Le soixantième anniversaire de l’OTAN – Organisation du traité de l’Atlantique Nord – nous donne l’occasion de passer en revue le positionnement de l’ennemi de classe « la communauté internationale du capital » et l’arsenal de guerre du camp occidental. On fait beaucoup de tapage autour du « retour » de la France dans l’OTAN, célébré lors du sommet de l’organisation à Strasbourg les 3 et 4 avril. La France n’a en fait jamais quitté l’OTAN, dont elle était en 1949 un des membres fondateurs, elle en est encore aujourd’hui un des principaux contributeurs (1).
De Gaulle, en 1966, a décidé de quitter le « commandement intégré » de l’OTAN, ce qui entraîna le départ du territoire français de toutes forces militaires des pays de l’Alliance, et notamment la fermeture des bases américaines ; il poursuivait ainsi son rêve d’indépendance et préservait l’autonomie de la force de frappe nucléaire alors en construction (2). Le « retour » – avec des guillemets, puisqu’il n’y a jamais eu rupture (3) – de la France dans l’OTAN semble être tactique et aussi budgétaire, de même que la position du Royaume-Uni ; ces deux Etats se sont mis d’accord à Saint-Malo en 1998 (4) uniquement pour booster « la défense européenne » et s’ouvrir des marchés, tout en cherchant à faire contribuer à cet effort de guerre les autres pays européens qui aujourd’hui renâclent d’autant plus que la crise ronge leurs finances. Quant aux nouveaux membres de l’Union européenne, ils sont plus enclins à s’aligner sur l’Oncle Sam.
Même si, en apparence, la France et le Royaume-Uni ont obtenu de l’OTAN, suite au sommet de Prague (novembre 2002), le label de « nation Cadre NRF (Nato Response Force) » (5). Il n’en reste pas moins que l’objectif des Etats-Unis est l’intégration de l’UE dans l’OTAN, pour faire de l’OTAN un instrument de sa domination mondiale, dans le cadre du concept de RMA (Revolution in Military Affairs, Révolution dans les affaires militaires) élaboré par les Américains au lendemain de la chute du Mur de Berlin et réaffirmé par les faucons du Pentagone après la guerre du Golfe en 1991.
Les Etats-Unis ont le projet de faire aboutir cette révolution à l’horizon 2020, sur une objective force à dominante technologique dont le financement serait assumé par les membres de l’OTAN.
La tournée du président des Etats-Unis Barack Obama au sommet du G20 à Londres le 2 avril, puis à celui du 60e anniversaire de l’OTAN les 3 et 4 avril à Strasbourg et à Kehl (Allemagne), et au sommet Etats-Unis/UE le 5 avril à Prague, visait cet objectif et d’autres.
Sans reprendre tout l’historique visant à l’instauration d’une « défense européenne » (6), nous partirons du sommet de Saint-Malo du 4 décembre 1998 pour en exposer l’évolution récente. Quelque temps après ce sommet, Tony Blair se dira favorable à une armée européenne ; Madeleine Albright, alors Secrétaire d’Etat, rétorquera : « Nous ne voulons pas que l’identité européenne de défense sape la vitalité de l’OTAN. » La mise en garde est sans ambiguïté. En y regardant de plus près, le sommet de Saint-Malo ressemblait plus à un rapprochement pour cause budgétaire, le Royaume-Uni pas plus que la France n’étant capable seul de relever le défi technologique des Etats-Unis. Les Etats européens devront se résigner et procéder à des coupes claires dans leurs divers programmes.
Dès 1994, l’Etat français va limiter ses dépenses d’armement, en se fixant pour objectif une baisse de 30 % des coûts des programmes sur la durée de la programmation, c’est-à-dire cinq ans. Ensuite les coupes claires, les interruptions et suppressions de programmes se sont succédé. La loi de programmation (1997-2002) allait réduire ses « cibles » sur 31 programmes et procéder à un étalement sur 20 autres.
Depuis, le gouvernement Fillon veut la suppression de quelque 54 000 postes au ministère de la Défense et des forces armées sur six ou sept ans, afin de libérer les finances nécessaires à la modernisation du matériel militaire lourd. Au Royaume-Uni, le gouvernement Major a lui aussi procédé à une baisse de 30 % du budget militaire.
