) puis se transforma en Groupe Conseilliste de Clermont-Ferrand. Ce groupe fit partie du réseau de groupes (relativement important) qui s’était constitué peu après Mai 68 autour d’ICO (Informations Correspondance Ouvrières), groupe auquel je participais activement (et qui existait depuis 1958).
Dans ce réseau, on trouvait en particulier les Cahiers du communisme de conseils (basés à Marseille, avec René Camoin), et Révolution internationale (Toulouse). Ce dernier groupe fut l’initiateur, sous l’impulsion de Mark Chirik, d’un regroupement qui au début des années 1970 critiquait les positions " passives " d’ICO, prônant la formation d’une organisation révolutionnaire structurée oeuvrant dans le prolétariat pour propager l’idée des conseils ouvriers. Ce regroupement aboutit à la formation du CCI (Courant communiste international), mais G. S. et le " groupe conseilliste " refusèrent de s’y intégrer (ce qui leur vaudra plus tard de virulentes attaques dans les organes du CCI) (il existe une abondante littérature sur l’histoire de ce groupe CCI, mais, émanant de membres ou ex-membres, elle n’est pas spécialement critique [É]).
Cette période de l’après-68 voit une sorte de décomposition/recomposition de tout le milieu ultragauche. ICO disparaît en 1973 dans des déchirements qui tournent autour d’un nouvel " activisme révolutionnaire " qui divisera les formations marxistes (CCI, PIC...), anarchistes (dont les ancêtres de l’OCL avec Courant alternatif), maoïstes qui se déliteront peu à peu. Echanges se forme en 1974-1975 à partir de ce qui reste d’ICO et de contacts internationaux.. Le PIC (Pour une intervention communiste) se forme à cette même époque, le premier numéro de son organe Jeune Taupe est daté de février 1974.
" L’intervention communiste "
La volonté affirmée du PIC est précisée dans ce premier numéro, sous le titre " L’intervention communiste ", comme le " concept communiste d’organisation des révolutionnaire en rupture totale avec tous les concepts de parti ". C’est le vieux dilemme, débattu maintes fois dans le milieu ultragauche marxiste, mais qui contient toujours la même ambiguïté. L’autre idée sous-jacente pour expliquer ce " passage à l’acte " était que 1968 marquait le départ d’un courant révolutionnaire et qu’il fallait faire tout pour encourager son développement et ses perspectives. C’était alors une idée dominante dans la plupart des groupes (c’était aussi l’axe de développement du CCI) et c’est à cause des désaccords sur cette perspective, entre autres, qu’ICO avait éclaté.
L’un des paradoxes de cette poussée activiste vers une telle perspective est qu’elle intervenait alors qu’en France le patronat faisait le ménage en virant tous ceux qui s’étaient mis en avant en 1968 et dans l’immédiat après-68 ; plusieurs centaines de militants de boîtes firent les frais de cette contre-offensive patronale (je fus l’un d’eux en 1971). La plate-forme du PIC était quand même bien claire quant à la conception d’une élite militante réunie dans une organisation cohérente dont l’activité s’identifiait avec la lutte de classe (ressuscitant la notion de base du parti ouvrier) :
" (...) Pour assumer l’intervention, les communistes sont organisés de façon distincte (...) Les communistes oeuvrent au développement militant de leur propre organisation et au regroupement des fractions communistes (...) Le fonctionnement de l’organisation des communistes (est) à l’image du processus révolutionnaire de l’ensemble de la classe, expression permanente des tendances et centralisation des décisions (...) L’intervention et l’organisation ne peuvent évidemment se concevoir qu’à l’échelle de la planète dans la perspective de la praxis mondiale du prolétariat et, en ce sens, les liens internationaux entre fractions communistes sont à renforcer (É) "
De la révolution au révisionnisme
La poussée révolutionnaire tardant à venir, il n’est pas étonnant qu’après quelques années, d’autres objectifs firent leur apparition pour " maintenir la foi " et que des dissensions finirent par se faire jour. Parmi les autres objectifs figura en bonne place ce que partagèrent un certain nombre de groupes ultragauches gravitant autour de la Vieille Taupe, ceux dont tu parles dans ta lettre entre autres. Pourquoi ces militants exigeants se laissèrent-ils entraîner dans des voies dont une analyse clairvoyante aurait dû les détourner ? Et d’ailleurs, pour certains, après avoir reçu des mises en garde d’anciens.
Je crois que la raison profonde est à rechercher précisément dans le postulat de départ d’un activisme engagé dans un combat idéologique : comme l’idéologie de la " poussée révolutionnaire " ne fonctionnait pas, il fallait, pour maintenir la cohésion du groupe, trouver un autre combat, tout autant idéologique d’ailleurs, celui " pour la Vérité historique ".
