A l’heure où tant de politiciens, d’intellectuels et de journalistes de gauche nous vantent les pseudo vertus sociales du programme du CNR (Conseil national de la Résistance), il est bon de rappeler quel était le régime d’austérité et de répression qu’ont imposé les partis de gauche et de droite après 1944 à la classe ouvrière de France. Les neuf textes qui suivent ont été publiés dans "La Révolution prolétarienne", "Combat Communiste", "Courant alternatif" ou bien distribués sous forme de tracts et de brochure à l’époque. Espérons qu’ils susciteront un débat salutaire sur ce que signifie "l’union nationale", même repeinte en rouge, en rose ou en vert.
Ni patrie ni frontières.
Cet article fait partie d’une série d’articles consacrés à l’histoire du mouvement ouvrier en France.
1. La lutte pour la diminution du temps de travail (Combat Communiste) voir article 1561
2. La CGT, de la Charte d’Amiens à Mai 68 (Combat Communiste) voir article 1562
3. La CFDT de la création (1964) à 1976 (Combat Communiste) - voir article 1563
4. L’union sacrée en 1914-18 (Combat Communiste) voir article 1566
5. Juin 36 (Combat Communiste et Pierre Monatte )- voir article 1567
6. Luttes ouvrières 1944-47 (Combat Communiste, Pierre Bois, Courant Alternatif, Communistes révolutionnaires )- voir article1569
7. 1950-1955 (Combat Communiste) 1571
8. 1961-1963 : Les mineurs en lutte (Combat Communiste) 1574
9. Luttes de classe en France 1964-1967 (Combat Communiste) 1575
10. Mai-Juin 68 une occasion manquée pour l’autonomie ouvrière 1577 (Mouvement communiste)
11. Mai 68. Dix ans après (Combat Communiste)
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Luttes ouvrières 1944-1947
1944 : Les travailleurs restent muets
Les troupes américaines et alliées, les résistants organisés dans les FFI (les Forces Françaises de l’Intérieur, furent créées le 1er février 1944 et absorbèrent les Francs-Tireurs et Partisans, FTP, encadrés par le PC) ont renversé la sanglante dictature pétainiste qui pesait sur les travailleurs depuis quatre ans. Mais cette « libération » n’a pas été le fait des travailleurs. Aucune grève générale, sinon la veille ou le jour même de l’arrivée des soldats et des résistants dans les grandes villes.
À la « libération », après cinq années de guerre, le pays était exsangue : économie dans le chaos, ravitaillement insuffisant et précaire, finances en désordre, chômage. « Le gaz est coupé à 21 heures, l’électricité de 9 heures du matin à 17 heures. Dans les villes, la ration avoisine 90 grammes de charcuterie par semaine, ainsi que 150 grammes de viande ; l’allocation mensuelle de sucre est de 500 grammes, de même que le beurre. Vêtements et chaussures ne sont obtenus que contre des points de textile. Le combustible est rare, sauf au marché noir (1). » Un million et demi d’immeubles ont été détruits ou endommagés par les combats, ce qui fait que les conditions de logement de la population laborieuse sont misérables.
Cependant, malgré ces conditions de vie très dures, le rapport de forces n’est pas favorable à la classe ouvrière, car les travailleurs ont trop d’illusions sur de Gaulle, la SFIO, le PCF, la CGT, pour entamer une véritable lutte pour le pouvoir. Quant aux « comités de libération » et aux « milices patriotiques » (organisation para-policière dont la tâche était dans l’immédiat d’exercer des représailles contre les collaborateurs, formée à l’initiative du PC en juin 1944 et dissoute en novembre 1944 par Thorez à son retour d’URSS), ce sont loin d’être des soviets et des milices ouvrières dans leur écrasante majorité, mais des organismes contrôlés entièrement par les staliniens et créés de toutes pièces, sur des bases nationalistes, pour remplacer l’appareil d’Etat vichyssois.
« Produire d’abord »
Le gouvernement formé par de Gaulle, où siègent communistes, socialistes et MRP, se fixe pour tâche de « redresser l’économie nationale ». La CGT, où le PCF est majoritaire, est au premier rang de la bataille de la production, bien sûr. « Faire du charbon » est « la forme la plus élevée du devoir de classe », comme le déclare le secrétaire général du PCF. La bourgeoisie appelle les travailleurs à « produire » tout autant d’enfants (« 12 millions de beaux bébés qu’il faut à la France dans les dix ans à venir ») que de marchandises. Les conditions de travail dans les usines sont très dures, le coût de la vie augmente constamment (10% d’inflation par mois), le ravitaillement s’effectue dans des conditions défectueuses.
Une brochure éditée par La Cause du Peuple il y a quelques années décrit la misère qui était le lot quotidien des travailleurs, et notamment des mineurs, à l’époque : « C’est un vrai supplice, intolérable pour un mineur, de ne pas pouvoir se débarrasser de cette couche gluante et noire qui s’est incrustée dans sa peau pendant ses huit heures de travail : il n’y a pas de savon. Pas un ouvrier de la mine n’échappe à la gale qui, jour et nuit, le ronge et rend chaque jour son travail plus insupportable. Le pain est rationné et est en plus immangeable : pas de fruits, pas de beurre pour le briquet ; le bidon ne contient qu’une eau noirâtre faite avec des petits pois brûlés, qui remplacent le café. Malade ou blessé, il n’y a pas de médicaments. On ne trouve pas de farine de moutarde pour faire un synapisme. Si le docteur prescrit du sirop, il faut porter sa ration de sucre au pharmacien. Les remèdes de bonne femme sont revenus à la mode. La mortalité infantile est effrayante dans les corons. Les compagnies minières n’ont construit aucun logement ouvrier depuis 25 ans ; elles entassent les ouvriers, les vieux et les jeunes couples, à deux ou trois ménages par maison (2). »
Les salaires sont tellement bas que les travailleurs sont obligés de faire des heures supplémentaires en pagaille et d’accepter le travail aux pièces et au boni. « Crevez les plafonds, travaillez davantage, voilà qui permettra d’augmenter vos salaires », conseille le ministre stalinien du Travail. Les travailleurs sont appelés à « retrousser les manches », à « produire d’abord, revendiquer ensuite ».
Pour ceux qui croient que les rapports entre les ouvriers, d’un côté, les patrons et la maîtrise de l’autre vont changer, Croizat, dirigeant stalinien de la Fédération des métaux et ministre du Travail, précise : « Il a été parlé d’un établissement d’Etat dans lequel on voulait faire élire les cadres par le personnel : c’est la preuve qu’on n’a rien compris au véritable rôle des comités mixtes. Il ne s’agit pas pour eux de diriger les entreprises, mais d’aider à les rénover par une production accrue. Il y a des patrons, des directeurs responsables de la production. C’est à eux alors de choisir leurs cadres, ceux à qui sont confiés les postes, à tous les échelons, sans quoi il n’y aurait plus d’autorité. Les comités mixtes sont avant tout l’expression du patriotisme dans le travail » » (La Vie Ouvrière, 7 juin 1946). « À Waziers, Thorez cite en exemple les métallos qui renoncent à leurs vacances pour fabriquer des marteaux-piqueurs. La Tribune, organe du syndicats des mineurs du Pas-de-Calais, publie dans la rubrique “Des artisans de la Renaissance française”, le nom des ouvriers qui ont augmenté le rendement. La durée du travail se ressent de cette “émulation”. Une circulaire est adressée par le secrétaire d’Etat communiste au Travail, Patinaud, à ses inspecteurs pour ne pas s’en tenir à l’officielle semaine des 40 heures et recommander la semaine des 48 heures (3). »
Les premières grèves
Les quelques grèves qui éclatent en 1945 et 1946 sont violemment dénoncées par la CGT et le PCF. Lorsqu’en décembre 1945 éclate une grève des fonctionnaires, Thorez, qui est ministre de la Fonction publique, refuse de donner satisfaction aux grévistes. En janvier 1946, les rotativistes de la presse remettent en cause le blocage des salaires et Thorez s’écrie au conseil des ministres : « Ce sont des anarchistes qui se sont déshonorés pendant la guerre ! Jamais je n’ai entendu parler d’un ouvrier du Livre qui ait refusé d’imprimer le Pariser Zeitung. »
Lors de la grève des postiers d’août 1946, grève victorieuse déclenchée par des militants anarcho-syndicalistes de la tendance Force Ouvrière de Bordeaux, malgré l’opposition de la fédération CGT contrôlée par le PCF, Monmousseau écrit dans L’Humanité (5 août) : « Les premières informations que nous recevons démontrent qu’une poignée d’agents, répartis dans différents centres, qui sous l’Occupation collaborèrent avec Pétain, sont à la base du mouvement d’indiscipline qui risque de compromettre les postiers et la CGT aux yeux de la population française. »
Notons au passage que si le PCF, entre 1945 et 1947, traite les grévistes de « fascistes », de véritables fascistes pullulent encore dans l’appareil d’Etat et dans la direction et l’encadrement des entreprises avec la complicité du PCF. Même si nous pensons que l’élimination politique d’ennemis de la classe ouvrière ne change pas la nature de l’appareil d’Etat, il est clair que la présence de ministres du PCF au gouvernement n’a même pas servi à les mettre hors d’état de nuire.
La grève Renault (avril-mai 1947)
La grève Renault fut la première lutte qui eut un poids véritable à l’échelle nationale. Déclenchée, le 25 avril, par le comité de grève élu par près de 700 des 1 200 ouvriers du secteur Collas et dirigé par un militant de l’Union Communiste (ancêtre de Lutte Ouvrière), la grève s’étend progressivement au reste de l’usine malgré l’opposition de la CGT qui répand à profusion calomnies et mensonges dans les autres départements de l’usine. Le 29 avril, la CGT appelle à une heure de débrayage !
Un comité central de grève de 105 membres est formé. Le 1er mai, des militants de Renault qui distribuent un tract (imprimé à 100 000 exemplaires) pour la grève générale sont attaqués par le service d’ordre CGT pendant la manifestation. Le mouvement s’étend à d’autres entreprises de la métallurgie dans la région parisienne et même en province. Le 2 mai, soit neuf jours après le début de la grève, la CGT se prononce pour la grève à la suite d’un référendum à bulletins secrets et entame des négociations avec le gouvernement. Le 9 mai, la reprise du travail est votée par 12 075 voix contre 6 866. Le secteur Collas poursuit la grève pour le paiement des jours de grève et obtient partiellement satisfaction quelques jours plus tard (28% des heures de grève pour ceux qui ont fait grève une semaine, 20% pour les grévistes de Collas qui ont lutté pendant deux semaines).
Laissons Pierre Bois, dirigeant du comité de grève et militant de l’UC, tirer le bilan de cette grève :
« La grève Renault d’avril-mai 1947 a été à l’époque un événement important à plus d’un titre. D’abord parce que, grâce à elle, les travailleurs ont renoué avec la tradition des luttes passées, en redécouvrant la grève comme arme de classe. Ensuite parce que la grève Renault a redonné une impulsion considérable au mouvement ouvrier (…). Enfin, sur le plan politique, elle a été la cause directe de la fin de la participation communiste au gouvernement (le 4 mai 1947, NDLR) qui durait, vaille que vaille, depuis la Libération, sous de Gaulle d’abord, au travers du tripartisme ensuite. Enfin et surtout, cette grève, déclenchée et dirigée par des militants révolutionnaires (…) a montré que ces militants pouvaient, dans un de ses fiefs ouvriers, contester au PCF son “monopole” de fait sur la classe ouvrière et qu’ils étaient bien les seuls à défendre réellement les intérêts aussi bien immédiats que lointains des travailleurs (4). ».
Les grèves de novembre-décembre 1947
Le départ des ministres staliniens du gouvernement (5) – Ramadier, socialiste, était alors président du Conseil – permet aux travailleurs de ne plus retenir leur mécontentement. Au mois de juin, la SNCF, plusieurs banques importantes, les grands magasins, les mines de charbon et les usines Citroën sont touchés par des grèves. Même si le PCF ne cherche qu’à faire pression sur le gouvernement pour qu’il s’oppose au Plan Marshall, il laisse alors ses militants se porter à la tête des grèves.
Devant la hausse constante des prix (40% pour la seule année 1947 !) et la modicité des rations alimentaires, les travailleurs manifestent à Alençon, à Verdun, au Mans, dans la région lyonnaise. Des préfectures sont attaquées. On peut découper les mois de novembre et décembre 1947 en trois périodes : une première vague de grèves du 10 au 19 novembre 1947 ; une seconde encore plus large du 19 au 29 novembre ; une période de repli du 29 novembre au 9 décembre.
Lors de la première vague, il y a trois zones touchées :
– Marseille « où le 10 novembre l’UD-CGT et le PCF organisent une manifestation de protestation contre la hausse des tarifs de tramway : 5 manifestants sont arrêtés dont 3 doivent passer en correctionnelle le 12 (6) ».
Ce jour-là, les travailleurs manifestent devant le Palais de Justice et l’Hôtel de Ville. Durant la nuit, des cafés de luxe et des boîtes de nuit sont saccagés ; au cours d’une bagarre entre partisans du RPF et ouvriers, un jeune travailleur est tué. « Le lendemain, la grève est générale à Marseille, tandis que le gouvernement dirige sur la ville des renforts de troupes, d’autant plus nécessaires à ses yeux que deux compagnies de CRS ont refusé la veille de marcher contre les manifestants (7) ».
– Les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais.
– La métallurgie parisienne (Ford, Renault).
Le 19 novembre, il y a environ 100 000 grévistes à Paris, 100000 dans le Nord et 100 000 dans les Bouches-du-Rhône. Après le 19, la grève s’étend encore.
« Le 21, les instituteurs de la Seine démarrent ; le 23, la grève des cheminots, qui a débuté dans le Sud-Est, gagne les autres régions. La métallurgie suit dans l’Est, le bâtiment à Paris. Les dockers cessent le travail le 24, électriciens et gaziers le 25. L’Humanité annonce 700 000 grévistes le 22, 1 000 000 le 23, 1 500 000 le 26. Le 26, la Fédération des cheminots lance officiellement l’ordre de grève ; le 28, c’est le tour de la Fédération Postale (8) ». Un comité national de grève, formé par les fédérations CGT contrôlées par le PCF, place Benoît Frachon à sa tête et refuse les propositions du gouvernement. Le PCF n’hésite pas à politiser le mouvement en lançant une vigoureuse campagne contre « l’assassinat de la République » par le « parti américain ».
Le gouvernement décide d’engager l’épreuve de force, accuse le PCF de provoquer des émeutes de caractère « insurrectionnel » (appuyé d’ailleurs par Blum) et envoie les flics un peu partout contre les grévistes, notamment contre les mineurs. Le gouvernement rappelle 80 000 réservistes de l’armée et réduit les effectifs des garnisons d’Allemagne. À l’Assemblée, le député communiste Calas fait l’éloge des vignerons de 1907 et le groupe parlementaire communiste entonne le chant à la gloire du 17e. De Saint-Etienne à Nice, en passant par Valence et Béziers, les travailleurs tiennent le pavé contre les flics. « Et pourtant, à dater du 5, le mouvement gréviste semble s’essoufler : échec dans le métro parisien ; pas de débrayage dans le Livre (journaux) ni chez les employés ; reports successifs de la grève des fonctionnaires ; chez les postiers, l’effectif gréviste est limité (9). » Le 9, brusquement, le Comité national de grève décide la reprise. « La crise est terminée. Jules Moch pourra se présenter comme le sauveur du régime (10). » 1228 travailleurs sont condamnés pour entrave à la liberté du travail.
