Ce texte paru dans Echanges n° 62 (octobre-décembre 1989) fait partie d’un recueil à paraître début mai : Restructuration et lutte de classes dans l’industrie automobile mondiale.
Deux questions se posent d’emblée dans la grève Peugeot [qui a duré sept semaines, du 5 septembre au 23 octobre 1989, dans les usines de Sochaux et de Mulhouse] :
1 – le mouvement apparemment n’a touché qu’une minorité d’ouvriers, 6 000 à 10 000 au plus fort de la grève, sur 25 000 ouvriers dans les deux seules usines de Mulhouse (Haut-Rhin) et de Sochaux (Doubs), sur la dizaine d’usines Peugeot implantées en France. Pourquoi, dans ces conditions, a-t-elle pu durer sept semaines sans réussir à s’étendre, et d’abord au sein de ces deux usines, provoquant néanmoins la perte de 60 000 voitures, soit 3,5 milliards de francs de chiffre d’affaires ?
2 - pourquoi les médias, reflétant les préoccupations des dirigeants patronaux et du gouvernement, ont-ils pu accorder plus de place à une telle grève limitée et localisée, qu’à d’autres grèves antérieures ou en cours, plus importantes en nombre et plus généralisées ?
Une armée de sociologues, de syndicalistes, de patrons « progressistes » ou de politiques « réformateurs » ont cru devoir stigmatiser le mode de gestion paternaliste musclé version ancienne (encadrement style militaire ) ou moderne (à la japonaise) qui cohabitent aux usines Peugeot, pour expliquer la spécificité de la grève : elle aurait été causée par une sorte de ras-le-bol de la partie la plus exploitée des ouvriers, d’un côté à cause de la frustration du fruit des prétendus « sacrifices » qui leur avaient été demandés au cours des années écoulées pour le redressement de la firme,de l’autre en raison de la lassitude d’une soumission constante aux impératifs capitalistes véhiculés par une stricte discipline. Il est difficile de traduire dans des chiffres globaux les conséquences de la restructuration du groupe entreprise depuis des années : une idée peut en être fournie par l’usine de Mulhouse où la chaîne de construction de la 205 ne semble pas avoir subi de modification technologique notable dans la décennie écoulée ; alors que l’usine produisait 960 voitures par jour pour 16 200 salariés en 1979, elle en sortait 1 300 en 1989 pour 12 000 salariés, soit une productivité travail accrue de plus de 70 %. Pour l’ensemble du groupe, les dépenses afférentes à la force de travail passaient de 27,8 % du chiffre d’affaires en 1986 à 19,4 % en 1988, mais ce chiffre doit être relativisé par l’importance donnée à la sous-traitance. Les résultats annuels passaient d’une perte de 0,34 milliards de francs en 1984 à un bénéfice de 8,85 milliards en 1988 ; ce redressement était acquis par la robotisation (800 robots en 1986, 1 500 en 1989), la réduction des effectifs (20 % pour tout le groupe PSA ), l’accroissement de la charge de travail et la baisse des salaires (l’augmentation de 15 % de 1984 à 1989 traduisant une baisse des salaires réels ). La rentabilité s’était s’effondrée jusqu’en 1986, en raison de l’obligation d’investir massivement ; le taux de profit dans cette année était de 4 points inférieur à son niveau de 1970.
« Tout à craindre »
La gestion de Peugeot était louée pour autant qu’elle ne mettait pas en cause les intérêts globaux du capital en France. Ce que nous venons de décrire pour cette entreprise n’était nullement spécifique et pouvait s’appliquer avec quelques variantes à l’ensemble des entreprises et à la politique globale du gouvernement. La restructuration poursuivie depuis des années accompagnée d’investissements dans des technologies nouvelles, de compression de personnel, du couple intensification -transformation des conditions de travail, du blocage des salaires, c’était le lot de l’ensemble des travailleurs.
