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La question des transports à l’approche du XXIe siècle

dimanche 7 septembre 2008

Cet article est paru dans Echanges n° 86 (janvier-mars 1998). ————————————————————————————————————————

Ce texte fait suite à une discussion sur la grève des routiers de novembre 1997. A mon sens il est essentiel de savoir la place que l’on occupe dans la production, pour connaître le rapport de forces qui nous oppose au capital, pour savoir combien de temps les capitalistes peuvent tenir et combien de temps les salariés peuvent faire la grève. L’introduction du système des flux tendu et la modification de l’espace temps doivent attirer notre attention.

D’autre part nous avions remarqué que depuis quelque temps les conflits importants au niveau mondial se situaient principalement dans le secteur des transports. C’est-à-dire dans la zone la plus sensible à la « mondialisation »,au point que nous devons pratiquement réserver une page complète du bulletin Dans le monde une classe en lutte aux conflits dans les transports.

Pour rappel :
- grève à Air France, 6 octobre-2 novembre 1993
- grève des contrôleurs aériens d’Aix-en-Provence, juillet- août 1994 (voir Echanges n° 78
- mouvement des cheminots en Grande-Bretagne, 1994
- grève sauvage des chemins de fer aux Pays-Bas (voir Echanges n° 78)
- nouvelle grève à Air France, 1995
- grève des dockers de Liverpool, 1996 (voir Echanges nos 81 et 86)
- grève sur grève à Amsterdam, 1995 (voir Echanges n° 80),
- grève des routiers espagnols de treize jours, 1997
- République tchèque grève de 5 jours de 100 000 cheminots de République tchèque contre les restructurations, 1997
- grève des cheminots en Irlande, 1997
- grève contre les restructurations en Croatie, 1997
- grève de l’UPS aux Etats-Unis (voir Echanges n° 85 : La grève à UPS (I) : une routine ou l’esquisse d’un dépassement ?, La grève à UPS (II), La grève à UPS (III), La grève à UPS (IV). Notes et annexe : les Etats-Unis en quelques chiffres.)

Comment se pose le problème aujourd’hui

Depuis le Traité de Rome instituant le Marché commun, première forme de la Communauté européenne, en mars 1957, le développement des échanges internationaux s’est considérablement amplifié (1). Les objectifs du Traité de Rome, de l’Acte Unique, repris dans le Traité de Maastricht (février 1992) et peaufiné par Amsterdam (octobre 1997), ne peuvent se réaliser sans le développement des transports, d’ou l’importance stratégique de cette branche d’activité pour le capital. Partie sensible du capitalisme mondial, la branche des transports est au centre des contradictions de classe de notre époque. Le facteur temps prenant de plus en plus d’importance par rapport au facteur distance.

En effet , la nouvelle Europe se doit de dépasser l’étroitesse des frontières nationales. Dans de nombreux pays, la modernisation et le développement des transports apparaissent comme vitaux. En effet, les pays de l’Europe centrale et orientale ne possèdent pas de systèmes de transport compatibles avec les ambition de l’économie de marché. En Italie, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, le mauvais entretien, le sous-investissement durable, vont devenir des handicaps majeurs (les Etats-Unis ont d’ailleurs débloqué en 1991 un budget de 151 milliards de dollars [800 mds de frs] pour combler en partie ce retard).

En France, les transports dépendent de plus en plus de la mondialisation de l’économie, en deux décennies — de 1970 à 1990 —, la France a poursuivi la construction d’un réseau autoroutier efficace, lancé son TGV, développé son réseau aérien et produit des matériels de transports performants (métros, RER, TGV).

Cependant,le gouvernement pense que la France risque de demeurer enclavée par rapport à la grande dorsale européenne (« banane bleue » qui va de Londres à Milan en traversant le Randstatt hollandais, l’ouest de l’Allemagne, l’est de la France et la Suisse) si elle ne se raccorde pas à cet ensemble.