Il est certain que toute la période d’après-guerre fut dominée idéologiquement non seulement par le mythe de l’URSS stalinienne " patrie du socialisme " et la présence répressive du Parti communiste français mais aussi, dans une collusion droite gaulliste-gauche résistante nationaliste (y inclus le PCF), pour ce qui avait été le thème central de l’union nationale pour le combat patriotique de la Résistance, la stigmatisation du peuple allemand identifié au nazisme, le confusionnisme de l’antifascisme. Dans l’immédiat après-guerre, cette collusion fonctionna dans l’union nationale pour la régénération du capitalisme en France sous l’étiquette de la " reconstruction ". De plus, en Mai 68, le rôle du PCF dans la répression du mouvement avait montré que cette collusion existait toujours et avait puissamment aidé le capitalisme français à surmonter la crise sociale. Ces militants très engagés dans les luttes de mai avaient ressenti amèrement ce qu’ils avaient vu comme une barrière à l’extension de la lutte (ce qui n’était vrai qu’en partie). Cela faisait qu’ils pouvaient considérer, à ce moment, que le combat à engager était d’abord sur ce plan idéologique de lutte contre une " pensée unique " dont l’influence était, pour eux, dominante dans l’échec de leurs tentatives d’aider le prolétariat à s’engager dans une voie révolutionnaire. Cette lutte était vue aussi comme une lutte contre cette domination du Parti communiste, agent, puissamment épaulé et manipulé par l’Etat soviétique, depuis cinquante années d’une " contre-révolution ".
Le PIC n’était pas seul à s’engager dans cette voie. C’est ainsi que parmi d’autres, aussi bien du milieu marxiste que du milieu anarchiste, un groupe proche, issu de la Vieille Taupe, s’engagea dans cette voie de ce combat idéologique et commença la publication d’une revue, La Banquise, dont le nom venait d’une analyse d’un prolétariat enfoui sous des kilomètres de glace.
Cette position amena tous ces groupes à soutenir, au nom de ce même combat contre une domination idéologique, ceux qui, tentant de dénoncer l’exploitation politique qui pouvait être faite des exactions du régime nazi, se trouvaient aux prises à des attaques quasi unanimes allant jusqu’à des poursuites judiciaires. C’est ainsi que tu trouveras dans la littérature de ces groupes des plaidoyers, des appels, des tracts dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils pouvaient aussi bien, au vocabulaire près, émaner de groupes d’extrême droite oeuvrant dans l’apologie du fascisme... Tu peux trouver dans les numéros de Jeune Taupe de 1979 et 1980 tout un ensemble de textes en ce sens, notamment une lettre de Faurisson à J. Daniel (n¡ 34) ; ainsi que la signature conjointe d’un tract de la même veine, " Notre royaume n’est pas de ce monde ". Le combat uniquement idéologique fait que, contrairement à la lutte de classe, l’on n’est pas maître de ceux qui peuvent venir y participer, venant d’horizons parfois très différents, appartenant à d’autres classes ou menant par ailleurs un combat politique tout autre. La lutte antifasciste récente en offre un bon exemple : on y retrouve le même amalgame et la même confusion que dans le " camp négationniste ".
Dérives
En ce qui concerne ces quelques groupes essayant de rétablir la " vérité des camps de concentration " et de mettre en parallèle les horreurs de la guerre ou des dictatures tous pays confondus, dans la mesure où ils se cantonnaient uniquement sur ce terrain idéologique, abandonnant tout terrain de classe, ils ne se rendirent pas compte initialement des dérives où cela pouvait les entraîner. Particulièrement, les discussions " concrètes " et très fumeuses sur les détails des méthodes d’extermination des camps nazis finissaient par introduire des doutes sur l’existence même de ces camps d’extermination, et tout cela rejoignait les thèmes de propagande des ex ou néo-nazis ou collaborateurs de la période d’occupation - en fait, de l’extrême droite et de toute une partie de la droite.
Lorsqu’ils se rendirent compte, plus ou moins rapidement, de cette dérive, la plupart de ces guerriers peu glorieux abandonnèrent presque tous toute activité en ce sens, sur la pointe des pieds. Ils ne pouvaient pourtant effacer ce qu’ils avaient pu faire ou écrire, ce que certains, plus ou moins bien intentionnés font resurgir de temps à autre.