La situation chez Peugeot n’apparaît donc pas comme un problème spécifique à Peugeot, même si l’on considère la réputation de cette société quant à ses méthodes de gestion de la force de travail : utilisation de syndicats maison et d’une maîtrise particulièrement répressive, et politique énergique d’une direction considérant ses impératifs capitalistes comme des ordres non discutables. La grève donne l’occasion de réaffirmer de cette politique. Jacques Calvet, président de PSA, persistera presque jusqu’au bout dans son refus de négociation tout en affirmant : « Pour l’amour du ciel, soyons raisonnables. » Mais elle donnera aussi l’occasion de critiques virulentes contre cette politique jugée « rétrograde » (pas tant que cela puisque Calvet a été sacré récemment « meilleur dirigeant de l’année ». Un représentant du gouvernement caractérisera Peugeot comme « un groupe dans lequel la négociation sociale a été souvent conflictuelle et qui a démontré à cette occasion qu’il n’y avait pas de fusible ». La distance prise soudain par une fraction du capital et par le gouvernement ne touchait aucunement le contenu d’une politique économique suivie par tous mais la méthode pratiquée par Peugeot pour la mettre en œuvre. Méthode que résumait en ces termes le chef du personnel : « Les syndicats en tant que tels n’ont pas de rôle comme porte-parole du personnel. Le porte-parole du personnel est son chef hiérarchique, pas plus. » Cette attitude était aussi tactique : elle visait précisément à justifier quelque peu la grève Peugeot mais en même temps à la singulariser en voulant faire croire aux autres travailleurs qu’ils n’étaient pas concernés par ce conflit spécifique.
Pourtant, si l’on considère la situation lors des grèves à la SNCF (chemins de fer ), chez Chausson (automobile), à la Snecma (moteurs d’avion ), l’existence de représentations syndicales reconnues n’empêche nullement l’éclatement de conflits – c’est-à-dire que là où des « fusibles » existent, ils sont inopérants. Une discussion pourrait s’ouvrir sur le rôle actuel des syndicats dans une situation où apparemment la politique des dirigeants de l’entreprise à leur égard est de peu d’importance quant au développement de la lutte de classe. C’est donc par-delà les spécificités de la société Peugeot que le conflit de classe a pris une telle importance : il était dangereux parce qu’il était une lutte contre une situation commune à beaucoup d’entreprises et à toute l’économie française. François Périgot (président, de 1986 à 1994, du Conseil national du patronat français, CNPF devenu Medef [Mouvement des entreprises de France] en 1998), résumera ce danger potentiel dans une déclaration : « Le conflit Peugeot est un conflit grave dans un des secteurs les plus fragiles de l’économie », déclaration qui trouvera un écho plus général chez le ministre de l’Industrie : « Il y a tout à craindre d’un dérapage des salaires : tout le monde y perdrait y compris les salariés. »
« Chasse aux coûts »
La fragilité dont parlait le chef des patrons n’était pas tant dans les problèmes économiques et financiers d’un secteur de l’économie que dans les transformations de la structure même de l’entreprise pour faire face à la compétition internationale. La chasse aux coûts de production concerne toute immobilisation du capital et sa productivité immédiate, tant chez les ouvriers que dans les approvisionnements. Un des objectifs mis en place récemment, le « zéro stock », c’est-à-dire l’approvisionnement continu et instantané en matériel au fur et à mesure des besoins, a introduit une vulnérabilité particulière, même si des solutions de remplacement contre un blocage possible sont prévues. La « robotisation » a modifié profondément dans certains secteurs les habitudes de travail et autorisé à pénétrer plus avant dans le système de défense des travailleurs. Une autre innovation « à la japonaise » le « zéro défaut », a poussé encore plus dans cette dernière voie et en même temps permettait de renforcer encore plus une discipline en l’infantilisant avec un système d’affichage individuel des « fautes » et des « résultats ». Plus encore que dans la structure taylorienne classique (à laquelle d’ailleurs la structure « robotisée » se rattache), l’occupation d’un secteur limité de l’usine bloque toute la production de l’usine et même de plusieurs. D’où l’importance des occupations d’ateliers autour desquelles va se jouer le conflit. De plus, dans le contexte d’une répression quotidienne intense comme chez Peugeot, une minorité décidée peut intervenir en des points cruciaux avec le même effet que si elle était suivie par l’ensemble des autres ouvriers. Plus que dans d’autres usines, la brusque transformation du rapport de forces fait que ceux qui « continuent de travailler » échappent pour un temps à ces contraintes quotidiennes et indirectement renforcent la grève : cette situation s’est produite dans la grève de la Snecma ; elle se retrouve à Mulhouse et à Sochaux.