Exclus du gouvernement, les staliniens continuent fondamentalement la même politique
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le PCF et la CGT n’ont pas véritablement changé d’attitude entre mai et octobre 1947. Jamais les direction stalinienne et réformiste n’ont appelé les travailleurs à la grève. Simplement, au lieu de s’y opposer de front comme avant la grève Renault, ils en prennent la tête pour mieux dévoyer les luttes. Comme l’écrit La Vie ouvrière, le 26 novembre : « C’est un fait que, pendant deux ans et demi, la France a été un des pays capitalistes qui a connu le moins de grèves. La raison est bien simple, les ouvriers ne font pas grève pour leur plaisir. Quand on donne satisfaction à leurs revendications, ils n’ont aucune raison de quitter le travail. C’est ce qui se passait en 1945-1946, Croizat et les autres communistes étant ministres. »
Et Benoît Frachon déclare dans L’Humanité, le 7 décembre : « Jamais la CGT n’a lancé le mot d’ordre de grève générale. » Et c’est bien en effet le problème. Contrairement aux accusations du gouvernement, de la CFTC et des partisans de Force Ouvrière (FO scissionnera de la CGT le 19 décembre), la majorité stalinienne de la CGT n’a jamais voulu renverser le gouvernement et défendre sérieusement les intérêts des travailleurs. Les travailleurs n’avaient que peu de confiance en le désir des syndicats de respecter leur volonté ; les comités de grève n’étaient pas élus mais nommés par en haut dans de nombreux endroits. Les entreprises débrayaient et reprenaient le travail sans coordination entre elles. Les revendications avancées par la CGT étaient très modestes : alors que les prix entre février 1945 et septembre 1947 ont augmenté de 235% par rapport au salaire de base de 1945, le « minimum vital » que réclame la CGT ne représente qu’une augmentation de 150%. Les 25% d’augmentation réclamés par les staliniens représententy 2500 F par mois à la base. Or, le 26 novembre, le gouvernement en accordant une indemnité de vie chère de 1500 F coupe l’herbe sous le pied de la CGT ; et les bureaucrates de FO et de la CFTC ont beau jeu de dire : « Ces revendications peuvent être obtenues par la négociation, il y a autre chose derrière les décisions de la CGT » (argument qui porte auprès d’un certain nombre de travailleurs). Si, le 28 décembre, il y a eu jusqu’à quatre millions de travailleurs en grève, le mouvement de novembre-décembre 1947 s’est terminé par un échec : les augmentations obtenues sont ridicules, ne correspondant pas du tout à la hausse du coût de la vie. Les dirigeants du PCF et de la majorité de la CGT ne voulaient que montrer leur loyauté aux dirigeants de la SFIO et à la bourgeoisie française. Quant à la SFIO et à FO, ils jouaient la carte de « l’anticommunisme » et se faisaient les fidèles défenseurs de l’impérialisme américain en France. L’année 1947 se termine par une défaite de la classe ouvrière et une scission dans le mouvement syndical.
Combat Communiste n° 15, mai 1976
Notes
1. Cahiers de l’Histoire, n° 48, août 1965, « Les gouvernements de la Quatrième République française », B. Iselin, À. Laburthe, p. 11.
2. Mineurs en lutte, 1944-1948, supplément à La Cause du peuple, n° 19.
3. « La grande illusion », Quatrième Internationale n°4, 15 octobre 1972.
4. La grève Renault d’avril-mai 1947, Pierre Bois, p. 45, brochure éditée par Lutte ouvrière.
5. « Les dollars sont de meilleurs alliés que les communistes », écrit un historien. En effet, le 10 mai, 5 jours donc après le départ des ministres du PCF, le gouvernement français recevra un prêt de 250 millions de dollars de la Banque Internationale pour la Reconstruction.
6. « Les grèves de novembre-décembre 1947 », La Vérité n° 515.
7. Idem.
8. Idem.
9. Idem.
10. Idem.
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L’expérience Berliet
Par un arrêt en date du 5 septembre 1944 du Commissaire de la République de la Région Rhône-Alpes, la firme automobile Berliet a été mise « en administration séquestre ». Monsieur Berliet et ses fils ont été arrêtés et transférés au Fort Montluc, ancienne prison de la Gestapo. En attendant, il se trouve à l’hôpital de l’Antiquaille. Le gouvernement a désigné Monsieur Mosnier comme administrateur, qui de son côté a désigné un « conseil consultatif » de trois membres, M. Boutiller, ingénieur des Mines, secrétaire du Préfet du Rhône, représentant les pouvoir publics et les usagers, c’est-à-dire la bourgeoisie et son Etat ; M. Pardin, ingénieur, secrétaire du syndicat des techniciens, nommé directeur technique ; M. Besson, secrétaire du syndicat des ouvriers métallurgistes ; M. Guérin, secrétaire du syndicat également ; et enfin M. Bidault, en remplacement de M. Guérin.
Les usines Berliet restent donc propriété privée de la société par actions Berliet ; Berliet lui-même, un des co-actionnaires, n’est même pas exproprié. Les autres actionnaires de la société anonyme continuent à empocher les bénéfices et les dividendes. Au contraire, l’effort accru des ouvriers, trompés par la nouvelle façade démocratique et réformiste, augmentera encore ces bénéfices.
L’usine Berliet reste propriété capitaliste
Tous les ouvriers de chez Berliet le sentent plus ou moins, mais la nouvelle direction essaie de les tromper à ce sujet. Pourtant, tant que les ouvriers n’auront pas élu leurs propres comités ouvriers dans toutes les usines du pays, tant que ces comités ne s’empareront pas de la direction des moyens de production et de toutes les affaires politiques et économiques, l’ouvrier restera exploité par la classe capitaliste, par l’Etat capitaliste qui se présente sous la couverture de la « nation », de l’ « intérêt général », de la « collectivité ».
Même si M. Berliet et ses fils étaient expropriés par l’Etat actuel, ce ne serait qu’une expropriation au profit des autres capitalistes et non pas au profit du prolétariat. Les nationalisations capitalistes ne changent rien à la condition prolétarienne. Des améliorations réformistes ou démocratiques sont possibles, des augmentations de salaires peuvent avoir lieu, mais l’ouvrier reste un exploité et souvent, par l’illusion d’être libéré du joug capitaliste, l’exploitation augmente encore.
Toute nationalisation n’est pas socialiste. Ainsi Engels condamne les étatisations de Bismarck, ainsi les marxistes d’aujourd’hui dénoncent le caractère réactionnaire des nationalisations opérées par Hitler, par De Gaulle, par Roosevelt, par les gouvernements capitalistes du Mexique et de Turquie, etc. Même les nationalisations révolutionnaires opérées par la dictature du prolétariat en octobre 1917 en Russie ont perdu leur valeur révolutionnaire depuis l’avènement d’une nouvelle classe exploiteuse en Russie, depuis la destruction des soviets qui étaient les seuls organes capables d’assurer la domination économique et politique du prolétariat.
Depuis la contre-révolution stalinienne en Russie, les capitalistes de tous les pays voient de plus en plus qu’ils pourront prolonger la durée de leur domination en « étatisant » certaines entreprises importantes et en racontant au prolétariat que ce serait un pas en avant vers le socialisme. Les étatisations en régime capitaliste, loin de libérer le prolétariat, renforcent au contraire son esclavage et la puissance concentrée de ses exploiteurs.
Les améliorations
apportées aux conditions de travail
Les ouvriers ont le droit de fumer dans les salles de travail où il ne se trouve pas de matières inflammables. Berliet, patron de combat, autoritaire et despotique, ne tolérait pas que les ouvriers fument pour « ne pas perdre de temps ». La nouvelle direction trouve d’autres moyens et, comme on peut le constater, des moyens plus efficaces pour « gagner du temps » et pour pousser à l’extrême l’effort des ouvriers. La cantine est bonne. Les gardes-chiourme ne sont plus derrière chaque ouvrier. C’est moins nécessaire, parce qu’une partie des ouvriers est encore assez « enthousiaste », c’est-à-dire assez illusionnée pour donner un maximum de force de travail.Les salaires ont été augmentés, 4 francs 40 par heure en moyenne. Cela ne fait même pas 40%, et pourtant la vie monte.
Les aggravations des conditions de travail
A la suite des bombardements, les ouvriers sont obligés de travailler dans l’eau jusqu’aux chevilles et dans les courants d’air. Tout est cassé, des murs, des vitres. Pour réparer cet état de choses, on demande des « volontaires » qui font des heures supplémentaires surtout le samedi. Ces heures sont payées sans majoration. Le travail au temps chronométré continue.
Rien ne pourrait mieux démontrer l’exploitation que le fait suivant : la production de voitures augmente sans cesse, mais les ouvriers manquent de moyens de transport pour aller à l’usine. L’ouvrier a le choix d’être bousculé dans le car ou de rester sur le pavé.
L’escroquerie réformiste
L’expérience Berliet est nouvelle pour la France, mais elle ne l’est pas pour le mouvement ouvrier international. Il suffit de rappeler l’exemple des « socialisations » en Allemagne et en Autriche en 1918. A ces occasions, la bourgeoisie faisait des concessions encore plus importantes que celles que nous voyons dans le cas Berliet. Certains Berliet allemands ont réellement été expropriés par l’Etat « démocratique » de Weimar et les ouvriers avaient un contrôle encore beaucoup plus important que ceux de chez Berliet. En Espagne « républicaine », la bourgeoisie confiait même aux bonzes syndicaux la gestion de certaines usines et la démocratie était encore bien plus large que celle que nous voyons chez Berliet où la direction n’est pas élue mais désignée par le représentant du général de Gaulle, c’est-à-dire par le représentant de la bourgeoisie. Pourtant, même dans les exemples précités, la classe ouvrière restait toujours classe exploitée et la bourgeoisie ne lâchait jamais le gouvernail.
Cela n’empêche pas la nouvelle direction de chez Berliet, composée de différents valets conscients ou inconscients du régime capitaliste, de faire une propagande démagogique. Le reflet fidèle de cette propagande est le journal de l’usine Contact dont deux numéros sont déjà parus, 19 octobre et 9 novembre 1944.
Travailler pour la guerre impérialiste
Contact avoue dès le premier numéro qu’il paraît pour être « le trait d’union entre les différentes catégories sociales » de l’usine ; les marxistes savent que « les différentes catégories sociales » sont les CLASSES. Les démagogues ont peur de cette question. Le même éditorial prévoit « les malentendus et finalement la discorde ». « Au service de la nation française », c’est l’article de M. Mosnier qui déclare ouvertement que la production a été freinée par les méthodes malsaines de M. Berliet et qu’avec les nouvelles méthodes de gestion il s’agit de travailler « pour la poursuite victorieuse de la guerre et pour relever la France de ses ruines » ; pour arriver à ce surtravail dans l’intérêt de la « nation française » (lire bourgeoisie !) « il était nécessaire d’éliminer un patron de division dont la présence seule aurait interdit aux travailleurs de cette entreprise d’apporter une collaboration décidée, totale, dans le haut souci de l’intérêt général de la Nation ».
« Nous fabriquons pour satisfaire les besoins urgents du pays, nous mettrons à sa disposition tous nos moyens de production, toute notre énergie, toute notre force de travail ». « Dans ces établissements mis aujourd’hui au service de la collectivité, le comportement d’un travailleur doit être marqué constamment du souci de l’intérêt collectif. » Ce langage est assez clair. M. Berliet, le patron de combat et le collaborateur, aurait, par sa seule présence, suscité des résistances de la part des ouvriers. Il devait disparaître dans « l’intérêt général » de l’impérialisme français qui se trouve plus que jamais en guerre et qui a besoin d’un effort maximum de la classe ouvrière. Maintenant que Berliet est remplacé par une commission de bureaucrates et de techniciens désignés par le Commissaire du gouvernement, les ouvriers n’ont plus droit à la grève, ni même à la Résistance passive, sinon ils seront traités comme des membres de la Cinquième colonne, comme des contre-révolutionnaires et comme des saboteurs de la propriété « collective ». Comme on voit, la bourgeoisie française a appris quelque chose de l’expérience russe.
Le stakhanovisme est évidemment à l’ordre du jour. Nous savons que le stakhanovisme russe, instauré depuis 1936, n’est autre chose que le « système de la sueur » américain (Taylor) accentué et poussé jusqu’à l’extrême. Ce système a été aboli et condamné par la révolution d’octobre 1917. La bureaucratie stalinienne, pour diviser la classe ouvrière, l’a repris. Et le numéro 2 de Contact appelle les « Milices patriotiques », les « Brigades de choc », les stakhanovistes de la production pour le relèvement et la renaissance de la France. La direction se propose de susciter « les initiatives, l’ardeur au travail…. L’enthousiasme au relèvement des ruines de notre pays ». Relèvement des ruines du capitalisme français, au lieu d’exploiter sa situation difficile pour l’abattre une fois pour toutes ! Et surtout, les ouvriers de chez Berliet travaillent actuellement non pas encore pour « le relèvement des ruines » mais pour en faire d’autres, car la plupart de la production ne sert qu’à la guerre impérialiste qui continue en France et au-delà des frontières.
Les ouvriers commencent à comprendre
Le deuxième numéro de Contact reflète déjà le mécontentement grandissant des ouvriers. Certes, en première page, nous lisons le communiqué de la « bataille de novembre » : « Nous avons pris l’engagement d’honneur ( !), après avoir produit en octobre 40% de plus qu’avant la Libération, de doubler la production en novembre et de dépasser de 20% la production mensuelle moyenne de 1943, malgré les difficultés et les ateliers mutilés. » Certes nous trouvons aussi en première page l’article démagogique de Bardin qui commence par ces mots : « Enfin nous voilà débarrassés des oppresseurs. La Maison Berliet devient la Maison de la Liberté. »
Après certains aveux concernant « les traces du régime infect », Bardin exalte le surtravail que « ni le froid, ni la pluie ne décourage ». Ce n’est pas le langage camouflé d’un marxiste, qui choisit ses termes pour passer la censure, tout en exprimant toujours sa pensée marxiste, mais c’est le langage de l’ancien trotskyste qui n’a jamais cessé de considérer la Russie contre-révolutionnaire comme un « Etat ouvrier dégénéré ». Pour ces gens-là, ce ne sont pas les ouvriers qui dirigeront les usines pour construire le socialisme, mais ce seront toujours des cliques de bureaucrates et de techniciens qui remplaceront l’ancienne bourgeoisie pour maintenir dans le salariat et dans l’exploitation capitaliste le prolétaire… tout en parlant de « liberté »…
Pourtant même d’après Contact, les ouvriers de chez Berliet sont mécontents.
1) « nombreux sont les camarades qui critiquent les salaires appliqués ».
2) Ils considèrent l’usine Berliet toujours comme la « boîte Berliet ».
3) Ils sont mécontents du manque de moyens de transport.
4) Ils se préparent, d’une façon « généralisée », « avant l’heure de sortie ».
Dans ces quatre cas, l’organe du « personnel » prend position contre le personnel.
Promesses et menaces
Et rien ne peut mieux démasquer son caractère de classe. Dans la question des salaires, Besson et Bidault font de vaines promesses, tout en avouant « les salaires anormalement bas », inférieurs même aux autres salaires de la place de Lyon. « Nous disons donc que les critiques sont prématurées et qu’il ne tient qu’à nous, ouvriers et techniciens, d’améliorer notre situation en tenant nos engagements et en prenant nos responsabilités ».
Vous voulez des salaires plus élevés ? Travaillez davantage !
