Un groupe anarchiste de Poznan prépare la traduction de l’ouvrage d’Henri Simon Pologne 1980-1982, Lutte de classe et crise du capital (Spartacus, 1982, paru aussi en anglais : Poland 1980-1982 , Class struggle and the crisis of Capital, Black and Red, 1985). H. S. a écrit pour cette édition polonaise la préface que nous reproduisons ci-dessous.
Cela fait plus de vingt années – une génération – qu’en novembre 1989 le mur de Berlin est tombé. Cet événement ponctuel semblait entraîner la fin de la domination soviétique sur ce que l’on appelait le Bloc de l’Est. Pourtant, c’était une domination formelle qui connaissait depuis des dizaines d’années les soubresauts, souvent tragiques, d’une incessante lutte de classe. Ces révoltes essentiellement ouvrières avaient souvent été suivies, même après leur écrasement, d’amorces de réformes économiques et politiques. Mais toujours ces réformes restaient dans le cadre de la domination soviétique. C’est ce qui les rendait fragiles et toutes temporaires, car les impératifs économiques de cette zone orientale dominée par l’URSS restaient déterminants. La pression sur la classe ouvrière finalement subsistait, même si elle avait été adoucie pour un temps (effet du rapport de forces ou prudence diplomatique des autorités) et d’autres révoltes pouvaient surgir ultérieurement, initiées par un contexte qui n’avait pas été profondément modifié.
L’économie de ce qui s’était voulu un système plus ou moins autarcique dans la planification centrale d’un capitalisme d’Etat, n’était pas aussi imperméable et indépendant du monde capitaliste « libre », quelque prétention qu’il pouvait en avoir de l’être La compétition entre les deux blocs autour de la « guerre froide » pouvait paraître essentiellement une compétition militaire mais, en fait, elle était d’abord économique. Comme dans toute économie capitaliste, sous le capitalisme d’Etat, l’exploitation du travail devait permettre de dégager une plus-value suffisante pour permettre au Bloc de l’Est de soutenir cette compétition. La productivité du travailleur russe était loin d’être à la hauteur de celle des travailleurs des principaux pays du bloc de l’Ouest : l’appoint devait être fourni par les pays du « glacis soviétique » d’où de nombreux conflits qui surgiront dans ces pays autour des normes de travail, des salaires et des prix. Ces conflits pouvaient prendre un aspect nationaliste car l’oppresseur capitaliste était identifié à l’occupant militaire.
Qui se souvient de ces luttes des travailleurs polonais et des autres pays de l’Est qui, de 1953 à 1981 (vingt-huit autres années, une autre génération), ont révélé toutes ces résistances dans le bloc soviétique. Elles pouvaient être spectaculaires et franchir l’hermétisme du rideau de fer mais elles reflétaient des affrontements constants dans le quotidien. Ces luttes restaient le plus souvent localisées dans leur cadre national. Mais elles étaient les éléments d’un puzzle qui, sans s’assembler en un mouvement global de luttes, n’en étaient pas moins les maillons d’une lutte d’ensemble, le maillon d’une chaîne de résistance à l’exploitation.
Bien que se déroulant dans un monde prétendument fermé, ces révoltes ouvrières n’étaient pourtant pas sans incidences sur l’ensemble du monde capitaliste, lequel restait attentif à leur déroulement. Non seulement parce qu’elles signifiaient des difficultés et un affaiblissement du régime soviétique mais aussi – surtout – parce que des révoltes de grande ampleur pouvaient sauter le mur et se répandre dans le monde capitaliste « libre ».
Cette crainte qu’un événement de portée révolutionnaire dans un des pays de l’Est puisse se révéler dangereux pour l’ensemble du monde capitaliste n’était pas totalement illusoire. Il y avait eu l’insurrection hongroise de 1956, celle de la Tchécoslovaquie de 1968, avec la formation de conseils ouvriers. Et même des théoriciens gauchistes pouvaient écrire, en 1977, que « la révolution hongroise de 1956 a été la première et jusqu’à présent la seule révolution totale contre le capitalisme bureaucratique total – la première à annoncer le contenu et l’orientation des révolutions futures en Russie, en Chine et ailleurs (1). » En particulier, l’insurrection hongroise en 1956 avec ses conseils ouvriers menaçait le capitalisme occidental tout autant que le capitalisme d’Etat soviétique : les chars russes purent l’écraser en peu de temps dans la passivité complice de tout le capitalisme libéral occidental.