Dans la plupart des usines du groupe, on trouve une dualité de situations, avec des secteurs non modernisés d’une organisation taylorienne classique et des secteurs automatisés avec les nouvelles méthodes de travail (petits groupes de 15 à 20 ouvriers), mais dans tous les secteurs prévalent l’autosurveillance et la récupération des astuces ouvrières visant à diminuer la charge de travail. Cette situation dominait particulièrement à l’usine de Mulhouse (13 000 salariés dont 9,000 ouvriers) qui, de plus n’avait jamais connu la vague de licenciements des années passées à l’usine de Sochaux, avait un personnel relativement jeune (originaire d’Alsace), moins pénétré de « l’esprit maison », pouvant facilement trouver du travail mieux payé dans la Suisse ou l’Allemagne proches et par suite beaucoup moins lié à la spirale de la promotion. La domination de l’entreprise à Sochaux, berceau de Peugeot qui y possède pratiquement tout, assure un contrôle beaucoup plus strict des travailleurs.
On trouve là tout un ensemble qui peut expliquer pourquoi bien avant les vacances une agitation se faisait jour dans certains ateliers (notamment à l’emboutissage), exprimant des revendications de salaires et de reclassement. Dans ces débrayages sporadiques, les conditions de travail sont autant l’élément moteur que les questions de salaires ; mais ce sont celles-ci qui expriment le mieux l’unité de la lutte. La politique salariale de Peugeot ne consiste pas seulement à n’accorder que des augmentations dérisoires, mais aussi à en attribuer la plus faible fraction à tous et le reste « au choix ». Par exemple, en 1987 l’augmentation s’est décomposée en un pourcentage fixe, 1,25 %, et une augmentation éventuelle au choix, l,60 % ; 60 % des ouvriers touchent cette rallonge à la tête du client, 20 % touchent l’augmentation générale – majorée de l’ancienneté (20 %), les plus récemment embauchés touchent seulement l’augmentation générale.
De plus, pour éviter qu’elle n’augmente « trop », la prime de fin d’année considérée comme une répartition de « bénéfices » est plafonnée à un taux très bas. Le salaire mensuel net d’un ouvrier se situe en moyenne aux alentours de 5 000 francs, et l’éventail hiérarchique de base est très écrasé (voir tableau à la fin de l’article. Le type d’action (débrayage d’un atelier) reprend dès le retour des vacances [d’été, le 5 septembre] avec le débrayage de 30 ouvriers de la carrosserie, et se développe d’une manière quasi autonome, les grévistes allant d’un atelier à l’autre dans l’usine pour élargir la lutte. Bien que sévèrement encadré par la maîtrise et plus ou moins ignoré par les syndicats, le mouvement se développe : 400 grévistes le 5 septembre, plus de 3 000 en deux équipes le 6. Selon ses principes habituels, la direction annonce alors ses augmentations pour 1989 : l,50 pour tous et 1,70 au choix. Cela n’arrête pas le conflit car les revendications avancées sont d’au minimum 500 francs par mois. A partir de ce moment se déroule une dialectique entre ce mouvement de base d’une part, la direction, le gouvernement et les syndicats d’autre part.
Par rapport à la grève en général, la direction, par la bouche du directeur général des « relations sociales », a rappelé : « La grève doit laisser le souvenir de quelque chose où les gens ont perdu, même si cela est symbolique. » Jusqu’au dernier moment, la position hautement affirmée sera : « Pas de négociations. » Lorsque les ouvriers auront saisi l’arme de l’occupation, cela se transformera en : « Pas de pourparlers sans évacuation » avec, pour se donner la monnaie d’échange habituelle, le licenciement fin septembre de plus de cent grévistes. Cette politique est appuyée sur le tas par une action inlassable de l’encadrement – spécialement dressé pour cette sorte de pression – visant à empêcher l’extension de la grève par toutes sortes d’arguments aussi bien financiers que moraux, à la limite de la violence, pression qui non seulement cloisonne le conflit à l’intérieur d’un atelier ou d’une usine, mais renforce les considérations personnelles en regard de l’intérêt général de classe. Cette pression ne suffit pas pourtant pas à expliquer pourquoi la grève ne franchira pas ce stade de grève minoritaire localisée : un mouvement de masse n’est pas stoppé par de telles conditions particulières et celles-ci peuvent intervenir effectivement parce que le mouvement de masse ne les a pas balayées.