Tendances et scission
C’est peut être, en partie, cette tentative avortée de donner au PIC un nouvel objectif pour pallier le rendez vous révolutionnaire manqué qui précipita la crise au sein du groupe. Le dernier numéro de Jeune Taupe (36) donne un compte rendu des positions des deux tendances radicalement opposées qui s’affrontent lors d’une réunion spéciale :
— une première tendance parle d’accélération généralisée de la crise du capital et du développement de la lutte de classe et estime que " vu la gravité des circonstances, le PIC avait été en deçà de ce qu’il aurait pu accomplir aussi bien au niveau de l’analyse de la période que de son activité ". Pour remédier à ce qu’ils considéraient comme des carences, ces camarades proposaient un certain nombre de tâches pratiques en vue d’accentuer l’intervention du PIC (un autre texte précise ce que peuvent être ces tâches : parution bimensuelle de Jeune Taupe à 1 000 exemplaires et dans les trois mois parution mensuelle - et autres projets tout aussi délirants lorsque l’on sait que cette tendance regroupait quatre camarades ;
— une deuxième tendance pensait que tous ces projets reflétaient une fuite en avant qui n’aiderait en rien à résoudre une situation difficile et qui présentaient le danger de diluer les faibles forces du groupe dans un activisme forcené. Le moment était venu pour eux de reconsidérer l’activité du PIC en fonction de ses possibilités réelles et non de se lancer à corps perdu dans les éternels " coups de bluff " que le groupe leur semblait avoir mis en place de façon périodique depuis sa création
Le PIC, devant des oppositions aussi irréductibles, ne pouvait que scissionner. C’est ce qui se produisit, une majorité forma, je crois, un nouveau groupe, L’Insécurité sociale (aussi disparu) et les quatre " plus activistes que moi tu meurs " (trois à Paris dont G. S.et un en province) fondèrent le groupe Volonté communiste, dont l’organe était Révolution sociale (n¡ 1 paru en juin 1981). A un rythme mensuel et en imprimant 1 200 à 1 500 exemplaires, ils purent tenir à bout de bras 16 numéros jusqu’en février 1983 et annoncèrent alors " suspendre la parution du journal jusqu’au mois de septembre 1983, toutes les autres activités du groupe continuant normalement ". Si le groupe n’avait " pas atteint les objectifs que nous nous étions fixés ", c’était " à cause de la crise du milieu révolutionnaire ". Ils déclaraient bravement que Révolution sociale " reparaîtrait sous une forme ou sous une autre ". Inutile de dire qu’il n’y eut jamais aucune suite, même si quelques-uns continuèrent de participer à des activités de publication d’autres noyaux ultragauche.
On peut ajouter que le PIC avait tenté de constituer un réseau international, mais comme cela essayait de rassembler des éléments assez disparates français et étrangers cette tentative artificielle ne connut qu’une existence éphémère, même sous la forme apparemment viable d’un bulletin de discussion qui ne connut que quelques numéros.
Si j’ai tant insisté sur l’histoire de ces groupes comme tu m’en as donné l’opportunité, c’est parce que je pense qu’elle constitue une sorte de cas d’école (nombre de groupes de la période post-68, y compris ceux qui, comme le CCI ou les groupes trotskystes ou des noyaux maoïstes, existent encore, pourraient fournir des exemples semblables [É]). Le " besoin " de militantisme conduit souvent en quelque sorte à une sorte d’inversion dans les analyses qui sous-tendent les orientations de l’activisme militant. En d’autres mots, on prend ses désirs pour des réalités en surdimensionnant les événements, en regroupant artificiellement des événements assez disparates pour tracer des perspectives qui, si elles satisfont la " bonne conscience révolutionnaire " n’ont pas grand chose à voir avec la réalité sociale. On finit ainsi par être totalement aveugle sur le fait que ce qu’on trace ainsi n’est que la projection d’une idéologie.
Les réveils peuvent parfois être très durs car la réalité fait souvent irruption pour briser le cadre dans lequel on a prétendu l’enfermer. Malheureusement les intéressés ne tirent pas souvent les conclusions de leurs échecs, l’attribuant à de causes extérieures, par exemple, pour le Groupe Volonté Communiste, " la crise du milieu révolutionnaire ".
Je n’épiloguerai pas sur les conséquences de ces situations sur les individus qui s’y sont trouvés impliqués, simplement pour souligner qu’elles peuvent parfois être dramatiques, particulièrement pour ceux qui ont cru pouvoir développer ce supermilitantisme sur leur lieu de travail, ce qui se solde souvent par un licenciement. Tu peux toi-même trouver maints exemples de tout cela aujourd’hui, sous d’autres formes qui tentent de s’adapter à des relations sociales qui évoluent, mais qui procèdent des mêmes démarches fondamentales.
Il est bien évident que ce long exposé peut quand même paraître bref parce qu’il soulève bien d’autres problèmes qui ne sont qu’à peine effleurés. Par exemple, je n’ai pas développé les critiques de leurs positions sur " l’organisation des révolutionnaires " et leur intervention dans la lutte de classe ; cela pour le présent, mais le débat débordait dans des projections vers un futur hypothétique des relations entre ces " organisations de révolutionnaires " et les organes de lutte et de réorganisation sociale créés par les travailleurs dans leur combat.
Au temps où ces petits noyaux étaient encore partie d’ICO, c’était un des sujets de divergences, qui finalement aboutirent à la dislocation d’ICO. Aucun des points ainsi soulevés ne sont pour nous tabous et tu peux évidemment questionner comme tu le souhaites.