D’autres insurrections pouvaient surgir – et elles n’y manqueront pas. La question qu’on peut se poser, c’est pourquoi l’effondrement de l’intérieur du capitalisme d’Etat, causé indirectement par les résistances de la classe ouvrière, n’a pas donné lieu à une révolution – on n’ose pas dire communiste, puisque le régime capitaliste d’Etat soviétique prétendait qu’il l’était. Pourquoi n’a-t-on assisté finalement qu’à une modification des conditions d’exploitation avec le passage de ce capitalisme d ‘Etat à un capitalisme libéral de libre marché ?
La réponse est dans la marche du capitalisme global. Que tous ces mouvements dans tout le bloc de l’Est se soient soldés par des défaites souvent sanglantes, leur victoire finale, indirectement, fut l’effondrement du système qui les dominait. Mais cette victoire était une victoire à la Pyrrhus. Car à mesure que la lutte des travailleurs polonais non seulement secouait la domination soviétique mais révélait les fragilités de ce système tout entier, cette menace potentiellement révolutionnaire suscitait l’apparition grandissante d’une force contre-révolutionnaire.
On peut penser que cela fut possible parce que la lenteur avec laquelle résistances et difficultés se sont accumulées, depuis les insurrections après la mort de Staline en 1953 (Berlin-Est, Hongrie, Pologne) jusqu’à l’halalli final plus de quarante ans après, a permis la mise en place de réseaux de plus en plus vastes d’encadrement pour assurer la transition entre deux moutures du capitalisme. Ces réseaux activement soutenus par le capital de l’Ouest – pas seulement en termes de propagande – permirent d’éviter que le vide politique de l’effondrement du capitalisme d’Etat ne soit comblé par un mouvement de lutte essayant de promouvoir une autre société que le capitalisme.
Quel intérêt peut-il y avoir aujourd’hui, en Pologne et hors de Pologne, à évoquer ce dernier affrontement de classe dans ce pays et les conséquences qu’il put avoir tant pour lui que pour l’ensemble du bloc soviétique et pour le capitalisme mondial ?
Récemment, alors qu’il réfléchissait sur ce qui se passait en Chine, un camarade s’est interrogé sur la similitude de situation, dans la Chine actuelle et la Pologne d’alors, entre la montée, dans les fréquentes luttes dans ce pays, d’une revendication d’un syndicat indépendant du syndicat officiel (2). En Chine comme en Pologne, une revendication relayée par certains cercles dirigeants, par une partie de l’intelligentsia et encouragée en sous-main par le reste du monde capitaliste « libre ». On peut également se poser la même question à propos des mouvements récents dans lesquels la classe ouvrière a pu jouer un rôle déterminant dans des mutations politiques, par exemple en Tunisie, en Egypte et éventuellement ailleurs.
La formation de Solidarnosc, les circonstances qui y contribuèrent et le rôle d’encadrement de la classe ouvrière que ce syndicat put jouer alors presque immédiatement, peuvent effectivement, toute relativité gardée, permettre de comprendre ce qui peut se dérouler aujourd’hui en Chine. A une moindre échelle, des Etats dominés par des régimes totalitaires peuvent connaître des transitions similaires vers la démocratie parlementaire avec une ouverture au marché mondial. Même si l’histoire ne se répète jamais de la même façon, on peut y retrouver des voies semblables qui permettent à un système capitaliste mondial de s’assurer qu’en aucun point du monde une crise particulière à un Etat puisse engendrer une situation révolutionnaire dangereuse pour le système tout entier.
Au cours des quarante années du régime capitaliste d’Etat de la zone russe, en Pologne, l’une des pièces les plus importantes du glacis soviétique, se concentrèrent une bonne partie des luttes prolétariennes, mais aussi, à la mesure de l’importance de ces luttes, les réseaux de la contre-révolution. Il n’est pas sans intérêt d’en retracer les péripéties historiques.
