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La répression s’accentue. Conditionnement idéologique et contre-feux

jeudi 4 février 2010

Ce texte est paru dans Echanges n° 128 (printemps 2009).

Que répondre à une question aussi générale que « ce que nous pensons de la situation actuelle sur certains aspects – manifestations du 29 janvier et 19 mars, recomposition de la gauche, nature de l’anti-sarkozysme, mouvement social et les jeunes de banlieues... » ?

Tout d’abord, que la situation actuelle ne doit pas être considérée sous le seul angle de la France, ni même de l’Europe. Bien sûr notre propre lutte se déroule là où nous sommes, mais le cadre national où nous pouvons œuvrer pour ce que nous considérons le « juste combat » et auquel nous pouvons consacrer une bonne partie de notre vie (peu importe en quoi il consiste et où il se situe) n’est pas isolé au sein de ce territoire. Doublement : d’une part avec la mondialisation du système capitaliste, tout y est internationalisé et interdépendant à la fois économiquement, socialement, politiquement et militairement ; d’autre part ce qui se passe partout dans le monde du point de vue des luttes, tout comme ce qui se passe ici même dans l’Hexagone, est presque immédiatement connu dans le monde entier et, d’une manière ou d’une autre, n’est pas sans répercussions même si elles ne sont pas immédiatement apparentes.

Les réponses à ces questions, qui sont toutes limitées à la France, sont inévitablement liées au contexte international. Un exemple : aux Etats-Unis, le pouvoir s’inquiète particulièrement des effets de la crise mondiale sur la situation interne et, prédisant l’irruption d’une violence similaire à celle des années 1920 ou 1930, rapatrie des troupes d’élite d’Irak et semble modifier en conséquence toute sa politique dans le Moyen-Orient. Ce n’est pas bien sûr à cette échelle pour la France, mais c’est à celle de l’Europe où bon gré mal gré, s’édifient aussi d’une part tout un arsenal de mesures financières et économiques pour tenter de limiter la casse et d’autre part un appareil répressif destiné à endiguer les débordements.

Dans cet appareil répressif, on doit mettre non seulement les plans d’utilisation des forces policières et militaires et l’arsenal législatif et de contrôle matériel et pénal, mais aussi les manipulations idéologiques qui, elles, sont beaucoup plus visibles et peuvent faire illusion dans un premier temps. Parmi ces manipulations idéologiques, je rangerais :
- l’anti-sarkozysme qui joue un rôle d’écran en concentrant sur un seul homme (il fait inconsciemment tout ce qu’il faut pour ça) l’impossible solution de la crise et qui fait de son remplacement éventuel une fallacieuse possibilité de « solution ». Cet anti-sarkozysme est d’ailleurs un amalgame hétéroclite d’oppositions diverses qui, eux non plus, ne peuvent trouver la martingale d’une « solution » qui resterait dans le cadre du système ( rajeuni, moralisé, reconstruit, etc., les qualificatifs ne manquent pour masquer le vide même d’un réformisme qui se voudrait cohérent) ;
- ce qu’on appelle la « recomposition de la gauche » fait aussi partie de cette digue idéologique. A première vue elle peut apparaître, pour un Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) bénéficiant manifestement d’une certaine bienveillance du pouvoir, comme une trappe électorale sous les pas des socialistes. Mais il serait léger de s’arrêter à cet aspect ponctuel et temporaire. Toute situation de crise soulève la formation d’anticorps qui, sous la forme d’oppositions prétendument radicales, sont destinés à empêcher la transgression totale destructrice du système lui-même. Les ambiguïtés du NPA, entre autres, sont un bon terreau pour cette fonction ;
- d’une même façon, bien que sur un plan plus direct et matériel, les manifestations « unitaires » du 29 janvier et du 19 mars font partie de cette construction de digues pour encadrer (ils ne savent trop quoi, application sociale du « principe de précaution »). La fonction de ces manifestations promenades a été trop souvent utilisée et décrite pour qu’on s’y étende. La seule question que l’on peut se poser à ce sujet est : pourquoi tous les syndicats s’unissent-ils pour entériner ce minimum protecteur du système ? Cela rejoint les tentatives d’union nationale politique tentées par Sarkozy et plus ou moins avortées. Globalement, on peut dire que chaque fois que dans l’Histoire, tous les organes de représentation du pouvoir s’unissent, c’est pour imposer au prolétariat d’abord une situation qui représente pour lui une défaite magistrale.