En ce qui concerne la « boîte Berliet » : « Cette appellation doit disparaître ». Comme si le changement d’appellation changerait quelque chose au fait. Tout en soulignant en première page la surproduction de voitures, on déclare en dernière page (Le Reniflard) : « Nous n’avons pas assez de cars, c’est entendu, mais… »
Et pour arriver au quatrième point de mécontentement « la section syndicale » fait appel : « Calculez un peu ce que cette perte de temps multipliée par le nombre d’ouvriers représente en perte dans la production totale » et exige que ces « habitudes inacceptables doivent disparaître ». Aux vagues promesses se joignent des menaces non camouflées.
Les ouvriers qui osent critiquer sérieusement ou même résister à l’exploitation sont assimilés à la « Cinquième Colonne ». Il faut souligner que la majorité des ouvriers ne s’engage pas comme « volontaires » pour les heures supplémentaires.
Les Milices patriotiques « doivent veiller à ce que les saboteurs ne viennent pas jeter la perturbation et faire échouer une expérience qui démontrera leur libération définitive. Elles feront la chasse aux semeurs de discorde, de désunion, aux fabricants de faux bruits malveillants, aux freineurs et aux saboteurs. Elles seront les brigades de choc, les stakhanovistes… »
La lutte de classe doit continuer
Les Communistes Révolutionnaires doivent dénoncer la manœuvre réformiste et soi-disant démocratique qui est faite dans l’intérêt du capitalisme. Ils doivent démasquer le vrai caractère de classe de l’expérience Berliet, de Renault, et de toutes les autres entreprises mises sous séquestre d’Etat ou nationalisées au profit de l’Etat capitaliste. Seules les nationalisations au profit d’un Etat prolétarien, opérées par les comités des ouvriers d’un pays tout entier, sont progressives.
Les ouvriers ont prouvé plus d’une fois qu’ils sont capables de faire fonctionner les usines eux-mêmes, sans patron, groupés en comités qui prennent en main toutes les entreprises. Ils l’ont prouvé en Russie de 1917-1923, en 1918/19 en Allemagne, Autriche, Italie, Hongrie, plus tard en Espagne, au Mexique, etc.
En tout cas ce ne sont pas les expériences Berliet ou Renault qui peuvent nous apporter de nouvelles preuves.
Dans le cas particulier de Berliet, il faut souligner que l’entreprise n’a même pas été nationalisée ni expropriée. Berliet et les autres actionnaires, anonymes d’ailleurs, restent propriétaires et continuent à empocher les dividendes et les bénéfices. Il est possible que ces bénéfices soient dans une certaine mesure réduits mais alors ce n’est pas au profit du prolétariat mais au profit de l’Etat français qui s’appelle mensongèrement « nation » ou « intérêt général » et qui fait, avec la sueur et le sang des ouvriers, la guerre impérialiste aux côtés des impérialismes anglais, américain et russe, aujourd’hui contre l’Allemagne, demain contre le Japon et pour reconquérir les colonies ou pour écraser la révolution prolétarienne dans tel ou tel pays.
En expliquant aux ouvriers le sens capitaliste du changement de direction chez Berliet ou dans d’autres entreprises, les Communistes Révolutionnaires doivent appeler les ouvriers à la continuation de la lutte des classes pour la réalisation de toutes les revendications immédiates, pour l’augmentation immédiate des salaires correspondant à la surproduction des ouvriers et surtout au coût de la vie qui monte rapidement, pour l’échelle mobile des salaires, pour l’amélioration des conditions de travail. Cette lutte doit être menée non pas par des pétitions ou des discussions avec la nouvelle direction mais par les moyens classiques de la lutte ouvrière : par la grève depuis la grève perlée jusqu’à la grève générale.
A travers cette lutte de classe les ouvriers doivent former leurs comités d’usine, des comités élus par les ouvriers, entièrement indépendants de la bourgeoisie et de son Etat, à l’opposé des prétendus « comités mixtes » ou autres dirigés par le patronat ou l’Etat bourgeois. Les comités d’usine doivent finalement prendre la direction de l’usine. C’est la seule voie pour arriver à l’expropriation réelle des exploiteurs.
Décembre 1944.
Lisez et diffusez la presse prolétarienne clandestine
Pouvoir ouvrier, organe central des Communistes Révolutionnaires
Marxisme, organe théorique des CR
Le Prolétaire, organe des CR de Toulouse
Fraternisation prolétarienne, organe des CR du Sud Est
(Archives de George Scheuer, document 454, Institut d’histoire sociale, Amsterdam)
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Le PC et l’URSS
en 1944-1947
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’alliance entre les démocraties occidentales et l’URSS permit à la bourgeoisie française d’utiliser le PCF au mieux de ses intérêts en lui confiant des postes gouvernementaux. Les intérêts de la bourgeoisie française, de la bureaucratie du PCF et de l’Etat russe coïncidaient alors. Les choses se gâtèrent quand l’antagonisme entre les deux principaux impérialismes sortis vainqueurs du conflit – l’URSS et les Etats-Unis – latent jusque-là éclata au grand jour. L’éviction des ministres staliniens du gouvernement français le 5 mai 1947 fut ainsi liée à cette rupture Est-Ouest : le PCF avait certes bien rempli la tâche que la bourgeoisie attendait de lui en l’aidant à se remettre en selle, mais elle ne pouvait plus faire confiance à un parti possédant des liens aussi étroits avec une puissance adverse.
Le PCF ne quitta pourtant ses sièges gouvernementaux que contraint et forcé et ne perdit pas l’espoir de les récupérer rapidement. Ainsi le plan Marshall d’ « aide économique » des Etats-Unis à l’Europe qui visait la vassalisation économique de cette dernière et fut publié le 5 juin 1947 (un mois après l’expulsion des ministres « communistes » du gouvernement français) ne se heurta pas tout de suite à l’opposition du PCF, d’une part parce que l’URSS avait participé aux négociations préliminaires mais aussi parce que le PCF tenait à ne pas abandonner sa politique de participation à la démocratie bourgeoise pour une opposition militante.
Le 8 mai, Duclos avait affirmé « Les gens qui, en France, parlent de grève générale sont des imbéciles. » Maurice Thorez expliqua dans son rapport au XIe Congrès du Parti (25/28 juin 1947) : « Nous sommes et nous demeurons un parti de gouvernement, un parti conscient de ses responsabilités devant le pays (…). Nous continuons à penser et à dire que (…) “la perspective la plus heureuse pour notre pays serait le maintien prolongé aux affaires d’un gouvernement de large unité nationale et démocratique”. Nous gardons la même volonté d’union de toutes les forces ouvrières démocratiques. Nous n’avons pas changé et nous ne changerons pas. »
À la fin de son discours, tous les délégués scandèrent « Thorez au pouvoir » et Cachin s’indigna « Par quelle aberration a-t-on pu se priver d’un tel homme d’Etat ? » Entre juin et septembre, les grèves se multiplient en France, et la tension monte à l’échelle internationale entre Américains et Russes. Entre le 22 et le 27 septembre, les grèves se multiplient en France et la tension monte à l’échelle internationale entre Américains et Russes.
Entre le 22 et le 27 septembre, les neuf principaux partis staliniens de l’Est et de l’Ouest se réunissent en Pologne pour adopter une nouvelle politique et créer le Kominform. Le PCF et le PCI sont violemment attaqués par Jdanov qui veut pousser les PC à mener une campagne beaucoup plus violente contre les Américains et leur reproche de s’être fait manipuler par les socialistes. Les résolutions adoptées à cette réunion des PC européens ne seront rendues publiques qu’après le premier tour des élections municipales d’octobre 1947, ce qui montre que les Russes tenaient compte aussi de la nécessité pour le PCF de se ravitailler à la mangeoire de l’impérialisme français.
Thorez, le 29 octobre, se livre à une sévère autocritique de l’action du Comité central : « Nous n’avons pas souligné dès le début et avec la vigueur nécessaire que nous n’avions été écartés du gouvernement que sur l’ordre exprès de la réaction américaine (…) nous avons laissé l’impression qu’il s’agissait d’une crise ministérielle plus ou moins ordinaire (…). Il en est résulté les indécisions, les flottements de notre groupe à l’Assemblée nationale. Pendant un certain temps, le Parti a semblé hésiter dans son opposition à un gouvernement qui méconnaît si gravement les intérêts du pays ».
Le PCF, à partir de cette date, va tenir un langage un peu plus dur, même si dans les faits il se refuse à organiser une grève générale pour renverser le gouvernement. Coupant court ainsi à toute possibilité de débordement sur sa gauche, le PCF augmente la cohésion de ses militants et de son électorat au prix d’une certaine baisse de son influence électorale.
Les grèves de novembre-décembre 1947 s’expliquent par le profond mécontentement des travailleurs après deux années passées à retrousser les manches et non par le tournant international et les nouvelles consignes du Kremlin qui souhaite affaiblir les impérialismes rivaux. Ce tournant amena cependant le PCF à ne plus s’opposer aux mouvements ouvriers et même à en prendre la tête, tout en sabotant toute possibilité de débouché révolutionnaire. Le PCF s’efforça ainsi de détourner la combativité des travailleurs pour ses objectifs propres, en utilisant la grève comme moyen de pression sur le gouvernement afin de tenter d’imposer un « gouvernement d’unité démocratique et d’indépendance nationale où le PCF, le plus grand parti français, jouerait son rôle » et de combattre l’application du plan Marshall et la formation d’une Alliance atlantique dominée par les Américains.
Cette fois, les intérêts de la bureaucratie du PCF coïncidaient encore avec les intérêts de l’URSS. La bourgeoisie française ne lui avait pas laissé la possibilité de choisir : elle avait pris les devants en l’évinçant du gouvernement. Mais il est certain que, dès cette époque, une partie au moins de l’appareil du PCF avait pris goût à la gestion de l’Etat bourgeois et n’est retournée dans l’opposition que contrainte et forcée, davantage peut-être par le choix de la bourgeoisie française que par les semonces du Kremlin, dans la mesure où la base sociales acquise en France lui permettait une autonomie qui ne s’est pleinement réalisée qu’aujourd’hui.
Combat communiste n°15, mai 1976
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Maurice Thorez a dit…
En juin 1936, Maurice Thorez a dit : « Il faut savoir terminer une grève ! » Nous avons terminé les grèves et ç’a a été la défaite des ouvriers, la réaction, la guerre. Depuis 6 ans la bourgeoisie de tous les pays s’engraisse, les ouvriers meurent, sur les fronts et sous les bombardements, de la faim et du froid.
Le prolétariat en a assez de la guerre des capitalistes. Les mineurs belges, anglais et américains font grève. Les ouvriers italiens et allemands se lèvent. Les ouvriers français et espagnols vont les rejoindre. Enfin, les prolétaires de tous les pays vont s’unir pour leur propre cause, contre le capitalisme mondial.
Alors, Maurice Thorez se lève à nouveau et les 21-22-23 janvier 1945, il nous dit à la session du Comité central du PCF :
PAS D’EXIGENCES SOCIALISTES OU COMMUNISTES
« Nous qui sommes des communistes ( ?) nous ne formulons pas présentement des exigences de caractère socialiste ou communiste. Nous disons cela au risque de paraître tièdes aux yeux de ceux qui ont constamment à la bouche le mot de révolution. »
ENTENTE AVEC LES PATRONS
« Et comme nous l’Occupation, nous voulons, pour gagner la guerre, nous entendre avec tous les bons Français, ouvriers, employés, patrons »….NOUS SOMMES UN PARTI DE GOUVERNEMENT
« un parti qui a délégué… Billoux et Tillon dans le gouvernement. D’autres communistes ont été appelés aux plus hautes fonctions dans l’administration de l’Etat ».
LES GARDES CIVIQUES NE DOIVENT PLUS ETRE MAINTENUES PLUS LONGTEMPS
« C’est à l’autorité légale de procéder aux perquisitions, aux arrestations, aux jugements et à l’exécution des jugements… Ces groupes armés ont eu leur raison d’être avant et pendant l’insurrection… la situation est maintenant différente ».
POUR LES OFFICIERS DE PETAIN
« Nous ne manquons pas d’officiers de valeur, y compris ceux qui ont pu se laisser abuser un certain temps par Pétain et qui ne demandent qu’à se racheter ».
POURQUOI LE PCF A-T-IL TRAHI
LA CAUSE DES OUVRIERS ?
Pourquoi la direction du PCF abandonne-t-elle ouvertement non seulement la préparation de la Révolution prolétarienne, mais même toute lutte revendicative ? Pourquoi Maurice Thorez tend-il la main au patronat ? Pourquoi le PCF est-il devenu un parti de ministres bourgeois ? Pourquoi exige-t-il maintenant non seulement le désarmement du peuple, mais même la dissolution des Gardes civiques qu’il avait soutenues d’abord pour des raisons purement impérialistes ? La dissolution de tout groupe armé en dehors de l’armée et de la police capitalistes officielles ? Pourquoi les chefs « communistes » font-ils la chasse aux « gauchistes » et aux « sectaires » et font-ils appel en même temps non seulement aux officiers de M. de Gaulle mais aussi à ceux du maréchal Pétain ? Pourquoi le maréchal Staline a-t-il commandé cette politique de trahison ? Pourquoi est-il partout avec les généraux réactionnaires contre les ouvriers ? Pourquoi soutient-il les gouvernements royalistes en Italie, Roumanie et Bulgarie, le général von Paulus en Allemagne, le général von Mannerheim en Finlande ? Pourquoi a-t-il conclu un pacte avec Churchill contre l’insurrection de Grèce ? Pourquoi a-t-il fait massacrer les ouvriers de Varsovie et de Budapest ?
Parce que la révolution communiste a été étranglée en Russie même. Parce que la Révolution d’Octobre a été vaincue par le capitalisme mondial. Parce qu’une nouvelle classe d’exploiteurs capitalistes et impérialistes s’est emparée du pouvoir en Russie. Et les Staline, Thorez et Co qui ont depuis longtemps trahi le communisme sont les serviteurs de cette nouvelle bourgeoisie.
Mais attention ! la guerre n’est pas finie. La nouvelle révolution communiste mûrit partout, malgré toutes les manœuvres de trahison, malgré toutes les menaces. Le prolétariat russe, le prolétariat français, le prolétariat mondial sauront terminer la guerre par la Révolution.
Seule la révolution prolétarienne nous donnera le pain, la paix, la liberté ! Posez partout vos revendications ! Préparez vos grèves de masse ! En avant pour la grève générale ! Suivez l’exemple des grévistes belges, italiens, grecs, écossais, suédois ! Gardez vos armes ! Bientôt vous vous en servirez pour abattre le capitalisme !
Rompez avec le stalinisme et avec tous les traîtres au prolétariat ! En avant pour la construction du Parti communiste révolutionnaire ! En avant pour la révolution prolétarienne !
Les Communistes Révolutionnaires
(Tract non daté mais certainement diffusé en 1945, Archives de George Scheuer, document 449, Institut d’histoire sociale, Amsterdam)
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Ouvriers du Livre : en avant !
Tous les ouvriers : en avant !
Après les ouvriers du Livre du Gers, vous êtes les premiers de la Région parisienne à vous opposer à la bourgeoisie.
Vous n’avez rien voulu entendre aux prétextes que le patronat utilisait pour refuser une augmentation de salaires. Vous n’avez pas eu peur des menaces des traîtres des directions du Parti « Communiste » Français ou de la CGT. Ces traîtres à la classe ouvrière vous appellent des « saboteurs ». Mais vous savez que vous défendez votre cause, celle de tous les ouvriers.
Vous montrez ainsi la voie aux ouvriers de toutes les corporations. Vous leur prouvez que la première arme de lutte contre le patronat est
LA GREVE
Ce moyen, pour obtenir vos revendications, doit être généralisé
PARTOUT
Les ouvriers des autres industries doivent vous aider dans votre lutte, c’est le gage de la victoire. Vous devrez également les aider dans leur lutte qui les oppose à la bourgeoisie, au capitalisme, au gouvernement.
