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Note de lecture : The Steal. A cultural history of shoplifting (Le Vol. Une histoire de la fauche à l’étalage)

jeudi 26 juillet 2012

(Cette note est parue dans le n° 139 d’Echanges (hiver 2011-2012).)

The Steal

a cultural history of shoplifting

Rachel Shteir.

The Penguin Press, New York, 2011

(Le Vol. Une histoire de la fauche à l’étalage)

« On n’est pas voleur héréditairement. On le devient. Et c’est chaque jour que cela se tisse. Et cela se passe dans les rues et les prisons. » (Jacob Rils, The Making of an American.)

Ces quelques lignes mises en exergue du livre marquent bien sa tonalité. La « démarque inconnue », la dénomination comptable de la différence entre les stocks théoriques et les stocks réels, englobe pour une part importante les vols dans les magasins – la récupération de la marchandise qui pour une large part est le fait de « clients » et une petite part des travailleurs de l’entreprise. Une étude couvrant 2010-2011 montre qu’au niveau mondial les vols ont progressé de 6,6 % pour atteindre 1,45 % des ventes et ceci malgré une progression de près de 2 % des dépenses en matière de « prévention » du risque. C’est normal en période de crise et de baisse du niveau de vie de « prendre sur le tas » et un directeur d’une de ces firmes de sécurité peut affirmer : « Des voleurs mieux renseignés déjouent plus facilement les dispositifs standards de sécurité et ceux qui se font attraper sont les “occasionnels” ». Il y a donc de l’avenir et les novices doivent apprendre. La question est sérieuse pour l’ensemble du commerce et notamment pour ceux qui « travaillent » avec des marges de quelques pour cent. C’est sans doute pourquoi l’ouvrage dont nous parlons a fait l’objet d’une étude sérieuse dans le quotidien financier britannique Financial Times. C’est dire aussi l’ambiguïté de tels ouvrages sociologiques qui peuvent contenir des analyses ou informations intéressantes, mais servent tout autant aux patrons pour peaufiner leur répression.

Le « shoplifting » expression imagée – « soulever dans une boutique », difficile à traduire exactement en français – est aussi vieux que l’étalage de la marchandise par le capital dans des endroits spécifiques, la boutique et ses prolongements modernes. Ce n’est pas un hasard s’il s’est développé – pratiqué et réprimé – dans l’un des premiers capitalismes, celui de la Grande-Bretagne. Ce n’est pas non plus un hasard si cette forme de vol était réprimée d’une manière particulièrement sévère – la pendaison pour un « shoplifting » de cinq shillings (en 1700, cela représentait entre un à deux jours de travail d’un ouvrier qualifié) : l’affirmation du droit de propriété, pierre angulaire du système, notamment face à un prolétariat misérable justifiait une telle rigueur. De 1688 à 1800, il n’y eut pas moins de 150 lois contre le vol, avec la peine capitale pour les plus petits délits. Mais cela fut sans effet sur le « shoplifting » qui se développa à la mesure de l’essor du capitalisme, de la marchandise et de la misère.

En 1790, 15 % de ceux qui avaient volé de la nourriture furent pendus et un tiers des femmes déportées aux Amériques étaient des « shoplifters ». En 1821, six « shoplifters » furent encore pendus. Ce n’est qu’en 1832 que le « shoplifting » ne fut plus considéré comme un crime mais comme un simple délit. Il faut dire que la littérature populaire s’était emparé du sujet et avait fait des plus célèbre « shop­lifters » des héros populaires, des nouveaux Robin des Bois. Mais la plupart de ces héros (souvent des héroïnes) volaient des produits de luxe pour les revendre, et cela laissait dans l’ombre la grande masse de ceux qui volaient surtout de la nourriture pour leur simple survie, mais qui étaient tout aussi sévèrement réprimés.

C’est alors que se développent – à l’ère de la psychanalyse – les explications psychologiques et non plus sociales du « shoplifting » avec l’apparition de la kleptomanie. Si cela peut apparaître comme un moyen de défense pour tenter d’atténuer les sanctions, cela devient aussi le sujet de nombreux ouvrages littéraires puis cinématographiques. L’auteur s’étend abondamment sur ces variations culturelles sur le « shop­lifting » pour revenir pourtant à la place que cette forme de vol prend toujours dans notre « société de consommation ».

Ses conclusions sont rassurantes : que ce soit sous ses formes plus organisées collectivement ou individuellement, ou impulsées occasionnellement par les nécessités du quotidien, le « shoplifting » a de beaux jours devant lui et pas toujours dans les pays où on l’attendrait le plus. En témoignent la multiplication des entreprises spécialisées dans sa prévention et les avancées technologiques dans ce domaine. Mais c’est l’éternelle histoire de la lance et du bouclier, et les chiffres donnés au début de ce texte en témoignent. Tant que la société capitaliste offrira de la marchandise il se trouvera toujours des gens pour la « soulever », que ce soit par déviance psychique, par goût du lucre (pourquoi pas ?), par principe (on récupère ce que l’on nous vole et c’est une forme de lutte) ou par nécessité, ce qui finalement revient au même : la marchandise produite par tous appartient à tous et pas à quelques-uns.

H. S.

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