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A la fin de la première guerre mondiale, le traité de Versailles avait reconstitué une Pologne plutôt bancale (et génératrice de ce qui allait servir de prétexte à la seconde guerre mondiale), non dans l’intérêt des Polonais mais pour constituer un rempart contre la Russie soviétique dans laquelle le « monde libre » voyait alors une menace pour sa suprématie économique et politique. La seconde guerre mondiale se voulait un partage du monde en zones d’influences entre les deux grandes puissances d’alors, les Etats-Unis et l’URSS : la Pologne reconstituée par des puissances extérieures était de nouveau une zone tampon en prévision d’affrontements futurs, cette fois pour la protection de l’URSS contre la domination du « monde libre », soit pratiquement les Etats-Unis (le terme guerrier de « glacis » pris à l’art de la fortification exprimait bien ce rôle dans la guerre froide qui s’amorçait). Contrairement à cette Pologne bancale de l’après-première-guerre-mondiale, celle qui fut dessinée à Yalta en 1945 était beaucoup plus équilibrée économiquement. Si l’URSS annexait de grandes portions de territoires de l’Est du pays, c’était essentiellement des terres agricoles ; par contre ce que la Pologne gagnait à l’Ouest, en Poméranie et en Silésie, étaient des terres plus riches et surtout des zones industrielles et des richesses minières. Si les habitants allemands de cette zone émigraient vers l’Allemagne, les Polonais déplacés de l’Est formaient une main-d’œuvre propre à être exploitée comme travailleurs industriels dans cette zone récupérée sur l’Allemagne : ils formeront avec un essor industriel dans le centre de la Pologne les grands escadrons ouvriers dans une lutte de classe qui ne manque pas de s’engager chaque fois qu’on développe un prolétariat conséquent.
Après une brève période de pillage pur et simple des ex-usines allemandes pour réparer et moderniser l’appareil industriel russe, l’URSS misa sur le développement industriel dont la base existait dans cette ex-zone allemande. Deux conceptions s’affrontèrent alors au sein même du Parti communiste ; l’une voulait une Pologne définissant elle-même sa politique économique au sein de la zone soviétique, l’autre supposait une inféodation totale aux directives strictes élaborées à Moscou pour l’ensemble de la zone soviétique vue comme une entité économique globale. L’URSS dominait et imposa l’élimination politique de ceux qui avaient misé sur un développement national quelque peu indépendant de la Pologne, dont le chef de file était Gomulka : planification et collectivisation dictée par Moscou furent les deux mamelles de l’économie polonaise avec, en quelques années un développement spectaculaire des industries de base (en 1970, la Pologne sera le quinzième des pays industrialisés du monde).
Le 6 mars 1953, Staline meurt. Toutes les forces latentes de cette évolution surgissent au grand jour. L’insurrection quasi immédiate de Berlin Est (17 juin 1953) marque l’irruption de la classe ouvrière en tant que force sociale active sur la scène politique des pays capitalistes de l’Est (3). Mais ce n’est que trois années plus tard, après les révélations de Khrouchtchev sur les « crimes de Staline », que toute une opposition prend corps, sous des formes différentes dans chacun des pays européens du bloc soviétique. Les répercussions sont d’autant plus profondes que la période d’accumulation primitive, de reconstruction et d’édification d’industries de base est atteinte et que les rouages du Parti et de l’Etat présentent de multiples frictions. Aux difficultés économiques (baisse des salaires réels) correspond une opposition qui s’exprime d’abord par des discussions au sein du Parti (notamment sur le rôle des syndicats), par des campagnes ouvertes des intellectuels (en 1955) et des modifications politiques (notamment la libération de Gomulka). Tous les pays de l’Est européen sous domination soviétique entrent en ébullition.
C’est l’explosion de Poznan, le 28 juin 1956, qui matérialise la première apparition des travailleurs polonais sur le devant de la scène. La répression est brutale et sanglante mais les dirigeants savent habilement canaliser tous les courants de « libération » et de « lutte » et les utiliser à la fois contre la Russie et contre les staliniens du Parti, mais surtout contre les travailleurs et les comités révolutionnaires qui se sont constitués. En octobre 1956, le retour de Gomulka au pouvoir signifie la mise en place de réformes structurelles de l’Etat : la décollectivatisation des campagnes et la création par en haut de « conseils ouvriers », parallèlement à une réforme des syndicats. L’insurrection hongroise de fin octobre 1956, écrasée en deux semaines par les chars russes, laisse d’une certaine façon un peu les mains libres à ces tentatives de réformes. Un des résultats de cette lutte des travailleurs polonais fut une sorte de régulation économique dans les liens avec l’URSS avec des prix plus « réguliers » dans les livraisons à l’Etat central, c’est-à-dire une part plus importante de la plus-value extorquée aux travailleurs polonais restituée à la Pologne mais pas forcément aux travailleurs. Dans les années qui suivirent, le résultat de ces luttes fut aussi un assouplissement des conditions d’exploitation, un ralentissement du rythme forcené de l’industrialisation et une élévation du niveau de vie.