PREPAREZ VOS GREVES DE MASSES !
Le patronat qui se réfugie derrière le gouvernement, comme le font les bonzes de la CGT pour ne pas donner gain de cause aux ouvriers, objecte qu’il n’augmentera ceux-ci que si ses prix de vente sont élevés en conséquence. Mais, camarades, nous nous trouvons dans un cercle vicieux. Les salaires augmentent, la vie augmente de même.
Pendant que les ouvriers crèvent de plus en plus de faim, les bourgeois, eux, se nourrissent de mieux en mieux.
Sous prétexte de « terminer la guerre », la bourgeoisie et son gouvernement veulent nous affamer et nous imposer la servitude. Mais la guerre ne pourra prendre fin que si les ouvriers imposent la paix aux capitalistes par la Révolution. Par la grève de masse et des manifestations de masse devant les ministères, les ouvriers doivent imposer leurs revendications immédiates et préparer la lutte pour le pouvoir ouvrier. Les ouvriers italiens, grecs, belges et autres ont compris. Les ouvriers français commencent, eux aussi à comprendre. Les ouvriers du Livre défendent leurs intérêts de classe ! Tous les ouvriers doivent organiser la solidarité pour eux !
A BAS LA GUERRE IMPERIALISTE ! A BAS LA BOURGEOISIE ET SON GOUVERNEMENT !
EN AVANT POUR LA GREVE GENERALE !
Les Communistes Révolutionnaires
Paris, le 2 mars 1945
(Archives de George Scheuer, Institut d’histoire sociale, Amsterdam)
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1er Mai 1945
Lutte et solidarité du prolétariat international
Depuis six ans les ouvriers de tous les pays s’égorgent, les bourgeois dans tous les pays s’engraissent.
Assez de massacres.
La révolution prolétarienne commence. Le prolétariat allemand se révolte contre ses oppresseurs nazis, pendant que Tolboukhine, maréchal de Staline, gracie les officiers nazis qui l’aident à réprimer la révolution allemande. Les ouvriers italiens continuent leur révolution commencée il y a deux ans. Les mineurs belges sont en grève. Les métallos suédois sont en grève. Les dockers de Londres sont en grève. Les mineurs américains préparent la grève.
C’est alors que Thorez et Saillant et de Gaulle veulent faire du Premier Mai la journée des patrons français pour la poursuite de la guerre impérialiste. Ces messieurs croient avoir domestiqué le prolétariat français.
Mais les dirigeants de la CGT ont dû reculer devant la pression des ouvriers. Nous avons obtenu le Premier Mai chômé. Il nous faut le Premier Mai payé et sans récupération.
Depuis plus de cinquante ans le Premier mai est la journée des travailleurs du monde entier. La classe ouvrière française montrera qu’elle est digne de ses traditions révolutionnaires en faisant grève générale le Premier mai.
Au mot d’ordre des « jeunes » : « Travailler d’abord, revendiquer ensuite », les ouvriers opposeront :
La lutte par la grève partout
Des manifestations devant les mairies, préfectures et ministères
pour l’augmentation des salaires,
pour leur ravitaillement,
contre l’augmentation des prix et la famine.
Pour les libertés de presse, de réunion, d’association pour la classe ouvrière.
Pour la libération des militants emprisonnés par les flics du capitalisme.
Contre la mobilisation et les recensements.
Pour la fraternisation avec les ouvriers de tous les pays.
Le Premier Mai 1945 les prolétaires de Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lille et de Londres, Berlin, Moscou, New York, Vienne, Milan, Turin, Athènes, Bruxelles, Salonique, Hambourg manifesteront contre la guerre impérialiste, pour la révolution prolétarienne.
Camarades ouvriers, formez vos comités de grève
Camarades soldats, joignez-vous à la manifestation de vos frères de classe
Premier Mai 1945, En avant vers la victoire du prolétariat international vers le pouvoir ouvrier
Les Communistes Révolutionnaires (pour la nouvelle Internationale Communiste)
(Archives de George Scheuer, document 45, Institut d’histoire sociale, Amsterdam)
Pour le moment, il n’existe pas d’étude historique détaillée et fiable sur les Communistes Révolutionnaires, l’OCR et leur organisation plus ou moins sœur, les RKD, les Revolutionären Kommunisten Deutschlands. Et il est probable, vu la mort de nombre d’entre eux, qu’il n’en existera jamais. Sans entrer dans des détails d’histoire groupusculaire, on peut dire qu’ils venaient du trotskysme ; qu’ils sont restés fidèlés au léninisme pendant la plus grande partie de leur courte existence, de 1941 à 1946 ; qu’ils considéraient l’URSS comme un capitalisme d’Etat et la Résistance comme une opération bourgeoise au service de l’impérialisme ; qu’ils ont fait un travail internationaliste en direction de l’armée allemande sous l’Occupation, et que ces petits groupes ont explosé après 1946, chacun suivant son itinéraire politique individuel. La personnalité et les méthodes organisationnelles de Georg Scheuer ont suscité de violentes polémiques. On trouve la trace de ces débats dans les archives de Scheuer déposées à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam, que nous avons pu consulter et où nous avons pu recopier ces tracts et articles. Nous n’avons pas la prétention de contribuer à l’histoire de ces courants, seulement de montrer qu’il existait, sous l’Occupation et à la « Libération », des militants qui analysaient clairement la fonction pro-patronale et anti-ouvrière du PCF dans la Résistance et dans la « reconstruction » de la France, et n’avaient aucune illusion sur le gaullisme et ses prétendus aspects « sociaux ». C’est pourquoi nous reproduirons d’autres textes des Communistes Révolutionnaires dans notre prochain numéro consacré à la fumeuse identité nationale, voire dans d’autres numéros.
Deux livres évoquent brièvement l’OCR et les RKD : Pierre Lanneret, Les internationalistes du « troisième camp » en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Acratie, 1995 ; et Georg Scheuer (décédé en 1996), Seuls les fous n’ont pas peur, Syllepse, 2002. On trouvera aussi quelques éléments dans le n°12-13 d’octobre 2002 de la revue Dissidences, notamment dans l’article de François Langlet « Les ‘internationalistes du troisième camp’ durant la Seconde Guerre mondiale » et une note de lecture sur le livre de Georg Scheuer, Seuls les fous n’ont pas peur écrite par J.-G.Lanuque. Ni patrie ni frontières
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À bas la mascarade
du Premier Mai bourgeois !
Prolétaires, camarades,
Le Premier Mai était autrefois une journée de revendications du prolétariat international où les ouvriers versaient leur sang pour une Révolution symbolique, sans lendemain. La bourgeoisie impérialiste a fait du Premier Mai, comme de tous les anniversaires ouvriers (comme de celui du « Mur des Fédérés »), un rite religieux bourgeois. Et tous les rites religieux sont un opium pour les travailleurs.
Le Premier Mai 1945 était la fête de l’épuration bourgeoise, aux cris de « Pétain au poteau ». On utilisait la haine ouvrière contre ce vieil assassin bourgeois et ses acolytes pour calomnier le malheureux prolétariat allemand et blanchir la bourgeoisie française « patriote ».
Le Premier Mai 1946 sera la fête de la « Renaissance économique française », dit l’appel de la CGT.
Or, il ne s’agissait pas pour nous d’ « épurer » la société bourgeoise de ses « traîtres à la patrie », mais de détruire la société et la patrie bourgeoises qui engendrent la guerre impérialiste et le massacre mutuel des ouvriers.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de « produire et reconstruire » au profit des capitalistes (patrons, trusts ou monopoles d’Etat) pour les renflouer dans la concurrence et pour leur donner de quoi renforcer la police (« la France forte » !). Il s’agit de refuser tout travail au Capital et de tourner les forces ouvrières vers sa destruction.
Car le capitalisme international (américain, russe, anglais, français, allemand, etc.) qui a mis au chômage le quart du prolétariat mondial en 1929-32, qui a tué 10 millions d’hommes en 1914-18 et 50 millions en 1939-45, multipliera sans cesse ses victimes jusqu’à ce qu’il soit supprimé.
Tous les partis résistants dans le monde défendent le capitalisme. Il n’y a pas « des » partis ouvriers et « des » partis bourgeois. Il y a les partis bourgeois : les démocrates, les républicains, conservateurs, travaillistes, nationalistes, démocrates-chrétiens, etc. En France, PRL, MRP, Radicaux… et avec eux « communistes » et « socialistes », trotskystes. Aucun ne veut détruire le capitalisme. Si quelques-uns crient contre « les trusts », c’est pour favoriser les « nationalisations » et pour sauver le capitalisme par le capitalisme d’Etat.
Les syndicats, qui n’ont servi autrefois, dans le meilleur cas, qu’à « améliorer » le salariat, c’est-à-dire à maintenir le capitalisme, sont aujourd’hui un instrument du gouvernement anti-ouvrier de la bourgeoisie internationale. La Fédération syndicale mondiale (FSM) n’est qu’un appendice de l’ONU, parlement mondial des Etats bourgeois. Les syndicats sont les cadres bureaucratiques-bourgeois de la classe ouvrière dans la production, nécessairement briseurs de grèves, jaunes et mouchards, aussi bien CGT que CFTC. Ils sont la police dans l’usine.
Le Parti « communiste » français, la CGT stalinienne aux 8/10e, et le Parti « socialiste » qui vont ont répété :
LEURS MOTS D’ORDRE : « Mort aux Boches ! », « Vive de Gaulle ! » et puis « Epuration » et encore « Produire et Reconstruire ».
LEURS PROMESSES : Bien-être et libertés.
Vous avez travaillé et fait des sacrifices pour la Résistance (dites : guerre impérialiste) et pour la « reconstruction » (dites : sauvetage du capitalisme).
RESULTATS : Les morts de la guerre, les salaires bloqués, la hausse accélérée des prix, la misère sans fin, la « liberté » de voter pour les « sacrifices de la classe ouvrière » en vue de la « Renaissance ».
C’est le gouvernement des ministres du PCF, de la CGT et du PS, avec ou sans de Gaulle, qui nous a obtenu ces résultats.
LEURS NOUVELLES PROMESSES ? Elles sont dans la Constitution : la « propriété inviolable » (mais pour eux qui en ont une) ; les « nationalisations » (capitalisme d’Etat), ; mais, pour les ouvriers, le droit et le devoir de continuer à être « librement » exploités par les capitalistes.
Le MRP ne trouvait à y ajouter qu’un Sénat et quelques écoles de curés. Mais le MRP n’aura pas gain de cause car, aujourd’hui, pour tromper la classe ouvrière mécontente, il faut un gouvernement « ouvrier » de « communistes », de « socialistes » et de syndicalistes, qui camoufle le gouvernement bourgeois et le capitalisme qui continue sous sa protection.
PCF, PS, CGT empêchent les grèves pour les salaires et le ravitaillement. Demain, ils feront tout pour écraser la classe ouvrière quand elle aura compris, par expérience, qu’il ne suffit pas de lutter pour « améliorer » les salaires, mais qu’il faut supprimer le régime des salaires et créer la société communiste où les travailleurs dirigeront eux-mêmes la production et la distribution dans leur propre intérêt.
Pour exproprier les capitalistes et l’Etat patron, il faudra détruire toutes les bureaucraties de l’Etat bourgeois, y compris la bureaucratie « communiste », « socialiste », syndicale.
Le défilé du Premier Mai sera la grande parade de l’armée du travail encadrée par la caste bourgeoise des officiers et des policiers en civil du PCF, du PS et de la CGT. À la veille des élections, en présence de la bourgeoisie française et internationale aux balcons, on fera crier aux ouvriers : « Oui ! » à la Constitution bourgeoise, « Oui ! » à la production capitaliste, « Oui ! » à la dictature bourgeoise, ce qui remplira d’aise les partisans les plus conscients du « Non » à la Constitution. Dans cette revue du 14 Juillet, il ne manquera que les tanks et les escadrilles. Mais pas mal de patrons auront prêté leurs camions (exemple Renault).
Prolétaires révolutionnaires,
Nous sommes trop faibles aujourd’hui pour libérer l’armée du travail de ses cadres bourgeois, et nous ne devons pas non plus nous heurter à elle. Nous sommes trop faibles encore pour former nos conseils ouvriers révolutionnaires armés qui briseront les polices, les partis bourgeois, les parlements et les syndicats, et qui seront notre pouvoir.
Mais dès maintenant nous vous disons :
N’allez pas au défilé du Premier Mai et, si vous y êtes, rompez les rangs !
N’allez pas aux manifestations bourgeoises, syndicales et démocratiques !
Rompez collectivement avec les syndicats !
Ne votez pas au référendum sur des querelles bourgeoises !
Le véritable Premier Mai prolétarien, ce sera la fête du printemps ouvrier, la Révolution prolétarienne.
Ouvriers conscients, votre place est aujourd’hui dans les rangs des communistes révolutionnaires qui développent et répandent le programme de cette révolution aux côtés de tous les ouvriers qui commencent à comprendre, à travers les grèves revendicatives faites malgré les syndicats, la nécessité inéluctable de la Révolution ouvrière mondiale.
L’Organisation Communiste Révolutionnaire
Edité par Pouvoir Ouvrier, Paris, fin avril 1946
(Archives de George Scheuer, Institut d’histoire sociale, Amsterdam)
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Cet article de Pierre bois, membre de l’Union Communiste et du Syndicat Démocratique Renault (SDR) est paru dans La Révolution prolétarienne du 25 mai 1947, et se trouve sur le site Marxist Internet Archives, NPNF.
La grève des usines Renault
Depuis des mois chez Renault, comme partout, le mécontentement des ouvriers augmentait en même temps qu’augmentaient les difficultés de la vie.
Quelle est la situation chez Renault ? On a souvent dit que Renault était la boîte la plus mal payée de la région parisienne. Ce n’est pas tout à fait exact. En général, dans la métallurgie, les boîtes moyennes et surtout les petites boîtes payent davantage que les grosses entreprises, genre Renault ou Citroën. Cela tient à ce que dans les petites boîtes la rationalisation est beaucoup moins poussée que dans les grosses. Les patrons ont intérêt à garder leur personnel qui se compose en grande partie d’ouvriers professionnels. Dans les grosses entreprises, du fait de la rationalisation, le personnel se compose en grande partie d’ouvriers spécialisés, facilement remplaçables.
D’autre part, dans les grosses entreprises, le patronat a les reins plus solides pour résister à la pression ouvrière. S’il est vrai que les ouvriers des grosses boîtes sont moins payés que ceux des petites, les tarifs dans les grosses entreprises, comme Citroën et Renault, sont sensiblement les mêmes. Il est évident qu’on peut montrer des bulletins de paye de 42 francs et 34,30 francs chez Renault, tandis qu’on montre des bulletins de 62 francs chez Citroën. Mais l’inverse est également vrai. Tout dépend des conditions de travail et du moment.
Ainsi, dans l’ensemble, avant l’augmentation des 25%, les ouvriers de Renault étaient mieux payés que ceux de chez Citroën. Depuis que les ouvriers de chez Citroën se sont mis en grève et ont failli renverser la voiture de Hénaff (fin février 1947), la moyenne des salaires chez Citroën est sensiblement supérieure à celle chez Renault.
On a essayé d’expliquer la prétendue infériorité des salaires chez Renault par le fait des nationalisations. Au début de la grève, les ennemis des nationalisations – toute la presse de droite – ont tenté d’expliquer notre grève par la faillite des nationalisations. Et s’ils ont eu l’air d’appuyer notre mouvement au début, ils se sont immédiatement rétractés lorsqu’ils ont vu que le conflit devenait un problème gouvernemental. Les amis des nationalisations ont essayé de faire croire que notre mouvement était uniquement dirigé contre les nationalisations. Tout cela est faux.