L’Etat français n’a plus la capacité de procéder à un développement industriel de ses prototypes à hautes technologies. Il est réduit, pour conserver les compétences de ses techniciens, à attendre l’européanisation militaire industrielle, qui tarde à se mettre en place. Cette politique dite « prototypaire » ne peut se prolonger très longtemps. Une fraction de la bourgeoisie française se rend compte qu’elle n’a pas les moyens de rivaliser durablement avec les Etats-Unis dans la course aux armements sans le soutien financier des autres pays de l’UE.
La politique de la France va alors louvoyer. Dès 1991, Mitterrand se rendra compte de la distance technologique prise par ses alliés lors de la guerre du Golfe et souhaitera un retour progressif de la France dans l’OTAN. En 2003, celle-ci est de nouveau membre de l’organisation militaire de l’OTAN (signalons que même en 1966 les forces armées françaises veillaient à toujours être en interopérabilité avec l’OTAN).
« En 1992, avec François Mitterrand, des officiers ont recommencé à assister au comité militaire dans le cadre des opérations en Bosnie. Avec Jacques Chirac, la France a réinséré des militaires français dans la structure intégrée en 2004 trois états-majors à Lille, Lyon et Toulon sont certifiés pour les opérations alliées et sur le terrain, des troupes françaises sont engagées avec l’OTAN en Afghanistan et au Kosovo (7).
En échange de cette participation, la France de Chirac espérait obtenir le commandement sud de l’OTAN (celui qui couvre la zone des Balkans). Mais les Etats-Unis n’étaient pas enclins à satisfaire la demande française, dont ils percevaient l’ambition, celle d’une Europe militaire indépendante.
En décembre 1995, la France fait un pas de plus vers l’OTAN et siège de nouveau au Conseil des ministres et au comité militaire de l’OTAN. Depuis le sommet de Saint-Malo, l’Union européenne n’a cessé de renforcer et développer des structures communautaires (8) menant vers une force militaire unique et intégrée, capable d’intervenir sans hésitation tant à l’extérieur, que pour le maintien de l’ordre intérieur et même dans des contrées lointaines, le théâtre des opérations de l’Union européennne ne devant plus se cantonner à la défense des frontières de l’Union. Mais sortir d’une défense régionale pour se lancer avec les Américains et dans le cadre de l’OTAN dans des opérations visant la domination mondiale.
Mais quoi que puisse faire l’UE, elle reste un nain militaire par rapport aux Etats-unis. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les budgets militaires : 649,9 milliards de dollars pour les Etats-Unis, contre 59,2 pour le Royaume-Uni et 53,1 pour la France – ou, si l’on préfère : l’UE consacre 1,9 % de son PIB à la « défense » et les Etats-Unis 3,4 %.
En décembre 2003, le Conseil européen va s’aligner sur le discours étasunien en adoptant une stratégie européenne contre le terrorisme et les armes de destruction massives. Cet alignement va donner l’occasion à l’Union européenne d’intervenir militairement dans plus de 19 opérations civiles et militaires sur quatre continents.
Deux opérations majeures seront menées par l’EUFOR (European Union Force) : l’opération Althéa (9) en Bosnie-Herzégovine pour remplacer l’OTAN puis, en janvier 2008, l’intervention au Tchad et en République du Congo.
Cette intervention est la plus importante de l’UE : plus de 3 300 soldats pour venir en aide aux humanitaires, en réalité aux autorités du Tchad et de la République démocratique du Congo, dont le pouvoir est menacé. L’opération multinationale du nom de Minurcat (Mission des Nations Unies en République Centrafricaine et au Tchad) fut commandée à partir d’un état-major situé au Mont Valérien (Paris), relayé sur place au Tchad par un général de brigade français.