Particularismes
Le groupe PSA est encore un conglomérat créé par la fusion de différentes entreprises, chaque usine y conservant même des caractéristiques particulières : les usines de Sochaux et de Mulhouse, pourtant peu distantes l’une de l’autre, et entre lesquelles ne s’imposera pas une réelle coordination des luttes, en sont un exemple. Si la grève n’est pas totale dans chacune des usines,on se trouve par contre devant une situation complexe qui rappelle celle de la grève de la Snecma : une minorité (parfois jusqu’à 30 % des effectifs ouvriers) s’affirment grévistes ; les autres, « non- grévistes », montrent non seulement comme nous l’avons décrit une résistance « passive » dans le travail, mais offrent un soutien financier important (à Sochaux par exemple, les bas salaires se verront compensés presque intégralement par la solidarité). Tout cet ensemble de circonstances, et certainement d’autres spécifiques qui n’apparaissent pas dans le conflit, détermineront l’efficacité des forces répressives – tout comme les limites de leur action. Ces forces vont œuvrer dans la dialectique avec le mouvement de base, lequel montrera une force évidente puisqu’il faudra sept semaines pour le réduire. La grève Peugeot ne fera pas tache d’huile dans l’automobile, non pas tant en raison de ces manœuvres que parce que le mouvement apparaît ainsi limité dans ces particularismes et parce les revendications de salaire n’apparaissent que comme des ajustements par rapport à ce que peut toucher par exemple un ouvrier de Renault.
Tout autant que la direction de Peugeot ou le patronat, le gouvernement veut éviter une extension du conflit ; elle signifierait la faillite de sa politique économique. Jusqu’alors, les conflits importants des dernières années ont été limités au secteur public et l’apparition d’un conflit majeur dans une entreprise du privé peut signifier qu’un pas a été franchi vers une généralisation des luttes. Le gouvernement se trouve en effet aux prises avec un long conflit des fonctionnaires des finances sans compter d’autres mouvements 10calisés. Alors qu’il se retranche au départ dans une neutralité prudente tout en soulignant l’importance d’un changement de méthodes de gestion de la force de travail, il adopte une série de mesures. Contrefeux d’un côté, par exemple en faisant avancer chez Renault l’octroi d’augmentations de salaires et en accordant des augmentations à EDF, aux fonctionnaires. Réserve d’un autre côté, pour ne pas provoquer de réactions plus violentes, en refusant d’ordonner l’évacuation par la police d’un atelier occupé après que Peugeot eut obtenu, le 4 octobre, un jugement ordonnant cette évacuation. Finalement, lorsque la situation paraît « mûre » (ce même 4 octobre), nomination d’un « conciliateur » dont la fonction sera seulement d’amener la direction et les syndicats à accepter des discussions quand les syndicats auront fini par persuader les ouvriers d’abandonner leur seule arme valable : l’occupation de l’atelier des forges de Mulhouse.