En réalité, dès 1945, dans de nombreuses boîtes, notamment chez Citroën, une forte opposition se manifesta, de très nombreuses grèves sporadiques eurent lieu et si elles ne donnèrent que des résultats insignifiants, c’est que la bureaucratie syndicale ne rencontrant pas une opposition organisée suffisamment forte fut à chaque fois en mesure de saboter les mouvements. C’est ainsi que plusieurs camarades, après un travail de quelques mois, furent mis à la porte ou durent prendre leur compte après les brimades conjuguées de la section syndicale et de la direction.
Le mouvement de mécontentement chez Renault, qui a abouti à la grève, n’est pas d’aujourd’hui et il n’est pas non plus particulier à Renault. Chez Renault, comme partout ailleurs, la section syndicale était incapable d’interpréter ce mécontentement. Elle ne s’en souciait pas. Elle vivait en dehors ou au-dessus des ouvriers. Pourtant elle prétendait grouper 17 000 adhérents sur les 30 000 ouvriers. En réalité, la plupart ne payaient plus leurs cotisations. Il n’y avait plus de réunions syndicales et quand, par hasard, il y avait une assemblée, le nombre des présents était infime. Devant la carence de la section syndicale, les ouvriers devaient donc chercher un autre moyen de se défendre.
Aussi nous disions dans le tract qui convoquait au meeting public du lundi 28 avril : « Les organisations dites ouvrières, non seulement ne nous défendent pas, mais encore s’opposent à notre lutte. C’est à nous qu’il appartient de défendre nous-mêmes nos revendications : 1º 10 francs de l’heure sur le taux de base ; 2º Paiement intégral des heures de grève. Seule l’action peut nous donner satisfaction.
Nous avons déclenché le mouvement. Nous appelons tous les ouvriers à se joindre à nous, à nommer des représentants qui viendront se joindre à notre comité de grève qui siège en permanence au Département 6 (secteur Collas). »
Notre tract du 6 mai explique la cause du conflit : « En réalité, ce sont les dépenses ruineuses de l’Etat qui provoquent l’inflation. M. Ramadier qui fait fonctionner la planche à billets pour couvrir, en partie, ces dépenses, veut en même temps en rendre responsable la classe ouvrière. La classe ouvrière, voilà l’ennemi pour ceux qui parlent au nom des capitalistes. La classe ouvrière doit non seulement supporter tous les sacrifices qu’on lui impose au nom de promesses non tenues ; mais dès qu’elle réclame les choses les plus indispensables pour vivre, on l’accuse, par-dessus le marché, de tous les maux qui sont les conséquences du fait que l’économie est dirigée par une poignée de capitalistes parasites.
« Nous voulons la hausse des salaires par rapport aux profits des capitalistes. Notre revendication : le minimum vital en fonction du coût de la vie, c’est-à-dire garanti par l’échelle mobile, n’est pas une revendication particulière. C’est une revendication qui intéresse toute la classe ouvrière.
« Contrairement à ce qu’on a tenté d’expliquer, la grève Renault na pas eu lieu parce que chez Renault on est plus mal payés que partout ailleurs. Si le tarif de chez Renault est actuellement un peu inférieur à Citroën ou à certaines petites boîtes, il est supérieur au tarif de boîtes même importantes comme le L.M.T., la Radiotechnique, l’Air liquide, etc.
« Lorsque nous sommes allés à la Commission du travail, M. Beugnez, le président de cette commission et député MRP, nous a dit : “Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Renault, mais je crois qu’il faut ramener le conflit à des proportions techniques.” Pour ces gens-là il fallait limiter le conflit à des proportions techniques. Mais le conflit Renault n’était pas un conflit technique. C’était un conflit social. Les ouvriers de notre usine ont mené un combat d’avant-garde dans un mouvement général Et la meilleure preuve, c’est que la lutte pour la revalorisation des salaires, commencée chez Renault, s’est étendue à tout le pays. »
La montée de la grève
Depuis quelques semaines, dans l’usine, se manifestaient divers mouvements qui avaient tous pour origine une revendication de salaire. Tandis que la production a augmenté de 150% en un an (66,5 véhicules en décembre 1945 et 166 en novembre 1946), notre salaire a été augmenté seulement de 22,5%, tandis que l’indice officiel des prix a augmenté de 60 à 80%.
Dans l’Ile, c’est pour une question de boni que les gars ont débrayé ; à l’Entretien, c’est pour réclamer un salaire basé sur le rendement. Au Modelage Fonderie, les ouvriers ont fait une semaine de grève. Ils n’ont malheureusement rien fait pour faire connaître leur mouvement parce qu’ils pensaient que « tout seuls, ils avaient plus de chance d’aboutir ». Au bout d’une semaine de grève, ils ont obtenu une augmentation de 4 francs, sauf pour les P1.
A l’Artillerie aussi, il y a eu une grève. Ce sont les tourneurs qui ont débrayé les premiers, le jeudi 27 février, à la suite d’une descente des chronos. Les autres ouvriers du secteur se sont solidarisés avec le mouvement et une revendication générale d’augmentation de 10 flancs de l’heure ainsi que le réglage à 100% ont été mis en avant. Cela équivalait à la suppression du travail au rendement. Sous la pression de la CGT, le travail a repris. Finalement, les ouvriers n’ont rien obtenu, si ce n’est un rajustement du taux de la prime, ce qui leur fait 40 centimes de l’heure.
A l’atelier 5 (trempe, secteur Collas), un débrayage aboutit à une augmentation de 2 francs. A l’atelier 17 (Matrices), les ouvriers, qui sont presque tous des professionnels, avaient revendiqué depuis trois mois l’augmentation des salaires. N’ayant aucune réponse, ils cessèrent spontanément le travail.
Dans un autre secteur, les ouvriers lancent une pétition pour demander la réélection des délégués avec les résultats suivants : 121 abstentions, 42 bulletins nuls comportant des inscriptions significatives à l’égard de la direction syndicale, 172 au délégué CGT, 32 au délégué CFTC.
Au secteur Collas les ouvriers font circuler des listes de pétition contre la mauvaise répartition de la prime de rendement. D’autres sections imitent cette manifestation de mécontentement, mais se heurtent à l’opposition systématique des dirigeants syndicaux.
L’atelier 31, secteur Collas, qui avait cessé spontanément le travail par solidarité pour l’atelier 5, n’ayant pu entraîner le reste du département, a été brisé dans son élan par les délégués. On le voit, depuis plusieurs semaines, une agitation grandissante se manifestait. Partout volonté d’en sortir, mais partout aussi sabotage systématique des dirigeants syndicaux et manque absolu de direction et de coordination.
La première journée
Le mercredi 23 avril, les ouvriers du secteur Collas (boîtes de vitesse, direction, pignons) élisent parmi eux, en réunion générale, un bureau avec mandat de préparer et de décider l’action dans les meilleures conditions.
Le vendredi 25 avril, à 6 h.30, un piquet est à la porte et distribue un tract du Comité de grève, tandis que l’ordre de grève est affiché.
Le courant a été coupé, chaque transfo est gardé par un piquer. Les portes d’entrée sont également gardées ; une affiche invite les ouvriers a assister à la réunion générale, à 8 heures, dans le hall. Un nouveau vote confirme la grève par une majorité d’environ 85%. Après plusieurs manœuvres des cégétistes, l’atelier 5 (la Trempe) refuse de se joindre au mouvement. Quoique faisant partie du département 6, il restera toujours à l’écart du Comité de grève.
Le secrétaire général Plaisance, ainsi que les délégués, tout en désapprouvant notre grève promettent de « s’incliner devant les décisions de la majorité ». Une délégation se rend à la direction pour déposer la revendication.
Pendant ce temps, exception faite des piquets qui restent à leur poste, l’ensemble des ouvriers se répand dans les divers ateliers pour les inviter à se joindre à nous. Les moteurs s’arrêtent ; les délégués syndicaux les remettent en route. Quoique certains ouvriers soient au courant du mouvement de grève, la majorité est surprise ; elle hésite devant l’hostilité farouche des délégués.
A 13 heures, profitant de ce qu’il règne dans les autres secteurs une certaine confusion susceptible de démoraliser les ouvriers de Collas, les délégués syndicaux réclament un nouveau vote dans ce secteur. La réponse est ferme : « Nous ne sommes pas des enfants qui changent d’opinion toutes les cinq minutes. » Ils refusent le vote. En fin de journée, la grève tient ferme à Collas. Dans les autres secteurs, la pression des éléments cégétistes a eu raison de l’hésitation des ouvriers. A part quelques secteurs isolés, le travail a repris.
Le meeting de la Place nationale
Le samedi et le dimanche, peu d’ouvriers sont présents à l’usine, en dehors des piquets. Mais le Comité de grève travaille. Il faut étendre la grève à toute l’usine. C’est la seule garantie du succès. Un tract est tiré invitant les ouvriers à se joindre au mouvement ; il sera distribué le lundi matin à toutes les entrées de l’usine. Un meeting est prévu pour le lundi à la place Nationale. Il faut que le secteur Collas fasse la démonstration qu’il est décidé à lutter. Il lui faut convaincre les autres secteurs d’agir avec lui. Naturellement, le lundi matin, quand les tracts sont distribués, quelques accrochages ont lieu avec les PCF au Bas-Meudon, à la place Nationale, mais sans gravité.
Au meeting, le Comité de grève appelle les ouvriers à se joindre au mouvement. La revendication est commune, la lutte doit être commune. Les 10 francs intéressent tous les ouvriers ; il faut réaliser l’unité d’action. Les ouvriers, convaincus de la justesse des revendications, apprécient le sentiment de démocratie qui anime le Comité de grève qui les invite à venir s’exprimer. Ils ont compris que l’affaire est sérieuse. A peine le meeting est-il terminé qu’on vient nous chercher pour aller à l’usine O. Un cortège se forme. A notre arrivée, des chaînes entières quittent le travail. A la suite d’un second meeting, un comité de grève est formé à l’usine O.
Pendant tout l’ après-midi le secteur Collas recevra des dizaines de délégations d’ouvriers représentant tantôt leur département, tantôt leur atelier, tantôt un petit groupe de camarades demandant des directives pour mener le combat.
Mardi matin, environ 12 000 ouvriers sont en grève, malgré l’opposition des cégétistes. La direction syndicale se sent débordée. Pour essayer de reprendre le mouvement en main et de le contrôler, elle utilise une première « manœuvre » en appelant elle-même à la grève générale d’une heure, pour soi-disant appuyer ses propres négociations avec la direction. Mais une fois en grève, les travailleurs de toute l’usine y restent, refusent de limiter le mouvement à une heure et suivent le secteur Collas dans la grève et dans ses revendications.
L’attitude de la direction
Les responsables cégétistes nous ont reproché d’avoir déclenché le mouvement juste au moment où le président-directeur de la Régie, M. Lefaucheux, était absent. En fait, M. Lefaucheux est toujours absent. Et depuis plus d’un mois il était saisi de nos revendications.
Le vendredi du déclenchement de la grève, les représentants de la direction se retranchent derrière des formalités légales pour refuser de discuter avec le Comité de grève « qu’ils ne connaissent pas ». Cela n’empêchera pas les mêmes représentants patronaux de venir s’adresser au Comité de grève trois heures plus tard pour réclamer libre passage du matériel dans les départements en grève. Ce qui est évidemment refusé.
Dès le samedi, on apprend que M. Lefaucheux est de retour. Le lundi matin, il discute avec... la section syndicale. Le mardi 29 avril, après un meeting du Comité de grève, 2 000 ouvriers environ se rendent à la direction. M. Lefaucheux est au ministère. Promesse est faite aux ouvriers que le Comité de grève sera reçu dans la soirée. Mais le soir, lorsque la masse des ouvriers est absente, il refuse, avec le plus grand mépris, de nous recevoir.
Seule la complicité des responsables cégétistes a permis à la direction de refuser de recevoir les délégués du Comité de grève, mandatés par les ouvriers et de ne pas prendre en considération la volonté de ces derniers. La direction avait le plus grand intérêt à discuter avec les responsables cégétistes qui, sous couleur de représenter, eux, les ouvriers, négociaient et manœuvraient avec la direction pour la reprise du travail.
Le lundi 12 mai, lorsque les ouvriers de Collas décideront de continuer seuls la lutte, M. Lefaucheux invitera les représentants du Comité de grève, en présence de deux délégués syndicaux. N’ayant pas obtenu la reprise du travail, il tentera le lendemain une manœuvre d’intimidation en venant lui-même s’adresser aux ouvriers, qui le feront déguerpir sous leurs huées parce qu’il refusera de répondre publiquement aux questions du Comité de grève.
La direction emploiera alors, sans plus de succès du reste, d’autres méthodes d’intimidation. Elle enverra un inspecteur du travail nous menacer de poursuites pour entraves à la liberté du travail. La direction tantôt se raidit et cherche à nous intimider, tantôt essaie les formes paternalistes ; tantôt enfin elle se retranche derrière les décisions gouvernementales. Elle refuse de connaître le Comité de grève. mais, en fin de compte, c’est l’action des grévistes qui tranche les questions et non les discussions des « représentants légaux ».
La maîtrise et les grands bureaux
Ce n’étaient pas les employés et les techniciens qui pouvaient se mettre en avant du conflit. Mais lorsque les ouvriers ont eu donné le coup d’envoi, ils ont suivi le mouvement. Certains éléments se sont même placés à l’avant-garde. En général, le mouvement a bénéficié de la neutralité bienveillante de la maîtrise. L’influence du MFA (Mouvement Français de l’Abondance)* parmi le personnel collaborateur est un facteur certain de la sympathie de celui-ci en faveur du mouvement.
Lorsque le secteur Collas a continué seul la grève, la maîtrise, officiellement, n’a pas fait grève (elle a remis les moteurs en route quand la direction lui en a donné l’ordre), mais elle a favorisé le mouvement plutôt qu’elle ne l’a saboté.
Les Grands Bureaux ont été les premiers à suivre le mouvement. Certainement, l’influence de la CFTC, qui voyait avant tout une attaque anti-PCF, a favorisé le débrayage des bureaux. Mais dans la lutte, ce sont surtout des éléments étrangers à la CFTC qui ont eu un rôle dirigeant. Quant à ses adhérents. ils ont agi beaucoup plus en liaison avec le Comité de grève qu’avec leur organisation chrétienne. Celle-ci s’est tenue à l’écart et s’est même désolidarisée du mouvement dès que celui-ci a pris un caractère général, par conséquent préjudiciable au patronat.
La CGT dans le conflit
Les ouvriers du secteur Collas, qui sont à l’origine du conflit, sont pour la grosse majorité des syndiqués à la CGT. Mais certains, depuis plusieurs semaines, d’autres depuis plusieurs mois, avaient cessé de payer leurs cotisations, ayant compris la politique de trahison menée par leurs dirigeants syndicaux, comme du reste une forte proportion des ouvriers dans l’ensemble de l’usine.
La CGT est contre la grève, car pour elle maintenant « la grève, c’est l’arme des trusts ». Le premier jour, L’Humanité ne parle pas de la grève. Encore un de ces nombreux conflits que la bureaucratie syndicale arrivera bien à étouffer... Le deuxième jour, la grève est définie comme étant l’œuvre d’une poignée de provocateurs.
Chaque jour, un tract du syndicat des métaux est distribué pour discréditer le Comité, ce « Comité de provocateurs ». Les bonzes répandent les calomnies les plus abjectes qui sont plus souvent des insinuations que des affirmations, car ils sont incapables de reprocher quoi que ce soit aux membres du Comité malgré tout le mal qu’ils se donnent à constituer « leurs dossiers ». C’est ainsi qu’ils se sont servis, pour discréditer le mouvement, d’un certain Salvade que le Comité de grève n’a jamais connu.
