mondialisme.org

Mexique, 1990 : la grève aux usines Ford

dimanche 20 décembre 2009

Extrait d’un article du n° 64 d’Echanges, avril- juin 1990.

Il y a deux ans, utilisant la pression de la crise, Ford avait annulé tous les contrats de travail de ses usines mexicaines et imposé de nouveaux contrats, accélérant le rythme des chaînes pour un salaire mensuel de 165 dollars, faisant table rase de toute l’ancienneté que les ouvriers pouvaient avoir acquise. Le Comité national syndical (CTM) accepta toutes les clauses de ce diktat patronal et, fin décembre 1989, ce furent les bureaucraties CTM des usines Ford du Mexique qui annoncèrent la réduction d’un avantage spécial appelé « partage des bénéfices » et des bonus, ceci en dépit d’une productivité accrue. Des luttes éclatèrent aussitôt, et elles furent directement réprimées par le CTM qui n’utilisait pas les manœuvres démocratiques des syndicats américains par exemple, mais des méthodes violentes, pas très compatibles avec la fonction moderne des syndicats (quoique dans certaines circonstances les syndicats « modernes » ne dédaignent pas d’utiliser ces méthodes violentes).

Dans la situation mexicaine, ce n’était pas tant la fonction du syndicat qui était contestée que la méthode utilisée pour l’ accomplir. Quand les ouvriers se révoltèrent contre des mesures qui avaient en deux ans diminué de moitié le pouvoir d’ achat de leurs salaires pour 42 à 48 heures de travail par semaine, avec seulement un arrêt de 30 minutes par équipe, ils trouvèrent devant eux tous ceux qui essayaient de leur imposer les propositions de la direction, et tout d’abord le CTM.

En combattant le CTM, ils ouvraient la voie à un syndicat réformiste qui aurait à discuter de nouvelles propositions avec la direction et de toute manière à rechercher ensuite l’ accord des ouvriers pour un nouvel accord amenant la reprise du travail : exactement la fonction d’un syndicat « moderne ».

Le 8 janvier 1990, le mouvement de protestation s’amplifiait à l’ usine Ford de montage de Cuautitlan, à 30 km de Mexico. CTM et Ford organisèrent une véritable expédition punitive : 250 hommes de main transportés par des bus du CTM et portant des uniformes Ford entrèrent dans l’usine, ouvrirent le feu sur les protestataires, tuant un ouvrier et en blessant de nombreux autres, immédiatement, 1 500 ouvriers sur 3800 occupèrent l’usine. Ford s’adressa alors au « Comité fédéral pour la conciliation et l’arbitrage », un organisme gouvernemental qui aussitôt prononça l’ annulation de tous les contrats des ouvriers Ford de l’ usine : alors, ceux-ci furent tous immédiatement licenciés.

Ford proposa de réembaucher les « bons éléments » en vue de remettre en route l’usine, au moins partiellement. La pression sur le gouvernement était pourtant telle qu’il ne pouvait éviter d’ arrêter quelques-uns des sbires du CTM, mais pour compenser cette décision, Fidel Velasquez, leader du CTM depuis plus de cinquante ans, demanda, et obtint, le concours de la police pour expulser les ouvriers de l’usine occupée. 400 ouvriers de Ford tentèrent d’envahir le siège du CTM demandant l’éviction des dirigeants corrompus du Comité national syndical des usines Ford du Mexique, l’exécuteur habituel des bases œuvres de Ford. Sans autre résultat que le 22 janvier, les flics pris en charge par le CTM pour 200 dollars attaquèrent l’usine, le matin à 5 heures, et en expulsèrent les 1 300 ouvriers qui l’occupaient.

La situation devint plus complexe lorsque le travail reprit partiellement dans l’usine, alors que le CTM, complètement délaissé par sa base, accepta à contre-cœur de négocier avec un comité désigné par les ouvriers. Ceci, bien que Ford eût proclamé son refus de discuter un nouveau contrat avec un « Comité de travailleurs révolutionnaires » voulant se substituer au syndicat discrédité. Plus de la moitié des ouvriers étaient encore en grève et Ford ne réussissait pas vraiment à faire tourner son usine avec des jaunes. Les ouvriers de l’usine de Cuautitlan ne furent plus isolés : une autre usine Ford, à Chihuahua, sur la frontière avec les Etats-Unis, se mit en grève ; 800 ouvriers obtinrent, après une semaine de grève, 22 % d’augmentation. Pour éviter une grève dans son usine de Mexico, General Motors y lâcha 20 % d’augmentation des salaires ouvriers. D’autres grèves avaient lieu en même temps à Mexico. Le 5 mars, Ford conclut un accord pour un retour au travail de tous les ouvriers, pour la reconnaissance du comité ouvrier de négociation de l’ usine et pour l’ouverture de discussions auxquelles le CTM participerait également. Une porte était ouverte pour la transformation des syndicats.

A la fin mars, les conséquences de cette vague de grèves vinrent de deux voies différentes. Du côté ouvrier, 121 organisations se regroupèrent pour former un nouveau syndicat, s’opposant au CTM et dénommé : « Front Uni de Défense des travailleurs ». Le secrétaire du Comité des Ouvriers Révolutionnaires, partie du nouveau front syndical uni, envoya un message au président du Mexique en insistant sur « la nécessité d’un dialogue et d’une unité nationale mais pas au détriment du bien être de la majorité », une position bien réformiste ayant le soutien du nouveau parti oppositionnel POR et de l’ église catholique. Du côté capitaliste, les liens économiques encore plus étroits furent tissés avec les Etats-Unis, qui représentent déjà 66 % du commerce extérieur mexicain. Il est évident que la lutte de classes a modifié les conditions de l’ exploitation du travail au Mexique par les sociétés américaines et que des ajustements sont nécessaires.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0