L’originalité des structures paramilitaires de l’UE consiste à toujours associer les descentes militaires à une aide aux populations, afin de légitimer au nom des droits de l’homme l’intervention impérialiste. Tout ceci se fait sous le couvert de missions « état de droit » dites Eulex -Kosovo, dans le cadre de la Minuk (10). Une mission du même type sera mise en place le 21 février 2005 par le Conseil de l’UE, sous le nom d’Eujust Lex (« mission intégrée Etat de droit ») pour l’Irak.
La crise économique et financière contraint aujourd’hui le camp occidental à resserrer les rangs, et dans le contexte actuel, certains membres du lobby militaro-industriel français n’ont pas digéré la participation de plusieurs pays européens au programme aéronautique américains du JSF, ou au programme naval du LCS, au détriment de l’industrie militaire de l’Union européenne : une affaire de 4 milliards de dollars, et une véritable nique à l’Agence européenne de défense qui doit favoriser le marché européen des équipements de défense compétitifs et mettre en œuvre des politiques visant à renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD).
De plus, sur tous les grands dossiers, l’UE est brinquebalante. Le Royaume-Uni s’aligne sur Washington, la Pologne aussi. D’autres comme l’Espagne ou l’Italie ménagent la chèvre et le chou. Quant aux Etats-Unis, ils ne sont plus eux non plus en mesure de poursuivre seuls leur projet de RMA. Il leur faut la contribution financière des Européens, quitte à passer des alliances avec les producteurs d’armement de l’UE (type Raythéon).
Comme dans tous les autres secteurs, l’industrie d’armement en temps de paix ou de petites guerres localisées est en surproduction, ce qui avive la concurrence du secteur militaro-industriel et des monstres vont devoir tomber. Côté américain, quatre géants se partagent le secteur aérospatial (Lockheed Martin, Northrop Grumman, Raythéon et Boeing), et côté ouest-européen, trois (Bae Systems, EADS et Thales).
Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN dépendra au final du mode de répartition des commandes et des profits des complexes militaro-industriels. Nicolas Sarkozy en la matière soutiendra Dassault et EADS. Il est même question que, dans la corbeille des retrouvailles, l’armée française trouve la direction d’un des deux commandements stratégiques de l’OTAN, le « Commandement allié transformation » (ACT), basé à Norfolk, en Virginie, et chargé de piloter la réforme de l’OTAN. Et, en prime, qu’un général français prenne la tête du commandement régional de Lisbonne, où se trouve le QG de la force de réaction rapide de l’Alliance (11).
En conclusion
Les Etats-Unis, nous l’avons vu par exemple en mars 2003 lors de la guerre d’Irak, prétendaient pouvoir régenter seuls le monde. Ils sont allègrement passés au-dessus de l’ONU pour déclencher la guerre (12)) . Aujourd’hui ils veulent intégrer l’UE (leur principal concurrent économique) dans une sorte d’ONU armée, visant à marginaliser complètement les Nations-Unies.
Pour les Etats-Unis, les puissances ennemies sont toutes désignées (Chine, Russie, Iran , Corée du Nord ...) et c’est contre ce bloc potentiel que l’OTAN doit fourbir ses armes, se préparer au « choc des civilisations » c’est-à-dire à la montée de puissances économiques pouvant maintenant défier l’Occident (13). Telles sont, en dernière analyse, les raisons qui poussent les Etats-Unis à resserrer les rangs avec l’UE (qui cherchait à rester en dehors d’un tel conflit, pour ensuite, après la guerre, se présenter comme bloc reconstructeur). Mais les Etats-Unis sont bien décidés à empêcher l’UE de jouer le rôle de Vénus, alors qu’eux-mêmes continueraient seuls à assumer celui de Mars (dieu de la guerre). Le mariage entre Mars (les Américains) et Vénus (les Européens) mis sur les bans par le politologue néo-conservateur Robert Kagan (14) devrait donner naissance à un petit monstre visant la domination mondiale.
G. Bad
mars 2009
NOTES
(1) « La France est le quatrième contributeur financier de l’Alliance avec des troupes qui comptent pour 7 % des effectifs engagés dans les opérations. Ce sont près de 4 650 soldats qui agissent sous la bannière de l’OTAN », lit-on dans le n° 94 (12 mars 2009) de Clés Actu, une publication officielle du porte-parole du gouvernement www.porte-parole.gouv.fr/wp-content...