Parallèlement à ce conditionnement idéologique et à ces contre-feux destinés à prévenir toute explosion sociale, la répression non seulement s’accentue mais se donne les moyens de parer à toute transgression, quelle qu’elle soit. Leur problème est de ne pas savoir en quoi elle consistera ni comment elle se manifestera. C’est le problème central de la crise actuelle. Pour autant que je sache, trois exemples (il y en a certainement beaucoup d’autres) peuvent montrer comment les pouvoirs dominants envisagent d’avoir à faire face à des troubles intérieurs. Aux Etats-Unis, un chef du FBI les a qualifiés d’accès de violence pires que dans les années 1920 ; l’appel aux unités d’élite dont nous avons parlé montre que la Garde nationale, dont c’est la fonction mais basée sur le volontariat des classes moyennes locales, n’est certainement plus fiable ; dans le même temps des sections spéciales sont crées pour étudier, infiltrer, etc. les milieux jugés subversifs. Au Royaume-Uni, les services du contre-espionnage, prévoyant un « été violent », viennent aussi de créer une section spéciale en mélangeant aussi bien les néo-nazis et les groupes pour la libération des animaux que toutes « organisations derrière les actions sociales illégales comme les piquets secondaires » (sic) ; cette section spéciale, appelée « National Extremism Tactical Coordination Unit », va travailler étroitement avec tous les fonctionnaires, les autorités universitaires et des sociétés privées, afin d’« éliminer toute menace de criminalité et de désordre public venant de l’extrémisme intérieur ». En France, l’affaire Coupat a mis au grand jour une stratégie identique, tout en comportant un volet (qui existe aussi ailleurs) de manipulation idéologique préventive.

Relativement aux différentes manifestations récentes, quelques observations s’imposent. La manifestation non autorisée du 24 janvier (1), vu le nombre restreint de participants, a permis à la police de procéder à un nombre relativement important d’arrestations sans autre suite – ce qui n’est pas négligeable pour elle, vu qu’elle avance dans le brouillard – que de faire un recensement nominatif d’une mouvance qu’elle a du mal à pénétrer donc à connaître. Pour la « grande » manifestation syndicale du 19 mars et celle de soutien aux emprisonnés, autorisée celle-ci et qui réunit un nombre relativement important de participants, on a pu observer une stratégie identique de la police : ne pas affronter directement les manifestants, mais les laisser s’étaler en les divisant en petits groupes qui ne peuvent plus communiquer entre eux et qui, avec le temps, finissent par se disperser. A mon avis, cette stratégie du moment témoigne du désir de ne pas provoquer de réactions en cas de violence ou de bavure ponctuelles. L’exemple grec aurait été étudié en haut lieu et les reculades récentes sur des problèmes secondaires – essentiellement dans le secteur enseignant – illustrent bien cette crainte de voir un événement ponctuel être l’étincelle qui mettrait le feu à la plaine. Ce qui se passe dans les Antilles françaises illustre aussi ce propos, les atermoiements du pouvoir montrant bien ces hésitations sur l’emploi de la force répressive qui conduit à une situation inextricable et aux conséquences inévitables.

Les principales caractéristiques de la présente crise sont, pour tous les pouvoirs généraux et locaux « gérant » le cours aveugle du capital, qu’ils ne savent pas d’une part quel sera ce cours et les effets des mesures palliatives de circonstance qu’ils peuvent prendre, et d’autre part quelles seront les réactions de défense, voire d’attaque, voire d’organisation de tous ceux qui subissent plus ou moins durement les conséquences de cette crise et de ces mesures de circonstance.

Dans le passé, ces résistances s’organisaient autour de projets portés par des organisations et il était relativement facile de les identifier et de les réprimer. Il semble qu’il en soit très différent aujourd’hui. Un article récent du Washington Post posait la question de savoir où étaient les résistances présentes aux conséquences de la crise, qui se fait ressentir aujourd’hui beaucoup plus durement aux Etats-Unis qu’en France. Cet article évoquait notamment les mouvements de masse divers qui avaient secoué les Etats-Unis dans les années 1960, particulièrement contre la guerre du Vietnam, en posant la question de l’inexistence actuelle de tels développements. Il n’en concluait pas pourtant, comme certains peuvent le faire, à une passivité face à la chute dans la précarité des générations qui ont vécu le « rêve américain » et des jeunes générations qui n’ont plus « aucun avenir ». Il développait l’idée que ces résistances étaient « ailleurs » que dans les formes traditionnelles. Il concluait (avec des témoignages) que les jeunes générations vivaient déjà dans cet ailleurs, complètement détachés de ce monde et de ses règles, un ailleurs mal défini dont on pouvait déceler le potentiel, sans pouvoir savoir sur quoi il déboucherait (on pourrait établir des correspondances avec les jeunes de « banlieues »). Les pouvoirs dominants peuvent difficilement vivre avec de telles incertitudes tant économiques que politiques qui les privent de tous les leviers de pouvoir qu’ils utilisent habituellement.

Pour en revenir à la France, on peut faire le même type de constatation : un malaise général doublé d’un « apolitisme » dans le sens d’un dédain total des filières médiatrices traditionnelles. En regard, rien de précis ne se dégage avec les caractéristiques habituelles d’une lutte ouverte. Par contre, une foule d’initiatives locales ponctuelles ou plus généralisées qui restent sur un plan horizontal, pour lesquelles les liens se tissent non plus à travers des hiérarchies d’appareils mais essentiellement via Internet ou des contacts informels localisés.

Personne ne peut dire comment cela se polarisera, et ce qui se passe dans les DOM avec ses spécificités n’est pas forcément un exemple – bien que cela puisse illustrer les incertitudes du pouvoir face à des situations dont il ne connaît ni la nature ni les perspectives d’évolution.

H. S.

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