L’éventail des syndicats permet à chacun de jouer un rôle correspondant à son point d’insertion, à son propre registre : cela va d’une pression relayant celle de la maîtrise jusqu’à un soutien apparent à la grève pour mieux la canaliser ou un verbiage jusqu’auboutiste au fur et à mesure que la grève touche à sa fin. Le contexte répressif de Peugeot fait que, à part les syndicats maison (CFTC et FO), les syndicats mal tolérés (CGT et CFDT ) se trouvent, dans une telle lutte, en position de jouer leur rôle traditionnel ; ils rencontrent encore une certaine adhésion de la base et peuvent ainsi manipuler ce rôle.Il n’y aura pas chez Peugeot de « coordination », ni même de comité de grève, seulement à Mulhouse un « comité d’organisation » qui n’est même pas une intersyndicale et où « cohabitent » les quatre syndicats cités. Quelques déclarations permettent de bien situer leur fonction dans la grève. Une dizaine de jours après le début de la lutte, un représentant syndical résume : « Les syndicats ont épousé le mouvement tout en donnant l’impression de laisser l’initiative à la base. » Ce qui ne réussit pas spécialement car un délégué CFTC déclarera le 25 septembre : « On les a tenus (les ouvriers) pendant trois semaines ; maintenant, on ne peut plus faire grand chose sinon encadrer le mouvement. »
Manipulation syndicale
Finalement, la lutte va se jouer dans cette dialectique entre le mouvement de base et les syndicats. Les travailleurs essaieront constamment de donner de la force à leur mouvement en bloquant la production par l’occupation des chaînes de montage d’abord, puis, quand les syndicats leur auront fait évacuer ces ateliers sur la promesse fallacieuse d’une reprise des pourparlers, les forges. Cet atelier sera tenu pendant dix-huit jours et évacué, après bien des manipulations, sur la même promesse. Le « transfert » de l’occupation des chaînes de montage, qui bloque toute la production, aux forges est la conséquence d’une manipulation syndicale.
CGT et CFDT « garantissent la même efficacité » à l’occupation des forges qu’à celle des chaînes de montage ; ce qui se révélera faux dans l’immédiat puisque Peugeot pourra se targuer de faire tourner à nouveau ses chaînes avec une production limitée ; mais cela faillira être vrai devant la détermination des occupants, l’intervention du « conciliateur » venant à point nommé pour permettre aux syndicats de faire cesser cete occupation juste au moment où elle allait faire stopper toute production. Dans toute la période de grève, un des axes de l’intervention des syndicats sera aussi de faire sortir les ouvriers des usines pour les décourager dans des mani festations de rue aussi épuisantes que stériles.
Les forges de Mulhouse seront évacuées après trente-sept jours de grève ; la grève durera encore douze jours, ne s’étendant que très partiellement à l’usine de Sochaux (Mulhouse comptera jusqu’à 3 000 ou 4 000 grévistes sur 9 000 ouvriers et Sochaux jusqu’à 6 000 sur 15 000 ouvriers). Ce qui restera de grévistes sera acculé finalement à la reprise malgré des propositions dérisoires d’augmentation touchant uniquement les bas salaires et loin des revendications initiales. Les licenciements sont annulés mais il est évident que ceux qui se sont signalés dans la grève vont se retrouver tôt ou tard pris dans la répression de l’appareil de gestion spécifique de Peugeot.
Si comme nous l’avons écrit, la dynamique initiale de la grève ne réussit pas à lui faire franchir certaines limites de l’encadrement patronal et syndical ; autorisant ces forces à jouer leur rôle répressif, elle est néanmoins assez forte pour cheminer par des canaux informels insaisissables et à s’imposer pendant sept semaines. Seule l’élimination par des manœuvres de ses atouts essentiels – l’occupation – permet de laisser jouer la tactique du pourrissement de la lutte et de réduire cette dynamique. Si elle disparaît dans cette expression formelle qu’est la grève, elle se continue sans aucun doute avec un nouveau rapport de forces dans le quotidien. Cette grève n’était que l’expression d’un moment de la lutte de classe globale : celle-ci ne cesse pas pour autant, ce qui, étant donné les présentes conditions à Peugeot, est certainement au moins aussi important que la grève elle même. Par rapport aux luttes des années passées, ainsi que nous l’avons souligné, cette lutte n’a pas vu l’organisation, même embryonnaire, de coordinations. Alors que dans d’autres secteurs en lutte actuellement comme chez les fonctionnaires des finances, les syndicats ont dû développer toute une stratégie pour prévenir ou contrer le développement d’organismes de base, l’affrontement avec les syndicats chez Peugeot se situe plus au niveau de l’action elle-même, dans ce que les ouvriers en grève entreprennent pour renforcer leur lutte. On ne peut en tirer une conclusion quant au caractère de cette lutte, car ce sont précisément les conditions de chaque lutte qui définissent le niveau et les caractères de cet affrontement.
H. S.
novembre 1989