(2) « Dès à présent, bien que l’Alliance atlantique demeure telle que nous l’avons conclue en 1949, il ne subsiste pour nous aucune subordination ni actuelle, ni éventuelle de nos forces à une autorité étrangère (...) L’accession de la France à la puissance atomique et son accession à son indépendance en matière de Défense sont pour elle désormais une garantie essentielle et sans précédent de sa sécurité propre » (De Gaulle, conférence de presse du 28 octobre 1966).
(3) « Il s’agit là, non point du tout d’une rupture, mais d’une nécessaire adaptation » (De Gaulle, conférence de presse du 21 février 1966).
(4) En décembre 1998, lors d’un sommet tenu à Saint-Malo, la France et le Royaume-Uni font une déclaration commune affirmant la détermination de l’UE à établir une politique européenne de sécurité et de défense.
(5) Depuis le 1er juillet 2005, l’armée de l’air française a le privilège (pour six mois) d’être l’un des principaux contributeur, avec les Britanniques, de la « Nato Response Force » (NRF).
(6) Voir A propos de la constitution d’une communauté autonome de la défense, Echanges n° 108 (printemps 2004).
(7) Clés Actu, document cité note 1.
(8) Notamment le comité politique et de sécurité,le Comité militaire de l’UE, le haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) , l’agence européenne de défense (AED), plus des organisations visant à faire face à la guerre de classe.
(9) Le 2 décembre 2004 a marqué la fin de l’existence de la « Stabilization Force » en Bosnie-Herzégovine (SFOR), déployée en vertu de l’annexe 11 des accords de Dayton-Paris (1995). Dans la continuité de la SFOR, l’Union Européenne conduit à présent l’opération Althéa, commandée par le major général (Royaume-Uni) Leaky. Cette opération se compose d’environ 7 000 militaires sur le théâtre, répartis entre un état-major et trois « Task Forces » d’environ 1 800 militaires. 2 830 militaires allemands, italiens et britanniques sont dédiés au titre de la réserve opérationnelle à partir de leur territoire. Des moyens planifiés, en liaison avec le commandement air de l’OTAN et six pays membres de l’UE sont dédiés à Althéa.
(10) La MINUK correspond à l’autorité administrative de l’ONU qui a pour but d’administrer le territoire et la population du Kosovo, tous les pouvoirs législatifs et exécutifs, ainsi que les pouvoirs judiciaires. Son but est de faciliter l’instauration au Kosovo d’une autonomie et d’une auto-administration. Elle doit aussi veiller au bon déroulement du retour et à la sécurité des populations réfugiées dans les pays limitrophes durant la guerre.
(11) Ce qui explique tout le cinéma – menace de boycotter la réunion – que Sarkozy a fait pour figurer sur la photo de famille au côté du secrétaire général de l’Otan Jaap de Hoop Scheffer. Cette demande a été satisfaite par les dirigeants de l’Otan : à l’ouverture du sommet de Strasbourg M. Sarkozy devait prendre place à droite du chef de l’Alliance et la chancelière allemande Angela Merkel être assise à sa gauche. Après la photo de famille, les participants à la réunion devaient être installés autour de la table par ordre alphabétique.
(12) Comme la France, la Russie et la Chine entendaient utiliser leur droit de veto pour empêcher une approbation à l’ONU de la guerre contre l’Irak que voulaient les États-Unis et le Royaume-Uni. Ceux ci décidèrent, sans l’aval de l’ONU, d’attaquer l’Irak en mars 2003. Cette guerre fut qualifiée de guerre « illégale » par les secrétaires généraux des Nations-Unies.
(13) Pour alimenter ce danger, on cite souvent Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères : « Pour la première fois depuis longtemps, un environnement concurrentiel existe sur le marché des idées entre différents systèmes de valeurs et modèles de développement. La bonne nouvelle du point de vue russe, c’est que l’Occident est en train de perdre son monopole sur le processus de mondialisation. »
(14) Robert Kagan, La Puissance et la Faiblesse, éd. Hachette, « Pluriel », 2006.