La politique des flux tendus

Avec l’introduction de l’informatique, puis de la micro-informatique et, sur un plan plus général, de la recherche en direction de l’infiniment petit (nanotechnologies), la société industrielle est passée du stade cyclopéen au stade lilliputien. L’évolution de l’organisation industrielle passe maintenant par l’espace, gestion par satellite, la question de l’espace-temps s’en trouve bouleversée à tous les niveaux, avec des conséquences directes sur l’exploitation de la force de travail. British Airways a transféré toute sa comptabilité aux Indes et supprimé 600 emplois au Royaume-Uni. Une nouvelle hiérarchisation du coût du transport s’impose. Dans un rayon de 200 à 250 km, le camion est pour le moment le plus compétitif pour la majorité des produits, dans un rayon de 700 km le rail et l’avion deviennent compétitifs, s’ils parviennent à résoudre l’effet de rupture de charge.

Depuis une dizaine d’années l’introduction des techniques « kanban » (mot japonais signifiant « fiche » ou « étiquette ») s’intégrant dans une politique du stock zéro et de l’approvisionnement juste-à-temps, est le résultat des conditions extrêmes de la concurrence internationale pour la baisse des coûts de production. Ceci explique en partie pourquoi 200 000 routiers sur 220 000 sont payés au SMIC, bien qu’ils occupent une place centrale dans le processus de production et de distribution, d’où les cris affolés de la presse aux ordres contre les grèves « prises d’otages ». Cependant les routiers eux-mêmes sont pris en otages par la concurrence, si les coûts augmentent et la fiabilité de livraison est défectueuse, la concurrence ferroviaire devient plus rentable, il suffirait d’un petit choc pétrolier pour que la profession s’effondre avec l’approbation du lobby écolo d’Etat.

Nous voyons donc, que bien qu’ils aient un rapport de force important au sein du processus de production et de distribution, les routiers restent prisonniers de la concurrence, c’est-à-dire des quatre modes de transport. La stratégie industrielle actuelle est très compactée et tend à intégrer totalement en amont et en aval le transport à la chaîne de production. Pour le capital, le coût du transport doit être le moins onéreux possible, car il détermine l’espace possible de distribution et donc de réalisation de la plus-value. Le fait que ce coût du transport représente en France 5 % en moyenne du prix des marchandises, illustre bien cette contrainte.

Sur quoi les capitalistes du transport vont-ils pouvoir jouer pour encore faire baisser les coûts ? Ils peuvent jouer sur la réduction de la taille des envois, afin d’augmenter la valeur ajoutée par tonne-Km.

« Le mode capitaliste de production diminue les frais de transport pour chaque marchandise prise à part, en développant les moyens de transport et de communication, ainsi qu’en concentrant le transport, en agrandissant l’échelle. Il augmente la fraction du travail social, d’abord en convertissant en marchandises la grande majorité des produits, ensuite en substituant aux marchés locaux les marchés éloignés.

La circulation, c’est-à-dire la course effective des marchandises dans l’espace , est résolue par le transport. D’un coté, l’industrie des transports constitue une branche autonome de production , et par conséquent une sphère spéciale de placement du capital productif ; d’un autre côté , elle se distingue en ce qu’elle apparaît comme la continuation d’un procès de production à l’intérieur du procès de circulation et pour lui. »

(Karl Marx, Le Capital.)

Les plates-formes intermodales

Si l’intermodabilité ( terme qui sous-entend l’utilisation de plusieurs modes de transports) ne pose guère de problème pour le voyageur, celui-ci étant autonome et libre de son choix, il n’en est pas de même du transport des marchandises , qui nécessite la mise en place d’une logistique minimum. Depuis environ deux décennies, l’intermodabilité a connu un très fort développement, notamment par la mise en place de plates-formes où se concentre la logistique nécessaire aux transporteurs.