Mais jusque dans les années 1960, tout est peu à peu remis en place sauf la collectivisation des campagnes. Les problèmes internationaux de l’URSS s’amplifiant, les impératifs antérieurs resurgissent avec la domination du Parti. Le niveau de vie recommence à baisser, aggravé par le fait que des générations importantes de jeunes arrivent à l’âge adulte et que l’expansion économique et la production de biens de consommation ne suivent pas. Les contradictions du système et son incapacité à se réformer sont de plus en plus aiguës. Dès 1963, les grèves sont de plus en plus fréquentes, dirigées principalement contre les hausses de prix et contre les sanctions prises après ces mouvements de lutte. En mars 1968, la révolte étudiante peut sembler prendre le relais des mouvements de grève dispersés, mais les ouvriers ne s’y joignent pas et les étudiants sont écrasés. Les grèves de l’été 1968 dans l’Europe de l’Ouest ne semblent avoir guère d’écho, pas plus que le « printemps de Prague » également écrasé par les chars russes. Les grèves ne cessent pas pour autant en Pologne et, au cours de l’hiver 1969-1970, éclatent de nombreux conflits que le Parti tente de régler par des séances d’explications sur les lieux de travail, d’autant plus vaines qu’elles se retournent souvent contre les bureaucrates. Cette situation exacerbe les luttes de clans au sein du Parti qui ne parvient en aucune manière à stopper la lente dégradation de l’économie. D’où des mesures drastiques pour redresser la barre, fût-ce au prix d’un affrontement majeur.
Le 13 décembre 1970, le gouvernement annonce un « remaniement des prix » qui entraîne une hausse des prix alimentaires jusqu’à 30 % ; cela tombe mal car déjà des grèves ont éclaté dans la semaine aux chantiers navals de Gdansk et dans d’autres usines concernant l’application de nouvelles normes de travail dites « techniques », dont le but est une diminution des salaires de 15 %. La grève de Gdansk prend de l’ampleur mais, contrairement à ce qui s’est passé antérieurement dans certains pays de l’Est, les intellectuels et les étudiants ne prennent nullement part au mouvement, qui reste un combat ouvrier. A Gdansk, les ouvriers sortent de l’usine pour s’attaquer à tous les immeubles symboles de la domination du Parti, pillent les magasins et tentent de se procurer des armes. Ils tentent de rallier tous les travailleurs de la ville et des villes voisines.
Les 14 et 15 décembre, les attaques s’étendent. L’armée intervient, tirant sur la foule, plusieurs dizaines de tués, des centaines de blessés ; les ouvriers se retranchent dans les chantiers, mais des pourparlers avec le comité ouvrier de l’usine font que la grève cesse bientôt à Gdansk. C’est alors aux chantiers navals de Gdynia, la ville voisine, que, le 17 décembre, tout va se précipiter. L’armée occupe les chantiers et les ouvriers veulent y entrer : ils sont accueillis par des tirs de mitrailleuse, certains depuis des hélicoptères. La foule se répand dans la ville mais partout est accueillie par des tirs. Personne ne saura jamais le nombre des tués et des blessés. Les grèves s’étendent dans toute la Pologne mais c’est à Szczecin, industrie sidérurgique et chantiers navals, que les choses prennent une toute autre tournure : une assemblée dans les chantiers en grève élit un comité ouvrier qui établit un catalogue de 22 revendications, économiques autant que politiques.
Il est difficile de décrire dans le détail le chambardement politique dans le parti, la venue humiliante du nouveau premier secrétaire Gierek dans les chantiers et les réponses partielles aux revendications qui entraîneront fin janvier la reprise du travail. Mais si les dirigeants pensent en avoir fini, ils se trompent, car la grève éclate de nouveau dans les usines textiles de Lodz qui seront occupées du 6 au 13 février 1971. Devant la menace d’une extension, le gouvernement accepte ce qu’il avait refusé jusqu’alors : l’annulation des hausses de prix. Les conséquences pour tout le bloc russe sont difficiles à évaluer : la classe dominante a dû prélever sur ses ressources, modifier certaines orientations et cela sans espoir de récupération immédiate.
Pour la Pologne seule, le déficit de la balance des paiements ne cesse de se creuser, notamment envers les pays occidentaux. La menace d’une faillite de l’Etat et d’une autre insurrection ouvrière difficile à contrôler va précipiter la formation d’une sorte de contre-gouvernement. Deux événements serviront en quelque sorte de tremplin pour sa mise en place. L’un en septembre 1975 concerne l’alliance entre les intellectuels et l’Eglise catholique dans l’opposition à une réforme permettant un contrôle idéologique plus strict du Parti sur les courants de pensée autres que ceux contrôlés par le Parti : les uns s’expriment dans une lettre de protestation, les autres dans une déclaration de l’épiscopat. L’autre événement, en juin 1976, c’est de nouveau une réaction ouvrière quasi spontanée en réponse à une tentative de redresser la situation économique par des hausses de prix spectaculaires (jusqu’à 70 %).