Le citoyen Plaisance, après avoir déclaré publiquement à Collas, le lundi matin 28, qu’il se pliait aux décisions de la majorité, n’hésitait pas à déclarer à midi, au meeting de la place Nationale, « qu’une poignée de gaullistes-trotskystes-anarchistes avait voulu faire sauter l’usine ».
Les principes les plus élémentaires de la démocratie sont foulés aux pieds. Au meeting de la CGT, le même lundi 28 avril, les ouvriers du secteur Collas qui veulent prendre la parole, sont brutalement refoulés, tandis que la voiture haut-parleur s’éloigne sous les huées de la foule. Au meeting de la CGT du mercredi 30 avril, dans l’île, une opposition encore plus brutale repousse les camarades du Comité de grève qui voulaient approcher du micro pour parler. A l’AOC et à l’atelier 176 particulièrement, les cégétistes se sont barricadés pour empêcher tout contact avec l’extérieur.
Les nervis du PCF n’hésitent pas à s’opposer, physiquement, à tout ce qui n’est pas en concordance avec leur politique. A certains endroits, la provocation est flagrante. Ils insultent et brutalisent des grévistes. Si ceux-ci résistent, c’est la bagarre qui justifie l’intervention de la police. Mais ces manœuvres sont déjouées par la volonté unanime des ouvriers de bannir de telles méthodes. Là où la force aura donné raison au gangstérisme, le discrédit n’en sera que plus affirmé. C’est à la collecte des timbres que ces messieurs s’en apercevront.
La grève qui s’étend oblige la section syndicale à se joindre au mouvement. Evidemment, elle ne reconnaît pas la revendication de 10 francs sur le taux de base. Devant le refus de la direction et du gouvernement de lâcher même les misérables 3 francs de prime que la section syndicale revendique, celle-ci appelle à un débrayage d’une heure.
Mais les travailleurs de la Régie ne sont pas satisfaits. Une fois les machines arrêtées, ils refusent de les remettre en route. Le mardi 29 avril, l’usine compte plus de 20 000 grévistes. Alors la CGT vire encore un peu plus sur la gauche. C’est 10 francs qu’elle réclame maintenant comme « prime à la production ». Mais ce qui compte avant tout, c’est de faire reprendre le travail aux ouvriers.
Aussi, le vendredi, la section syndicale organise-t-elle un vote pour ou contre la grève sur la base d’une augmentation de 3 francs de prime. C’est une escroquerie, car la section syndicale n’a pas obtenu la prime de 3 francs. Les ouvriers par 11 354 voix contre 8 015 votent la continuation de la grève.
Huit jours se passent, sans que les discussions autour du tapis aient rien apporté de nouveau. En effet, si de son côté le Comité de grève emploie toutes ses forces à élargir le conflit aux autres usines pour faire capituler le gouvernement (distribution d’un tract dans ce sens par des délégations de grévistes aux autres usines, où ils se heurtent encore au sabotage des délégués cégétistes), le syndicat des Métaux, lui, ne cesse de « lancer du sable sur les incendies » qui s’allument çà et là (Unic, Citroën, etc.).
Enfin, les 3 francs sont accordés. Nul doute que si les ouvriers avaient voté la première fois pour la reprise du travail, ils n’auraient rien eu. Néanmoins, le syndicat des Métaux clame partout sa victoire. Il faut vite reprendre le travail, car, les 10 francs, nous les aurons dans « le calme et la discipline ». Un second vote est organisé pour demander aux ouvriers de reprendre le travail. Tous les moyens de propagande sont utilisés. La violence est employée contre les distributeurs de tracts du Comité de grève qui appelle à la continuation du mouvement. On demande aux ouvriers de reprendre le travail avec les mêmes conditions qu’ils ont refusées huit jours plus tôt. Il est clair qu’on spécule sur leur lassitude, car peu d’ouvriers ont la possibilité de vivre plus de huit jours sans travailler ; on spécule aussi sur l’hésitation des travailleurs qui voient parfaitement qu’ils n’ont rien à attendre du syndicat, mais qui, dans beaucoup d’endroits, n’ont pas de direction à eux. Même ceux qui rejoignent le Comité de grève, s’ils ont pour la plupart une grande volonté de lutte, manquent cependant encore d’expérience.
Partout les ouvriers sont mécontents de reprendre avec une dérisoire prime de 3 francs. Partout où il y a une direction (secteur Collas, département 88), une forte majorité se prononce pour la continuation de la grève, mais l’ensemble de l’usine se prononce pour la reprise par 12 075 voix contre 6 866. Plus d’un tiers du personnel s’est abstenu.
La grève continue
Quand on apprend le résultat du vote en faveur de la reprise, le vendredi 10 mai, il est déjà 6 heures du soir, la grosse majorité des ouvriers est partie. Ceux qui restent sont pour la continuation de la grève. Mais que feront les autres ?
Le lundi matin, au secteur Collas, les ouvriers arrivent ; les moteurs tournent déjà ; certains ouvriers se mettent au travail, mais sans beaucoup d’entrain. Un peu plus tard, le Comité de grève convoque une réunion dans le hall. Les ouvriers sont pour la grève. On ne peut tout de même pas reprendre avec 3 francs. Le Comité de grève, bien qu’il soit pour la grève, indique les dangers de combattre sans le reste de l’usine. Les ouvriers répondent qu’il ne faut pas s’occuper des autres ; dans notre secteur, la majorité est pour la grève. Les moteurs qui tournaient à vide s’arrêtent à nouveau. Mais comme nous sommes seuls à continuer le combat, il serait vain de croire que l’on peut obtenir les 10 francs. Nous limitons notre revendication au paiement des heures de grève. Le gouvernement continue à se montrer inflexible. A deux reprises, M. Lefaucheux nous affirme que nous n’aurons rien.
Le syndicat des Métaux essaie par tous les moyens de dresser les ouvriers de l’usine contre ceux de Collas. Il demande à la direction et au gouvernement d’intervenir contre nous. La grève, au secteur Collas, c’est un complot de 200 hommes. La section syndicale pose cette question mercredi : qui tire les ficelles ? Ce sont les ouvriers de l’usine qui se chargent de répondre le jour même. Malgré les dix jours de grève qu’ils viennent de faire, dans la seule journée de mercredi, ils collectent près de 60 000 francs pour les grévistes de Collas. Le jeudi, le gouvernement cède devant la ténacité ouvrière et accorde une indemnité de 1 600 francs pour tous les ouvriers de la régie.
La section syndicale, une fois de plus, clame sa victoire, car c’est elle qui a été admise aux délibérations. Les ouvriers de Collas ne sont pas satisfaits : 1 600 francs pour trois semaines de grève, c’est peu. Mais on ne peut pas continuer une lutte inégale ; il faut préparer d’autres combats. Le travail reprend, mais dans l’usine les ouvriers ne sont pas dupes : « C’est bien grâce aux gars de Collas si on a eu les 1.600 francs ! »
Le rôle du secteur Collas
Ce sont les ouvriers de Collas qui ont commencé la grève, ce sont eux qui l’ont terminée. C’est le Comité de grève qui a donné l’ordre de grève, c’est lui qui a donné l’ordre de reprise. Pour déclencher la grève comme pour la terminer, de même que dans toutes les questions importantes, le Comité de grève a toujours consulté les ouvriers avant d’agir.
Le mouvement est parti de Collas parce que c’est là que s’était constitué un groupe de camarades actifs qui ont d’abord préparé les esprits à un mouvement revendicatif ; dans les derniers temps, les ouvriers s’impatientaient même de ne pas recevoir un ordre de grève. Ces camarades ont ensuite organisé la grève. Cette organisation, à l’origine très faible (une poignée de copains), a révélé, une fois de plus, que les ouvriers sont très actifs quand ils savent pourquoi ils combattent, et qu’ils ont quelque chose de ferme à quoi ils puissent s’accrocher. Non seulement les ouvriers de Collas ont tenu leur secteur en grève pendant trois semaines, mais ils ont été à peu près les seuls à se dépenser avec énergie pour développer le mouvement.
La première semaine, plusieurs fois par jour, ils se sont répandus dans les ateliers pour aller aider des ouvriers à empêcher le sabotage par la section syndicale. Dès que quelque chose ne marchait pas dans un coin, on venait chercher les gars de Collas. La seconde semaine, toute l’usine étant arrêtée, ce sont encore les ouvriers de Collas, à peu près seuls. qui se répandirent dans de très nombreuses usines de la région parisienne pour inviter les autres ouvriers à nous suivre. Bien souvent ils eurent des accrochages sérieux avec les dirigeants cégétistes. Dans les boîtes où les travailleurs disaient qu’ils attendaient les ordres de la CGT, les ouvriers de Collas répondaient : « Vous pouvez attendre longtemps ! » Et on sentait dans cette réponse la fierté qu’ils éprouvaient de n’être pas à la merci d’un ordre des bureaucrates. Ils agissaient « seuls », avec un sens d’autant plus grand de leurs responsabilités.
Nos conclusions
Nous étions entrés en lutte pour arracher les 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital calculé sur l’indice des prix. Mais nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de « prime ».
Les responsables officiels du syndicat vantent cette « victoire », cependant déjà annihilée pour les mois à venir par l’inflation (rien que dans les deux dernières semaines, l’Etat vient de mettre en circulation vingt nouveaux milliards de francs-papier). Il n’a pas été question, dans les négociations officielles du syndicat, de garantir notre salaire par l’échelle mobile, c’est-à-dire son calcul sur l’indice des prix.
Mais notre lutte, même sabotée, a-t-elle été inutile ? Tout au contraire ! Si nous avons subi un échec partiel quant aux gains immédiats, nous avons, par contre, réussi à renverser complètement la vapeur.
Nous avons tout d’abord prouvé à tous ceux qui nous croyaient mûrs pour la capitulation, résignés aux bas salaires, à l’esclavage économique, que la classe ouvrière n’a rien perdu de sa capacité de lutter, unie pour la défense de ses intérêts vitaux. Nous avons secoué le joug de nos soi-disant représentants qui, au lieu d’être les défenseurs de nos revendications, étaient devenus nos gardes-chiourme. Nous avons obligé la direction patronale à reconnaître le principe du paiement des heures de grève.
Nos revendications, les 10 francs et l’échelle mobile, sont approuvées par la majorité des ouvriers de la France entière (voir les journaux), et la direction syndicale officielle devra lutter réellement pour ces revendications, sinon une deuxième vague ouvrière la jettera elle-même par-dessus bord.
En lançant son appel à la grève générale, le Comité de grève avait affirmé sa conviction que la victoire totale des revendications pouvait être obtenue.
En regard des résultats obtenus, ne pourrait-on pas dire qu’il a été trop optimiste ? Qu’on en juge : il a suffi que deux départements, 6 et 18, continuent la grève, appuyés sur la sympathie active de toute l’usine, pour que la revendication sur laquelle les bonzes syndicaux avaient capitulé – le paiement des heures de grève – soit accordée à toute l’usine. C’est ainsi que nous avons obtenu les 1 600 francs. Il a suffi, d’autre part, de la grève Renault pour qu’une vague d’augmentations, allant jusqu’à 10 francs, soit accordée dans presque toutes les usines. C’est ainsi que les usines Citroën ont obtenu les 3 francs sans un seul jour de grève. Il n’y a pas de doute qu’une grève générale aurait arraché la victoire totale. Mais la grève générale était-elle possible ?
La grève générale manifeste sa réalité tous les jours en province et à Paris. La grève générale ce n’est pas une chose qu’on décrète, c’est un mouvement profond surgi de la volonté unanime de toute la classe ouvrière, quand elle a compris qu’il n’y a pas d’autre moyen de lutte. En présence de cette volonté de la classe ouvrière, on peut seulement agir de deux façons ; soit, comme l’a fait le Comité de grève, donner le maximum de forces à l’action ouvrière en l’unifiant en un seul combat livré par la classe ouvrière pour des objectifs communs : la grève générale ; soit, comme la fraction dirigeante de la CGT et de la CFTC, fractionner les luttes ouvrières, les séparer artificiellement les unes des autres, les mener dans l’impasse des primes.
Or, de même que la grève Collas, le vendredi 25 avril, avait entraîné dans la lutte toute l’usine Renault, la continuation de la grève dans toute l’usine aurait entraîné dans la lutte ouverte toute la classe ouvrière.
De la lutte que nous venons de mener, il reste prouvé que la grève est l’arme revendicative essentielle des travailleurs. Il reste prouvé également que, quelles que soient les manœuvres intéressées, pour ou contre la grève, de tous les pêcheurs en eau trouble, la volonté unanime des travailleurs est capable de triompher de tous les obstacles. Dans nos prochaines luttes, nous entrerons mieux préparés et nous obtiendrons ce que nous n’avons pu obtenir cette fois-ci.
25 mai 1947, Pierre Bois
* Mouvement défendant les idées de Jacques Duboin. On peut trouver plus de renseignements sur le site economiedistributive.free.fr (NPNF, 2010).
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Les grèves de 1947 en France
« L’importance du passé tient en ce qu’il permet de tirer des leçons de nature à éclairer l’avenir »
Anton Pannekoek
« Ce terrible enfantement est celui d’une révolution »
Albert Camus, Combat, août 1944
L’année 1947 fut une année décisive dans la formation du consensus capitaliste, dans le contexte de la sortie de guerre, de nouvelles notions ont remplacé les vieilles lois du libéralisme social du XIXe siècle. L’idée s’impose que l’Etat est un arbitre social et qu’il lui appartient de corriger les inégalités par la redistribution des richesses. C’est sur cette idéologie que s’est construite la légende du Welfare State et des « Trente Glorieuses ». C’est sur ces bases de développement que la société française va pouvoir entrer dans l’ère de la consommation de masse qui caractérisera le monde développé du XXe siècle. Mais cette transition ne s’est pas effectuée sans heurts dix mois après la mise en place des institutions de la IVe République, le pays est en proie à des grèves que le président du Conseil d’alors (Vincent Auriol) jugeait « insurrectionnelles ».
Et ce sont le Parti Communiste et la CGT qui vont sauver la mise au gouvernement. Ces épisodes qui tendent à s’estomper dans la mémoire collective constituent pourtant un tournant fondamental dans la vie économique, politique, et sociale de notre société et une sérieuse leçon pour ceux qui aspirent à une transformation radicale de la société.
Reconstruction économique et paix sociale
En septembre 1944 au moment de la mise en place du gouvernement provisoire présidé par De Gaulle, l’économie française sort exsangue de l’occupation. Manquant d’une main-d’œuvre encore retenue en Allemagne sans compter les morts et les blessés, n’ayant ni combustible, ni matières premières, désorganisée par les bombardements (destructions des quais portuaires, des voies ferrées et gares, des routes etc.) la production industrielle ne représente plus qu’un tiers de celle d’avant-guerre. La production agricole à moins diminué, mais la paralysie des transports entraîne une pénurie dramatique de ravitaillement pour les villes. L’inflation explose. Bref le pays semble au bord du naufrage d’autant plus que les ressources de l’Etat sont absorbées dans la poursuite de la guerre et que la tension sociale est à son comble, le climat révolutionnaire de la libération se poursuit : épuration sauvage des pétainistes et collabos, dénonciations des profiteurs du marché noir, revanche contre un patronat qui, après avoir sabordé les conquêtes du Front populaire, a soutenu majoritairement le régime de Vichy et participé à la collaboration.
Dans ce contexte comment rétablir la République et par là-même le capitalisme ?