Prenant exemple sur l’intermodabilité des ports (points de passage obligés des échanges internationaux), il est maintenant mis en place des espaces aménagés conçus pour être multimodaux (rail, route, transport aérien....) Centres de regroupement au nord et au sud de Paris qu’ils doivent décongestionné. C’est, il est bon de le rappeler, en 1984 que le IXe plan précisa que :

« la réalisation de plates-formes publiques, centres de groupage-dégroupage, de stockage de marchandises, mais aussi de lieux de transfert modal où peuvent s’effectuer des opérations annexes de conditionnement, de transformation, de dédouanement. »

En Europe, la Belgique, les Pays bas et l’Allemagne, sont aujourd’hui très avancés dans la création d’installations logistiques. Citons les centres de stokage-distribution de Bruxelles, le centre international de transport du LAR (au sud de Courtrai, près de la frontière française), la gare autoroutière de Houdeng-Goegnies au croisement des autoroutes Paris-Bruxelles et Dunkerque-Rhur.

En Allemagne, de nombreuses plaques tournantes émergent autour des grands centres de production et de consommation

Le transport ferroviaire

Bref historique : inventé au début du XIXe siècle, le chemin de fer a bénéficié du développement de l’extraction minière, de l’industrialisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord, il a accompagné le passage de la manufacture à la grande industrie, passage de la domination formelle à la domination réelle. (Voir Un chapitre inédit du Capital, éd. 10/18, p 220.)

Le chemin de fer est rapidement devenu indispensable au développement du capitalisme. Enjeu stratégique et économique le rail s’est imposé sur terre, sans concurrence à cette époque.

Depuis une trentaine d’année, le rail a perdu progressivement des parts de marché en faveur de la route et de l’avion en Europe. Aussi nous pouvons constater qu’en 1990 le rail de la CEE transporte moins de marchandise qu’en 1970.

Ce transfert du transport des marchandises et des hommes au profit de la route et de l’air va conduire à une saturation de ce type de transport à la limite de la sécurité. La perte de temps, les grèves fréquentes, les risques pour l’environnement.. vont rendre de nouveau le rail attractif.

Le problème majeur de la CEE, c’est la disparité des systèmes nationaux (voir pour l’Espagne un écartement des rails différents des autres pays...). L’interconnexion de ces réseaux entre eux pose souvent des problèmes difficile à résoudre. C’est pourquoi, un schéma directeur européen ne peut s’en tenir à rajouter des « chaînons manquants », il faut donc mettre en œuvre un système européen afin de créer des lignes régionales transfrontalières (2).

Nous voyons donc que le mode de production capitaliste (ici européen) se heurte à deux handicaps : la saturation du réseau routier, l’inadaptation du réseau ferroviaire. Le choix est obligatoirement coûteux, et le rail encore une fois est encore le plus fiable sur une longue distance.

La tendance est donc à favoriser le développement combiné rail-route , d’autant plus que la plus grosse entreprise française de transport routier (la SCETA, 25 000 salariés sur les 317 000 routiers) est une filiale de la SNCF.

Le chemin de fer se prête plus que tout autre à l’autonomisation. Le projet ASTREE de la SNCF (il fait l’objet d’une coopération internationale) vise à la conception d’un système de gestion du trafic dans lequel les trains disposent d’équipements embarqués leur permettant de se localiser eux-mêmes sur le réseau et dialoguent par voie hertzienne avec des centres informatiques au sol auxquels ils communiquent leur position et dont ils reçoivent directement les ordres de progression régissant leur mouvement. Ces nouvelles technologies alliées à l’intelligence artificielle vont être redoutables pour l’emploi, elles vont permettre, une utilisation plus intensive de l’infrastructure, qui permettra de réduire l’espacement entre les trains à une valeur voisine du minimum que représente leur distance de freinage.

« Une des compagnies privées exploitant une partie des dépouilles de British rail-Great Eastern Railways (zone de Londres) envisage de payer les banlieusards allant quotidiennement à Londres pour leur boulot, pour remplacer le chef de train. »

DMCL 21

La régénération du système ferroviaire européen va coûter très cher, et pour que les investisseurs tirent un incrément,il sera nécessaire ? d’harmoniser les conditions de concurrence pour assurer une rémunération normale des transports de fret par fer ? (cité dans le J.O Page 103 C’est à dire que le transport routier se trouve frappé par des taxes , péages ... Voir relèvement des salaires des routiers.

