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Fiat : de nouveaux systèmes de production

mercredi 31 mars 2010

Dans les années1980, la préoccupation des dirigeants de Fiat est la faiblesse des syndicats. Ainsi Agnelli a-t-il pu déclarer : « La vérité est que les choses marchent souvent mal en Italie parce que les syndicats sont faibles et divisés. »

Ce texte est paru dans Echanges n° 50 (novembre 1986-février 1987). Il fait partie d’un recueil à paraître début mai : Restructuration et lutte de classes dans l’industrie automobile mondiale.

Avec le retour au travail en septembre [1986], Fiat Automobile a annoncé que les derniers travailleurs mis à pied en 1980 seraient réembauchés vers la mi-1987, bien avant ce qu’annonçaient les pronostics les plus récents. Ceci rejoint des demandes de la direction de Fiat pour le travail du samedi et le retour à trois équipes, et peut laisser penser qu’après des années de difficultés , Fiat est revenu à la normale. Un observateur plus attentif noterait que les réembauchés remplacent seulement les départs (environ 16 % de l’effectif de 1983 à 1985) et devrait aussi noter l’accroissement considérable en investissement, production et profit depuis le début des années 1980. Pourtant, la préoccupation des dirigeants reste les syndicats ou plutôt le manque de syndicats.

Déjà, lors des licenciements de 1979 (1) Agnelli (propriétaire majoritaire de Fiat) déclarait dans un entretien au quotidien La Repubblica (20 octobre 1979), en réponse aux accusations d’avoir mis les syndicats dans une très mauvaise position : « Je sais et je n’en suis pas heureux. La vérité est que les choses marchent souvent mal en Italie parce que les syndicats sont faibles et divisés. » Il ajoutait : « Chez Fiat, le nombre des syndiqués est de 41 % , bien au-dessous de la moyenne nationale dans la métallurgie qui est de 6l %. »

Depuis lors, les syndicats sont devenus plus faibles (décimés dans la grève de 1980 et les tentatives qui suivirent de les réformer) ; personne ne veut être candidat délégué aux élections et le référendum sur l’échelle mobile n’attira qu’un soutien restreint ; la direction de Fiat est très préoccupée par cette situation.

Dans certains cas, la faiblesse des syndicats a été attribuée à l’histoire des années 1950 (l’élimination chez Fiat du PC et de son syndicat) dont la conséquence aurait été un manque de conscience syndicale pendant le boom de l’emploi dans les années 1960. Par exemple , le marxiste-léniniste Renzo del Carria décrit, dans son ouvrage Proletari senza rivoluzione, l’élimination de l’UIL chez les ouvriers Fiat immigrant du Sud en 1962 et l’absence totale d’autres syndicats ou partis, comme ayant laissé la lutte entre les mains du nouvel « ouvrier-masse » (vol.V pp 3-37).

Maintenant, l’ouvrier-masse est considéré comme une image qui appartient à l’Histoire, mais les syndicats sont loin d’avoir récupéré le terrain perdu. En fait,c’est la direction de Fiat qui tente de promouvoir le mouvement vers la syndicalisation : pas sous la forme des syndicats maison, liquidés en 1962, mais des syndicats dans le style américain comme l’UAW. En 1983, année pivot dans la renaissance de Fiat, Agnelli déclarait : « Traiter avec les syndicats italiens, outre le fait que nous devons les regarder comme des gens en qui on ne peut avoir confiance, est actuellement dépourvu de signification. Ce que nous souhaitons, c’est un syndicat de l’automobile qui puisse traiter ici à Turin directement avec nous avec une logique de discussion parfaitement claire. Dans ce cas, nous pourrions accorder des augmentations de salaires en échange de mises à pied et de mobilité, ou même un aménagement de la semaine de travail » (Panorama, 6 juin 1983). Le principal obstacle à ce projet ne vient pas des syndicats ouvriers mais du grand syndicat patronal, la Federmeccanica.

Mis à part la recherche habituelle de nouveautés « made in USA », cette demande de Fiat cherche à combler le vide culturel laissé par l’écroulement des syndicats et la prétendue « japonisation » de la vie d’usine (voir Toyota et le toyotisme).

Dans une série d’intéressants articles du quotidien La Reppublica (27 juin, 1er, 3 et 5 juillet 1986), « A la recherche de nouveaux systèmes de production », le directeur de Fiat Auto [nommé par Agnelli en 1979], Vittorio Ghidella, interrogé, récriminait contre le fait que,tandis qu’aujourd’hui l’ouvrier posté, l’« ouvrier-conducteur » (c’est-à-dire l’ouvrier sur la chaîne automatisée) devait « penser pour conduire sa machine », « les syndicats continuaient à voir cela avec les lunettes du passé et n’étaient pas d’un grand secours ». Il n’est pas surprenant dès lors que la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL), dans une enquête menée chez Fiat, ait découvert que la plupart des ouvriers, lorsqu’ils avaient un conflit à régler, allaient voir le contremaître plutôt que le représentant syndical. Retournant pour un moment aux années 1970, Ghidella constatait : « Je ne crois pas à l’inévitabilité d’un conflit... (dans les années 1970) (2) j’étais le dirigeant de RIV et en dépit d’un fort syndicat paléo-marxiste i1 n’y eut pas de conflit hystérique comme chez Fiat. »

On ne peut mieux définir la fonction du syndicat dans la société actuelle. Mais retournant au présent,revenons au problème d’un syndicat pratiquement inexistant, la mort de l’ouvrier-masse et la naissance de l’« ouvrier–conducteur », la « japonisation » de l’usine.

Dans une récente étude sur Fiat (A. Becchi-Collida et S.Legrelli, La Transition dans l’industrie et dans la relation industrielle, Milan, 1986), les vieux schémas sont de nouveau exposés. Les têtes de chapitre sont du genre : « Fiat 1969 : inventer le syndicat » (p. I55) ; on trouve des déclarations comme : « Chez Fiat, la robotisation accélérée doit être mise en rapport avec le barrage imposé dans le passé par les accords syndicaux et la pression sociale dérivant des systèmes précédents de relations sociales. La complète mécanisation du cycle productif, comme dans l’exemple de Robogate... a bien été voulue comme dirigée par l’encadrement contre la force des vieux syndicats (sic) et leur « rôle futur » (pp. 257-258) et nous conduit à croire que Fiat, émule de Toyota, désire dominer et, encore une fois, détruire les syndicats. La transition réelle pourtant peut seulement être saisie par l’examen des relations entre les types de luttes ouvrières chez Fiat dans le passé, le type de technologie sélectionné pour prévenir de futurs dangers (et aussi le type de technologie développé et non retenu parce que les relations sociales ont changé) et le type de syndicat qui devrait émerger au milieu de tout cela, comme un partenaire naturel pour la direction. Les citations que nous avons données ci-dessus doivent suggérer que Fiat souffre quelque peu du « syndrome du gouvernement unilatéral de l’entreprise » (ibid., p. 229),précisément à cause de la nécessité d’une particiaption ouvrière comme « ouvrier-conducteur ».

1 En 1979, Fiat licencia plusieurs ouvriers en réponse à des attentats terroristes.

2 RIV (roulement à billes), autrefois filiale de Fiat dont les usines se trouvait dans et autour de la ville où réside Agnelli, Villar Perosa, près de Turin, a été vendue à la société suédoise SKF par suite de difficultés financières.

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