En fait la question avait été discutée auparavant dans les débats de la Résistance, le programme du CNR (Conseil national de la Résistance) propose pour la Libération une démocratie économique et sociale sur fond d’économie dirigée. Il préconise notamment : la participation des travailleurs à la direction de l’économie, la nationalisation des grands moyens de production, la Sécurité sociale, le droit au travail, à la retraite etc.
L’objectif est d’établir l’unanimité nationale en s’assurant de la participation de toutes les composantes politiques de la Résistance et plus particulièrement du PCF et de la CGT. Le soutien de la confédération syndicale est assuré dès 1944, Benoît Frachon lance « la grande bataille de la production « . L’heure est au consensus productiviste : la grève disparaît de l’ordre du jour de la CGT, c’est même comme l’écrit Gaston Monmousseau « l’arme des trusts » et en septembre 1944, la CGT a proposé l’unité organique à la CFTC (qui refuse). Le PCF ne tarde pas à afficher son soutien à la politique gouvernementale, le 21 juillet 1945 Thorez affirme à Waziers devant les gueules noires : « Produire, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée du devoir de classe. »
Bref c’est autour de trois axes principaux que va se structurer la politique gouvernementale :
Les nationalisations : le dirigisme de l’Etat est motivé par une nécessité d’efficacité économique mais les premières vagues de nationalisations ont un caractère soit de sanctions pour faits de collaboration comme la confiscation des usines Renault ou de celles de Gnome et Rhône (moteurs d’avions) qui deviendra plus tard la future SNECMA ; soit de rétablissement de l’ordre social, ainsi en est il des usines Berliet, où l’épuration sauvage effectuée par les ouvriers avait entraîné une certaine forme d’autogestion (On comparera ce jugement optimiste avec « L’expérience Berliet », texte diffusé par les Communistes révolutionnaires en 1944 et reproduit dans ce numéro, NPNF, 2010). Avec la nationalisation de 34 compagnies d’assurances et des quatre principales banques de dépôts, l’Etat se rend maître d’une grande partie du système de crédit. Il peut donc décider et diriger l’ensemble de l’économie française, de l’investissement à la production.
La cogestion (Sécurité sociale et comité d’entreprise) : pour faire accepter les efforts et les sacrifices prodigieux générés par la nécessité de la production, on agite la carotte du social. La loi du 22 février 1945 crée les comités d’entreprises. Il s’agissait au départ d’associer les salariés à la gestion des sociétés, mais sous la pression du patronat les CE se cantonneront très rapidement à la gestion des œuvres sociales de l’entreprise. La création de la Sécurité sociale est, elle, une réforme d’une plus grande ampleur, inspirée des conceptions du Welfare State de l’anglais Beveridge. Si elle se justifie par une volonté de redistribution de la richesse produite, elle modifie profondément la conception même du salariat. Celui-ci ne devient plus seulement la rémunération du travail fourni conçu en tant que marchandise, mais un revenu social fixe, même s’il n’y a pas de travail, la cotisation (obligatoire par ailleurs) représentant un salaire différé. Cette réforme crée un système de protection garantie par l’Etat qui modifie profondément la nature et le comportement de la société.
La planification de l’économie : en janvier 1946 est créé un Commissariat Général au Plan sous la direction de Jean Monnet qui élabore la stratégie et les objectifs économiques qu’il faut atteindre. Le plan Monnet sera adopté et promulgué par le gouvernement de Léon Blum en janvier 1947. L’esprit général de ce plan est d’inclure l’ensemble de l’économie dans un développement systématique, mais il s’agit également de rassurer les Américains quant à l’utilisation des fonds du futur Plan Marshall. Enfin pour mesurer les performances de l’entreprise France, l’INSEE est crée en 1946.
On le voit, l’Etat prend en charge la responsabilité de l’économie non seulement pour reconstruire le pays, mais par la même occasion pour moderniser le vieux capitalisme français ; l’Etat doit donc se substituer à l’initiative privée, mais le plus important c’est le rôle que vont jouer les entreprises nationales dans la modification de la mentalité du vieux capitalisme français en l’orientant vers des notions qui lui étaient jadis étrangères, comme l’investissement, la productivité, la gestion rationnelle...
Cependant la condition préalable à la mise en place de cette politique, c’est l’adhésion massive des forces politiques à ce projet ; dans cette perspective le PCF et la CGT vont jouer un rôle précieux...
Le Parti communiste a le vent en poupe. Par ses effectifs : près de 800 000 à la fin de l’année 1946, il retrouve son audience d’avant-guerre et s’installe avec satisfaction à la première place des partis politiques. Par ses modes d’actions : la lutte clandestine a reconstitué l’appareil, l’euphorie de l’automne 1944 permet de mettre définitivement au point les techniques d’encadrements des masses. Son influence se déploie également à travers la mise en place d’organisation satellites, l’Union des femmes françaises par exemple ou des associations de jeunesse ou d’anciens combattants.
Il peut également ajouter un argument moral à ses armes classiques : son action pendant la Résistance « le parti des fusillés » selon la formule qu’il affectionne alors peut se parer dans son patriotisme élargi par le prestige dont jouit l’Armée Rouge. Les hésitations du Pacte germano-soviétique et la reparution de L’Humanité sous occupation allemande sont ainsi promptement évacués.
C’est sur cette base morale plus que sur une base politique qu’il attire tant de Français ; c’est au nom des sacrifices consentis par les combattants de la Résistance se réclamant de son influence (FTP, MOI) qu’il s’érige en censeur des autres formations politiques. Il ne faut pas sous estimer ce point, le-parti-de-la-classe-ouvrière devient le porte-parole des pauvres et des purs, son moralisme valant toutes les théories.
Alors lorsque Thorez est de retour de Moscou où il s’était réfugié pendant la guerre, il a les coudées franches pour appliquer les consignes données par Staline : le devoir du parti est de renforcer l’union nationale pour activer le combat contre Hitler et les nazis et ainsi soulager l’Union soviétique. Légalisme, patriotisme, unitarisme c’est la ligne exposée par le mot d’ordre du Comité central d’Ivry de janvier 1945 « Unir, combattre, travailler ». A l’évidence il y eu des flottements dans l’application de cette stratégie, nombre de militants semblaient plutôt convaincus que la révolution était au bout du fusil, des responsables comme Guingouin dans le Limousin possèdent un réel pouvoir sur les zones qu’ils ont libérées. C’est aussi dans cet esprit qu’il faut comprendre les succès de l’extrême gauche notamment trotskyste. Le PCF fait donc le pari d’être le Grand Parti Populaire issu de la Résistance, pour être selon le mot d’ordre de Thorez « l’initiateur et le conducteur de l’effort populaire pour la reconstruction de la France » et bâtir le « un socialisme à la française » (formule promise à un bel avenir).
Dans ce sens la CGT va servir de pierre angulaire dans la construction de cette politique. Au Bureau confédéral c’est Benoît Frachon qui mène le jeu même après le retour de Léon Jouhaux. Son élection au poste secrétaire général révèle l’efficacité du travail accompli à tous les niveaux de l’organisation. En clair, les communistes sont les maîtres. Le recrutement s’accentue et à la fin de 1945 le cap des 5 millions de cartes est franchi. En octobre 1946 au terme d’une série de grèves les fonctionnaires se voient enfin dotés d’un droit syndical pour tous et d’un Statut de la Fonction publique qui reprend pour l’essentiel les dispositions élaborées par la centrale syndicale.
Mais en acceptant de jouer le jeu de la « bataille de la production » le syndicalisme va tourner une page de son histoire, en acceptant de devenir un partenaire social par la cogestion des organismes sociaux et entrepreneuriaux, la CGT concourt à la modification des règles du jeu social, à l’encadrement de la lutte de classes et à la disciplinarisation du prolétariat par la définition d’un intérêt commun entre employeurs et salariés. L’institutionnalisation du syndicalisme – dans le droit fil des ambitions de 1936 – dessine un terrain neutre où l’affrontement entre capital et travail perd ses élans révolutionnaires. On peut affirmer que les staliniens ont sacrifié la CGT dans leur tactique politique. Les deux principales scissions qui auront lieu en témoignent (création de la CNT-F en mai 1946, décembre 1947 amorce de la scission CGT-FO).
La double fracture de 1947
La première fracture, celle des débuts de la guerre froide et de la marche vers la décolonisation, est plutôt accidentelle, la France subit une évolution mondiale et ne peut agir. La seconde fracture est illustrée par le renvoi des ministres communistes, et voit la toute nouvelle république menacée d’une révolution sociale.
En 1946, la tension s’est accrue entre les Etats-Unis et l’URSS : la possession de l’arme atomique du côté américain ne suffit pas à compenser les positions de l’Armée Rouge en Europe. Churchill lâche son mot célèbre de « rideau de fer » à Fulton, pour tenter de rompre l’isolationnisme américain. Trumann répond par l’élaboration de sa doctrine et de la politique de « containment », le principe en est simple, les peuples soumis ou en cours de soumission en Europe de l’Est sont abandonnés à leur sort car leur libération causerait une nouvelle guerre mondiale mais tout doit être mis en œuvre pour contenir Staline et empêcher le « monde libre » de basculer dans le giron soviétique. Dans cette stratégie la France est considérée comme une pièce de choix. En juin 1946 le plan Marshall achètera ce que la diplomatie n’a pu obtenir. L’URSS répliquera par la création du Kominform en octobre 1947.
Le deuxième point international c’est la question de la décolonisation, la libération du territoire français ne signifiant pas la Libération pour tous.
Pourtant le chemin semblait avoir été montré par d’autres, la Grande-Bretagne (Inde et Pakistan) et les Pays-Bas sont en passe de réussir. La France, elle est incapable de résoudre les contradictions de son empire et s’enlise dans la guerre en Indochine. A Madagascar, elle révèle son visage répressif, dont bien des traits réapparaîtront plus tard en Algérie. Le soulèvement des insurgés malgaches (29/30 mars 1947) pêche par excès de confiance en un soutien américain. La répression est terrible : 89 000 morts annoncés par l’Etat-Major français, carte blanche laissée aux troupes d’élites et paras, amorce de guerre psychologique (tortures, corvées de bois...). En Afrique du Nord ce n’est pas mieux, massacre de Sétif en Algérie, fusillade à Tunis et blocage au Maroc. En Indochine la sale guerre s’installe.
Aux difficultés de l’extérieur vont s’ajouter les troubles intérieurs.
En janvier et février le gouvernement Blum décrète une baisse autoritaire des prix de 5%. C’est une lueur d’espoir : l’hiver est terrible, depuis décembre des usines ont fermé, faute de matières premières. Ces décrets tentent en vain d’enrayer les échecs de la politique de contrôle des augmentations des prix et des salaires : entre 1945 et 1947, les prix alimentaires triplent pendant que les salaires et les prix industriels doublent (entre 1944 et 1948, le pouvoir d’achat moyen a reculé de 30% environ.). Après quatre années de privations sous l’Occupation et de long mois d’efforts pour la reconstruction, les travailleurs sont à cran et ilss ne supportent plus la vie chère. Une étincelle peut enflammer la prairie. Si les premières grèves de janvier ont été rapidement circonscrites, la grève de la régie Renault est d’une nature différente. Elle est déclenchée le 25 avril par des militants trotskystes de l’Union Communiste (trotskyste) sur des revendications salariales, il y a aussi dans le comité de grève des militants du PCI, des anars et des bordiguistes. L’affaire, bien menée, est très fortement suivie par la base et oblige la CGT après avoir violemment dénoncé le mouvement à en prendre la direction, le travail reprendra trois semaines plus tard avec de substantielles augmentations. Le Premier Mai multiplie d’imposants cortèges et à Paris la foule hue le ministre du travail Daniel Mayer (SFIO). Les gaziers, les électriciens, et les cheminots menacent de cesser le travail. Le gouvernement Ramadier accorde un relèvement du salaire minimal mais développe un discours du complot en arguant d’un « chef d’orchestre clandestin ». Certes il y a plusieurs facteurs qui explique le mouvement giratoire de grèves, mais la pugnacité de la CGT n’est pas feinte. Ses dirigeants communistes découvrent dans le péril gauchiste les signes d’impatience d’une classe ouvrière qu’il ne faut plus décevoir. Accompagnant cette nouvelle ligne le 4 mai, dans le vote sur la question de confiance sur la politique salariale du gouvernement aux usines Renault, tous les députés communistes, y compris les ministres, votent contre le gouvernement. Le 5 Ramadier renvoie les ministres communistes. Désormais « libres » ils encouragent les mouvements, ajoutant aux revendications des thèmes politiques, notamment contre le plan Marshall, répondant à cela aux injonctions de Moscou. Profitant de la confusion et des troubles sociaux qu’il transforme en menace communiste, de Gaulle fonde le RPF et signe la mort du tripartisme (PCF/SFIO/MRP) qui avait jusqu’alors dominé l’Assemblée nationale.
La grande peur de l’automne 1947
Petit à petit les grèves font tache d’huile, parties du secteur public elles vont gagner la métallurgie, les banques, les grands magasins et les transports. La vague de mai-juin est elle à peine désamorcée par des accords passées entre la CGT et le CNPF, qui prévoient une augmentation de 11%, qu’elle repartent en septembre chez les fonctionnaires qui exigent les mêmes avantages. Les actions naissent le plus souvent à la base la CGT s’empressant d’encadrer quand elle le peut. Si les revendications semblent en premier lieu strictement économiques, elles traduisent une profonde lassitude devant la poursuite des efforts demandés. Mais c’est le gouvernement qui va faire monter la tension en politisant la crise sociale par l’évocation d’un complot communiste. Il est appuyé dans son propos par l’attitude du PCF. En effet depuis Moscou, Staline accélère le processus de domination sur l’Europe de l’Est et lance dans la guerre froide les partis communistes occidentaux. Tenue en secret du 22 au 27 septembre, la réunion de neuf responsables de PC européen à Szlarska-Poreba, en Pologne, prépare le lancement du Kominform. Au cours de cette réunion un violent réquisitoire est prononcé contre la politique menée par les Français et les Italiens qui se voient taxée de « crétinisme parlementaire ». Les effets de la remontrance ne sont font pas attendre et, dès octobre, les communistes passent dans l’opposition ; à l’opposé de Gaulle dénonce « le parti séparatiste » et alimente la peur des rouges. Résultat les élections législatives portent à la présidence du conseil Robert Shuman qui charge Jules Moch, ministre de l’Intérieur SFIO de rétablir l’ordre.
Car la situation frise l’insurrection. Dans leur troisième temps de novembre- décembre les grèves ont pris l’allure d’affrontements politiques. A Marseille, du 10 au 12 novembre, une grève généralisée à l’occasion d’une hausse des tarifs du tramway décidée par la municipalité dégénère en émeute ; tandis que la compagnie de CRS (où les communistes sont nombreux) fraternise avec la foule, le maire Carlini est blessé, les bâtiments publics sont envahis (la mairie est saccagée) et un jeune sympathisant communiste est tué. Le 15 novembre, la grève éclate dans les Houillères du Nord après la révocation de Delfosse, secrétaire de la fédération CGT du Sous-sol. Une dure bataille s’engage entre les mineurs, qui retrouvent les réflexes de la Résistance et les CRS, vite remplacés par l’armée mobilisée par Moch. Le 3 décembre le train Paris Tourcoing déraille causant 21 victimes, faisant suite à une longue série de sabotages. Le 28 novembre, 20 fédérations CGT en lutte forment un « Comité central de grève » distinct de la confédération. La grève générale insurrectionnelle serait elle à l’ordre du jour ?