Le projet rail-route

Dans cette lutte du fer contre la route, le fer envisage :
- la massification du transport de marchandises et la diminution des points de desserte pour favoriser l’utilisation de trains entiers ou de trains directs point à point ;
- le développement du transport combiné rail-route ;
- l’amélioration de la vitesse moyenne (120 Km/h avec pointe à 160 km/H), embranchement aux zones industrielles et livraison porte-à-porte.

En ce qui concerne le porte-à-porte, beaucoup de transporteurs routiers ne sont pas en mesure de prendre le relais faute de moyens sur place et d’un niveau de trafic suffisant.

Les principales caractéristiques du projet rail-route sont les suivants :
- un gabarit de chargement important permettant de charger sans contraintes techniques les poids lourds modernes ou d’acheminer sur deux niveaux les conteneurs,
- un matériel conçu pour rouler à 120 km /h, la ligne réservant la possibilité de porter cette vitesse ultérieurement à 160 Km/h,
- des trains longs (1 500 à 2 200 mètres) constitués de rames réversibles pour assurer une forte productivité et la simplicité de l’exploitation ;
- des chantiers conçus pour un chargement latéral simple et rapide prés de grands nœuds autoroutiers, de manière à garantir une accessibilité comparable à celle des autoroutes ;
- un matériel roulant à forte charge à l’essieu spécialisé à la ligne qui pourrait recevoir d’autres circulations, fournissant ainsi des itinéraires d’évitement des zones de Paris et de Lyon déjà saturées.

Il faut signaler que la SNCF et d’autres pays européens prévoient l’utilisation du TGV associé aux grandes plates-formes aéroportuaires pour assurer l’éclatement du fret express. Le 26 novembre 1997, les chemins de fer français, luxembourgeois, belges et italiens ont annoncé la création d’un « corridor de fret ferroviaire », ouvert dès le 12 janvier 1998, entre Anvers, Metz, Lyon, Vénissieux, Gênes et le sud de l’Italie. Le transport du nord au sud de l’Europe devant bénéficier d’un temps réduit de 20 % grâce à des sillons réservés pour ce trafic trans-européen.

La coopération SNCF-Deutsche Bahn contredit le libéralisme de Bruxelles, elle a pour but de contrer, la concurrence de la route et de l’avion et donc d’accroître les contradictions de la branche des transports.

« Une politique promotionnelle de la grande distribution engendrera une forte demande de transport, aussitôt suivie d’un fort ralentissement. La mise en place du principe des cinq zéros (zéro panne, zéro défaut, zéro stock, zéro délai, zéro papier) ou l’adaptation des méthodes ? kanban ? appliquées dans les processus de production industrielle, introduisent la notion de flux tendu qui fait du transport un processus intégré dans la chaîne de production. Le transport des produits agricoles est fortement contraint par les dates de récoltes d’une part, et par les possibilités de stockage et de conditionnement d’autre part . ?

(J.O. du 23 juillet 1992, p. 38.)

Gérard Bad

Novembre 1997.

Notes

(1) Le commerce mondial se développe plus vite que l’économie mondiale : sur la période de 1973-1991, le commerce mondial a crû au rythme d’environ 4% par an ,alors que la croissance économique des pays industrialisés stagnait à 2,5% par an.

(2) Projet ETCS qui se met en place sous l’égide de la CEE (DG VII ).

(3) Le transport reste et même devient de plus en plus un élément essentiel des systèmes de production et de distribution, même si, au terme de l’actuelle révolution logistique, certains assouplissements devraient être apportés à la politique des flux tendus et des stocks minimum (Journal Officiel jeudi 23 juillet 1992 p. 13 : La France dans l’Europe des transports ).

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