Des explosions éclatent dans différentes villes de Pologne qui jusqu’alors n’avaient guère connu les grèves. Deux se distinguent par leur violence particulière, Radom et Ursus, dans la région de Varsovie : elles sont violemment réprimées par les unités spéciales de la police. Des blessés et de nombreuses arrestations : les intellectuels avaient tenté de s’associer au mouvement (4). En septembre 1976, 14 membres de l’opposition lancent un appel qui deviendra l’acte fondateur d’un « Comité d’autodéfense des ouvriers » (KOR) qui deviendra le Comité d’autodéfense sociale (KSS KOR), une base plus large, plus politique. Rapidement cette organisation se relie à d’autres organisations internationales qui sous le couvert de « défense des Droits de l’Homme » sont le fer de lance de la pénétration du capitalisme occidental dans l’univers soviétique. Avec le soutien de l’Eglise catholique, celle des institutions américaines, dont Radio Free Europe, tout un réseau clandestin se constitue, centre d’une propagande oppositionnelle au régime. A la fin des années 1970, ce réseau comportera 500 à 1 000 militants, opérationnels pour une intervention lors de l’explosion du baril de poudre qu’était devenu la Pologne à ce moment. Avec le soutien de l’Eglise catholique et de tout le monde capitaliste occidental, tout était prêt pour l’encadrement du mouvement ouvrier, pour faire en sorte qu’il ne s’engage pas dans des voies révolutionnaires : la contre-révolution était en place avant que la révolution n’éclate.
La suite fait l’objet de ce livre : en 1981, de nouveau les chantiers navals de Gdansk seront au centre des luttes ouvrières dans toute la Pologne. La répression du mouvement ne se fait plus par les armes. Le KOR, avec tous ses soutiens – Eglise catholique, syndicats et gouvernements occidentaux – s’assure le contrôle du mouvement en mettant en place les hommes qui vont assurer la transition vers le capitalisme libéral de marché. Commence alors un dialogue avec le pouvoir en place qui va se poursuivre dans les années suivantes. L’URSS prise dans ses propres problèmes ne pourra empêcher, malgré les menaces, cette évolution.
La pièce centrale du conditionnement du mouvement ouvrier polonais sera le syndicat Solidarnosc avec l’homme lige de l’Eglise catholique et de l’Occident : Lech Walesa. Celui-ci assumera, bien sûr avec tous ses appuis intérieurs et extérieurs même avant la chute du mur et avant l’écroulement de l’empire soviétique, cette fonction de transition vers le capitalisme « libre ». Les travailleurs polonais devront continuer à lutter contre leur exploitation mais dans un contexte totalement différent. L’introduction dans la compétition du monde capitaliste signifiera des restructurations éprouvantes, l’émiettement des luttes dans le développement du secteur privé et la transformation définitive du syndicat Solidarnosc en un syndicat à l’occidentale, c’est-à-dire non plus le fer de lance d’un combat politique mais un rouage dans le fonctionnement du système. L’histoire de leur lutte ne s’écrira plus dans le cadre spécifique de la domination soviétique mais dans celui du capitalisme mondial en solidarité avec l’ensemble des exploités : ce sera un autre chapitre d’une lutte qui ne cessera qu’avec la fin du système capitaliste dans une révolution mondiale.
H. S.
NOTES
(1) Castoriadis, « La source hongroise », Libre n° 1, 1977, p. 53.
(2) Voir La Question syndicale en Chine. Documents officiels, officieux et militants, p. 6 et 7, Echanges et Mouvement, mai 2010.
(3) Voir Cajo Brendel, L’Insurrection ouvrière en Allemagne de l’Est juin 1953 ? Lutte de classe contre le bolchevisme, Echanges et Mouvement, 1980, et « Signification de la révolte de juin 1953 en Allemagne Orientale » et « Le prolétariat d’Allemagne orientale après la révolte de juin 1953 », in Socialisme ou Barbarie n° 13, janvier-mars 1954.
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Des documents récents sur les conditions de vie dans la Pologne d’aujourd’hui « Grève des mères dans une Zone économique spéciale » peuvent être obtenus sur les sites suivants : – un film avec des sous-titres et une introduction en anglais http://blip.tv/szumtv/strajk-matek-... – les textes en français sur : https://fr.squat.net/2012/01/16/wal...
(les textes sur papier en français et anglais sur demande à echanges.mouvement@laposte.net).