La République décidée à écarter le danger social décide alors de sortir les grands moyens pour organiser la riposte. Le gouvernement mobilise toutes les forces de l’ordre, rappelle les réservistes et le contingent de la classe 1943, et fait voter, après 6 jours débats ininterrompus, le 4 décembre, des mesures de « défense républicaines » qui, sous le prétexte de garantir « la liberté du travail », restreignent les droits des grévistes. On le voit Sarkozy n’a rien inventé. Mais l’échec du mouvement tient plus aux dissensions entre les grévistes. Des délégations de syndicats autonomes, des groupes FO de la CGT demandent l’arrêt de l’action et proposent des votes à bulletins secrets pour ou contre la poursuite de la grève. La direction communiste, sentant le vent tourner et refusant la confrontation ultime, ordonne le 10 décembre l’arrêt des grèves et la reprise générale du travail. La IVe République est sauvée. La classe ouvrière peut retourner à la production.
Conclusion
Le syndicalisme sort brisé de cet affrontement, le rôle déterminant du secteur public fortement syndicalisé, transforme le syndicat en groupe de pression et non plus en instrument de transformation sociale. En avril 1948 les groupes « Forces Ouvrière » autour de Léon Jouhaux formeront la CGT-FO, ils seront largement financés et appuyés par la SFIO, les syndicats américains et même la CIA, qui voient d’un bon œil l’anticommunisme affiché par son leader. Au même moment la Fédération de l’Education nationale se constitue entraînée par le Syndicat national des instituteurs. Le Parti communiste suivant sa droite ligne réformiste de 1936 maintient son audience électorale, forge une nouvelle génération de militants, vérifie l’état des transmissions des directives du parti vers la classe ouvrière par le canal syndical. Il ne vise plus qu’un seul but (s’il en avait déjà visé d’autres), préserver le parti et son pouvoir, peaufiner sa stratégie de la grève, sacraliser son identification à la nation et à la classe ouvrière. Arrivé à l’apogée de son existence, il amorce son long et lent déclin jusqu’à la mort clinique dans laquelle il se trouve actuellement.
Les années 1943-47 constituent donc un « moment » dans l’histoire de la lutte des classes : crise profonde du capitalisme, ébranlement de son édifice politique, évolution rapide dans les rapports de force, position favorable pour la classe ouvrière et ses organisations.
C’est le choix de restaurer le capitalisme que la social-démocratie a fait bien entendu. Comme d’ailleurs le Parti communiste, même si ses raisons sont différentes : la politique mondiale du stalinisme visait en effet le statu quo négocié à Postdam et Yalta.
Mais, une fois ce choix fait, le système capitaliste n’était pas capable de reprendre son ancien cours : il devait s’adapter profondément, structurellement. C’est ainsi que les mécanismes de régulation et de programmation que les années 60 vont voir éclore tous azimuts sont mis en place à plusieurs niveaux. Ils vont affecter à son tour la structure même de la social-démocratie : la longue marche vers l’intégration dans l’Etat commence. On peut affirmer que la social-démocratie a réalisé pleinement le programme du capitalisme pour permettre son développement.
Bien peu tireront des enseignements de cette crise de 1947, pourtant c’est à partir de ces nouvelles données sociales, le syndicat comme outil de gestion, le parti comme instrument de canalisation des contradictions de classes qu’il faut recommencer la critique radicale du capitalisme. C’est à cette tâche que s’attelleront des petits groupes comme la revue Socialisme ou Barbarie entre 1949 et 1967 par exemple, c’est ce travail qu’il faut continuer aujourd’hui.
Octobre 2007, Courant Alternatif
Commentaire de Ni patrie ni frontières
On remarquera le contraste entre, d’un côté, le ton très optimiste de cet article et la vision plus pessimiste (réaliste ?) des articles de Combat communiste ou des Communistes Révolutionnaires (pourtant convaincus à l’époque que la révolution avait commencé en Europe) sur la même période. Qu’il s’agisse de la situation concrète à l’usine Berliet (cf. « L’expérience de Berliet », page 327, qui démystifie la prétendue « autogestion » de l’usine à la Libération) ou de la signification des luttes ouvrières des années 1944-1947, visiblement des perceptions très différentes de la réalité s’affrontent dans ces textes.
CHRONOLOGIE
des grèves de 1947
« L’unanimité nationale » autour de la réforme de l’Etat et de la Reconstruction (mars 1944 – octobre 1945)
Mars 1944 : le programme du CNR propose pour la Libération une démocratie économique et sociale sur fond d’économie dirigée. Ce programme alors consensuel inspire gouvernement et partis à la Libération, mais il est peu connu des Français (53% ignorent son existence en avril 1945).
2 juin 1944 : le Comité français de libération nationale (CFLN) se transforme en Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Avec la libération progressive du territoire, notamment Paris, il s’élargit, le 9 septembre, en gouvernement d’unanimité nationale (De Gaulle). Plusieurs de ses membres sont d’anciens syndicalistes. Le 9 août 1944, la légalité républicaine est rétablie, et la nullité des actes de Vichy proclamée.
27 juillet 1944 : l’ordonnance d’Alger annule la Charte du travail de Vichy ; tous les syndicats de 1939, sauf la CGPF, sont rétablis. La Corporation paysanne est également dissoute.
10 septembre 1944 : Benoît Frachon lance « la grande bataille de la production ».
15 octobre 1944 : création de la CGC, Confédération générale des cadres (elle est reconnue par le ministre du Travail à l’été 1946, après une grève en mars).
12 octobre 1944 : création de la CGA (Confédération générale de l’agriculture) ; elle est reconnue en 1945 par les pouvoirs publics (c’est le seul interlocuteur pour l’agriculture). Progressivement, la CGA va regrouper la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, créée en 1946), les coopératives agricoles, le Crédit agricole, les syndicats d’ouvriers agricoles, de techniciens agricoles).
14 décembre 1944 : ordonnance nationalisant les houilles du Nord-Pas-de-Calais (Houillères nationales). Les syndicats siègent pour un tiers au comité consultatif. A cette occasion, un nouveau statut du mineur prévoit des avantages en termes de salaires, de retraites, de ravitaillement.
16 janvier 1945 : ordonnance nationalisant les usines Renault. Elles avaient été mises sous séquestre dès octobre 1944. Les actionnaires ne sont pas indemnisés. La nouvelle Régie est un statut original où Etat, usagers et personnel siègent au conseil d’administration.
22 février 1945 : ordonnance sur les comités d’entreprise dans les établissements de plus de 100 salariés.
5 avril 1945 : démission de Mendès-France : la politique de rigueur qu’il préconisait n’a pas été acceptée par de Gaulle, afin de ne pas dégrader le climat social.
Avril 1945 : négociation paritaire des grilles de salaire par branche (A. Parodi) : augmentation globale des salaires ; les grilles sont fortement hiérarchisées ; fortes disparités selon le sexe et la région.
Mai 1945 : les retours massifs des prisonniers et déportés vont atténuer en partie la pénurie de main-d’œuvre.
28 mai 1945 : circulaire d’Alexandre Parodi énonçant les critères de la représentativité syndicale : ancienneté, effectifs suffisants, cotisations, indépendance à l’égard du patronat, attitude patriotique pendant la guerre, loyauté dans l’application de la législation sociale. Fin 1945, la CGT compte 5,4 millions d’adhérents, la CFTC 0,7 millions.
4 et 19 octobre 1945 : ordonnances sur la Sécurité sociale. Toutes les anciennes assurances sociales sont rattachées à un système unique auquel sont assujettis tous les salariés. Les cotisations sont retenues sur les salaires (4 à 6%) et payées par l’employeur (4 à 10% des salaires distribués). Les risques couverts sont : la maladie, l’invalidité (pension), la vieillesse (retraite à 60 ans), le décès, les accidents du travail (30 octobre 1946).
L’échec de la politique économique et les premières fissures du consensus, les premières grèves (octobre 1945 – janvier 1947)
13 novembre : un deuxième gouvernement provisoire (de Gaulle) est formé après l’échec du référendum sur le premier projet de constitution. Le gouvernement comporte trois ministres communistes : Travail, Ambroise Croizat ; Production industrielle : Marcel Paul ; Économie nationale : François Billoux.
2 novembre 1945 : ordonnance réglementant libéralement les conditions d’accès et de séjour pour les travailleurs étrangers (en vigueur jusqu’en 1979).
2 décembre 1945 : nationalisation de la Banque de France et des grandes banques de crédit.
Le 17 mars, la nationalisation des houillères du Nord-Pas-de-Calais est étendue à l’échelle nationale (Charbonnages de France, 17 mai 1946). Le 8 avril, c’est le tour du gaz et de l’électricité (EDF et GDF). Le 25 avril 1946, c’est l’assurance (34 sociétés, les principales, et non la totalité). Les sociétés aériennes sont invitées à fusionner avec Air France (26 août).
12 décembre 1945 : grève des fonctionnaires (leurs revendications seront satisfaites en octobre 1946), la CGT maintient ses positions productivistes : la grève est une provocation, certains syndicalistes commencent à protester, dont le journal Force ouvrière qui soutient la grève.
21 décembre 1945 : création du Commissariat général au Plan
24 janvier 1946 : démission de De Gaulle, en désaccord avec le projet de Constitution et ne voulant pas être forcé de continuer à gouverner avec une Assemblée de gauche, c’est le début du tripartisme (MRP-SFIO-PCF).
26 janvier-1er février 1946 : grève dans la presse parisienne (rotativistes). A la radio, le ministre Croizat s’en prend violemment aux grévistes.
21 février 1946 : rétablissement de la loi des 40 heures (la durée moyenne du travail en 1946 s’établit à 43 heures hebdomadaires).
13 avril 1946 : statut du fermage et du métayage.
16 avril 1946 : loi sur les délégués du personnel : leur statut est désormais légal et non plus seulement conventionnel. Les étrangers participent à l’élection, mais ne sont pas éligibles.
4 mai 1946 : départ de la CGT de militants syndicalistes révolutionnaires qui créent la Confédération nationale du travail (CNT)
22 mai 1946 : la loi Croizat rend l’assurance sociale obligatoire pour tous les Français (et non plus seulement les salariés). Elle ne sera effective qu’en août 1967. Dans la même perspective, l’assurance vieillesse est généralisée par la loi du 12 septembre 1946.
29 mai 1946 : la CGT demande une hausse générale des salaires
12 juin 1946 : création du Conseil national du patronat français (CNPF).
11 octobre 1946 : loi créant la médecine du travail
13 octobre 1946 : adoption par référendum de la Constitution de la Quatrième République. Son préambule prévoit, dans la lignée du programme du CNR, une « république démocratique et sociale ». Il proclame l’égalité de l’homme et de la femme, les droits de l’enfant (instruction). Le citoyen est conçu comme travailleur (droit syndical, droit de grève), et la société doit lui permettre de subvenir à ses besoins, et à ceux de sa famille.
19 octobre 1946 : la loi sur le statut de la fonction publique répond à des revendications exprimées dans des grèves au printemps : elle reconnaît en particulier le droit syndical
27 novembre 1946 : présentation des objectifs du plan Monnet
23 décembre 1946 : loi sur les conventions collectives
Vers la peur de la révolution et la « défense républicaine » contre les grévistes (janvier 1947 – décembre 1947)
2 janvier et 24 février 1947 : décret décidant une baisse autoritaire des prix de 5% (gouvernement Blum).
janvier 1947 : début d’une série de grèves début 1947 (janvier : les gaziers de la Région parisienne, les dockers de Nantes, Michelin à Clermont-Ferrand ; février, grève dans les ports, grève de la presse parisienne, chez les cheminots parisiens).
31 mars 1947 : création du salaire minimum vital par arrêté ministériel.
9 avril 1947 : loi étendant la Sécurité sociale aux fonctionnaires.
24 avril 1947 : élections aux caisses primaires de la Sécurité sociale et des Allocations familiales : elles semblent annoncer une baisse de l’influence de la CGT (53,9% des voix, CFTC 26,4%, les « Familiaux » et « Mutualité » : 10,2%.)
25 avril – 16 mai 1947 : grève chez Renault que la CGT commence par combattre puis rallie.
4 mai 1947 vote sur la question de confiance sur la politique salariale du gouvernement aux usines Renault, tous les députés communistes, y compris les ministres, votent contre le gouvernement.
Le 5 mai 1947, Ramadier met fin aux fonctions des ministres communistes au gouvernement.
23 mai 1947 : décision du gouvernement, suite aux conflits sociaux, d’une exonération fiscale pour les bas revenus et l’attribution de primes à la production.
25 mai 1947 : le personnel d’EDF-GDF en grève est réquisitionné
2 juin 1947 : début de la grève des cheminots. Elle s’étend à toute la France (7-10 juin).
10 juin 1947 : début d’une deuxième vague de grèves : transports (cheminots), secteurs publics (13 juin : les fonctionnaires des services publics font vingt-quatre heures de grève), métallurgie, mines du Pas-de-Calais), Citroën, grands magasins, banques...
4 juin 1947 : Ramadier déclare à l’Assemblée : « Une sorte de mouvement giratoire de grèves se développe, comme sous la direction d’un chef d’orchestre clandestin. »
17 juin 1947 : la Grande-Bretagne et la France acceptent l’aide Marshall (proposée le 5 juin). Le plan Marshall est rapidement condamné par la CGT et le PCF.
1er août 1947 : La CGT et le CNPF concluent un accord prévoyant une hausse de 11% des salaires. Le gouvernement ne reconnaît d’abord pas l’accord CGT-CNPF. Puis le 22 août, est publié un arrêté portant sur la hausse de 11% des salaires légaux.
27 août 1947 : Grève à l’usine automobile de Peugeot-Sochaux.
1er septembre : Grève chez Berliet.
3 septembre : Grève chez Michelin.
26 septembre 1947 : Opposition de l’Union générale des fonctionnaires au plan de reclassement présenté par le gouvernement. Les syndicats du secteur public réclament une hausse des salaires de 11%.
14 au 21 octobre : Grève dans les transports. 16 octobre : Grève de la marine marchande.
10 novembre – 9 décembre 1947 : Grèves dont de nombreuses à caractère insurrectionnel (Marseille, Houillères du Nord). 3 millions de grévistes. Assauts contre des bâtiments publics (à Marseille le 12 novembre : palais de justice occupé, maire séquestré), des scènes d’émeutes (dans le Midi, le 2 décembre) ; et des voies de chemin de fer sabotées (3 décembre : accidents mortels).
19-20 novembre : le gouvernement Ramadier fait évacuer par la force, dans la nuit, les usines Citroën. Par un vote à bulletin secret, 80% des 6 000 ouvriers consultés se prononcent pour la reprise.
22 novembre 1947 : le gouvernement Schuman de défense républicaine inaugure « la troisième force » (ni RPF, ni PCF).
26 novembre 1947 : création d’un « Comité central de grève » institué indépendamment du bureau confédéral de la CGT pour conduire le mouvement. C’est lui qui appelle le 9 décembre à cesser le mouvement.
29 novembre 1947 : vote des textes de défense républicaine. Les réservistes sont rappelés. Échec des négociations entre la CGT et le ministre du Travail.
Décembre 1947 : le mot d’ordre de grève lancé par les cheminots et les postiers est un semi-échec. Début du reflux du mouvement de grève. Un député communiste (Raoul Calas) est expulsé de l’Assemblée nationale pour avoir exhorté les forces de l’ordre à l’insoumission.
4 décembre 1947 : loi sur la protection de la liberté du travail adopté par l’Assemblée nationale. Rappel d’un demi-contingent de la classe 1943. Annonce d’un plan sur les salaires et les prix.
19 décembre 1947 : la conférence nationale « Force ouvrière » quitte la CGT : pas décisif vers la scission de FO. Cinq membres de la tendance « ex-confédérée » (dont Jouhaux) démissionnent du Bureau confédéral.
Octobre 2007, Courant Alternatif